Sonnets de William Shakespeare
Sonnets de William Shakespeare, traduction de Raphaël Meltz et Louise Moaty, conception musicale de Thomas Dunford d’après John Dowland, mise en scène de Louise Moaty
Dans ces Sonnets, violette, lys, marjolaine, rose épineuse, primevère, églantine et ronce ornent la nature. Fleurs des champs, des prés et des sous-bois s’épanouissent, agrippées à leurs tiges, accordant à la végétation verdoyante des éclats lumineux : pureté des formes et beauté des couleurs…
Ces fleurs exhalent à la fois un parfum et une vie poétique intense : printemps, jeunesse, forces de la vie et fraîcheur toute éphémère. La beauté dure peu mais les considérations sur le temps n’en finissent jamais, et William Shakespeare n’aurait été pas été un si grand poète, s’il n’avait recouru à la Nature, avec un art et une esthétique issus de la terre meuble, pour évoquer, à côté de la vie et de la mort, le sentiment de l’amour : «Mes jours sans toi sont comme des nuits/ Et mes nuits sont des jours, quand je rêve de toi». Mais si l’éclat de la jeunesse se fane, il ne sert à rien, pour l’aimé/e qui ne brûle que pour soi, d’ignorer l’amant/e : «Aie pitié du monde, ou la mort viendra/Te dévorer jusque dans ta tombe.» L’amour seul protège du temps le chef-d’œuvre du temps : la beauté de l’être aimé car «L’amour ne dépend pas du temps/ Qui meurtrit les lèvres et les joues». Il échappe à la course des heures et vit jusqu’au dernier jour.
Comédienne et metteuse en scène mais aussi admirable chanteuse et danseuse, Louise Moaty impose sa présence, entre conversation amoureuse et réflexion philosophique, poésie et lyrisme, sur un monceau de terre noire-qui pourrait être celui d’une tombe-écrasé de mélancolie mais piqueté de fleurs comme autant d’éclats scintillants de couleur. Installation végétale faite de terre et d’eau, fragile muraille démolie par le temps mais laissant surgir des bourgeons prometteurs.
Et ils sont deux, «pour grimper cette colline abrupte» et y échanger leur amour. À côté de la jolie amante/aimée, se tient l’amoureux et amant, le luthiste Thomas Dunford (en alternance avec Romain Fali) et qui a réalisé la musique du spectacle, à partir d’œuvres de John Dowland, contemporain de Shakespeare.
La comédienne esquisse au pied de la petite colline, quelques pas de danse… Et lui, de ses bras, entoure la récitante qui prend aussi un luth; ils interprètent alors une musique de cour pour des paroles d’amour, entre confidences et complicité. L’instrument est comparable au corps de la femme, et le bois qui reçoit les notes légères, adore ce toucher de l’interprète, ce qui rend jaloux le poète :«Donne-lui tes doigts et, à moi, ta bouche ». Heureusement, le luth, symbole de l’harmonie, apaise les âmes fâchées.
Un spectacle délicat, d’une grande qualité poétique et pleinement accompli.
Véronique Hotte
Maison de la Culture d’Amiens, jusqu’au 16 décembre.
Théâtre de Caen, les 27, 28 et 29 janvier.