Splendeur et lassitude du Capitaine Iwatani Izumi
Splendeur et lassitude du Capitaine Iwatani Izumi, texte et mise en scène de Jean Lambert-wild, traduction d’Akihito Hirano (en japonais surtitré en français)
On retrouve avec un grand bonheur, le spectacle que nous avions vu en simple filage, il y a juste trois ans déjà, à Caen (voir Le Théâtre du Blog) quand Jean Lambert-wild était le directeur de la Comédie de Caen, avant que cette pièce ne parte pour le Japon.
Un plateau en bois de quatre m2 environ, avec, au-dessus quelques guirlande de lampions, et un mât supportant des hauts-parleurs de métal gris. C’est tout. Comme à Caen, le public est assis sur les trois côtés. Seul, Keita Mishima, habillé d’une tenue kaki militaire sans âge et sans pays, arrive un peu fanfaronnant.
Le capitaine décroche son sabre, et s’installe, avec un grand calme comme pour une sorte de rituel. Avec une maîtrise de la voix et du corps telle qu’ on en voit rarement en France, en particulier dans ce genre de monologue où il faut une exigence et une concentration de tous les instants. L’acteur japonais a un regard et une gestuelle d’une précision presque envoûtante, si bien qu’on n’a presque plus envie de lire le surtitrage.
Jean Lambert-wild, a su lui donner comme il y a trois ans une dimension à la fois masculine et féminine au personnage à l’origine, un capitaine français. « Il n’est pas, dit-il, un guerrier brutal mais un esthète fou, perdu. Il est à la fois répugnant et totalement séduisant, du fait simplement qu’il soit un humain (…) C’est un fou de guerre mais c’est surtout un homme perdu. On l’entend crier avec toute sa fierté de commander: » Sergent Que tous les hommes se tiennent droits Nous ne sortirons pas de ce trou en rampant Nous ne somme pas des animaux Recroquevillés dans l’adversité Le corps est une mécanique Qui ne tolère pas les courbes ‘…) Que tous les hommes se lavent Qu’ils aient une tenue impeccable S’ils doivent mourir Il seront propres On ne s’expose pas au-devant des honneurs et des gloires Si l’on est couvert de boue » .
Sur fond d’explosions, coups de feu, et airs militaires mais aussi de courts extraits d’opéra et de la chanson bien connue d’Edith Piaf, Non, non je ne regrette rien, rendue plus forte encore par l’effet d’éloignement que procurent les paroles en japonais et le son approximatif des anciens hauts-parleurs. Chapeau à la conception sonore de Christophe Farion! Il y a aussi les didascalies dites en voix off, qui se finissent par ces cinq mots aussi beaux qu’insoutenables, répétés plusieurs fois: » De la tenue, du maintien ». « Puis de la retenue, du soutien ». Alors que les soldats sont plongés dans la vermine, le sang, la boue et le froid depuis plusieurs mois…
Dans un second temps, on retrouvera le capitaine Iwatani Izumi mourant, puis mort: « C’est indécent, dit-il, le cadavre d’un homme nu Aidez moi Il faut me recouvrir Un couverture Donnez-moi une couverture ». Malédiction de la guerre… Le capitaine n’est plus que l’ombre de lui-même quand, un peu ridicule, il apparaîtra, sans son pauvre et ridicule uniforme kaki et juste en slip blanc. Seul, terriblement seul , enfermé dans son petit espace comme dans une taule ou une chambre d’hôpital, il répète avec ce qu’il lui reste de dignité mal placée, et dans un sorte d’exorcisme personnel qu’il sait inefficace : «Ne me secouez pas ! »
En un peu plus d’une heure, Jean Lambert-wild a su, avec une direction d’acteurs d’une exigence absolue, faire exprimer à Iwatani Isumi, à la fois le courage, la joie d’être officier et de commander, puis dans un état proche de la dépression absolue, la terrible fatigue mentale et physique et la perte de confiance en lui qui s’est emparée du pauvre petit officier qui prend conscience qu’il n’a plus la maîtrise de sa destinée.
Le spectacle s’est encore affirmé et nous restons, comme il y a trois ans, vu la proximité avec l’acteur, fascinés par son visage et par sa voix qui disent tout. Malgré le surtitrage au demeurant très bien fait.
Une grande unité et un jeu des plus virtuoses, fabuleux mais jamais gratuits… mis au service d’un texte écrit par Jean Lambert-wild à dix-sept ans, et qu’il a depuis plusieurs fois corrigé. Le public de Limoges a bien de la chance de pouvoir s’offrir un spectacle comme celui-ci.
Tiens, une idée pour Emmanuel Demarcy-Motta, directeur du Théâtre de la Ville à Paris: pourquoi ne pas inviter la saison prochaine, ce beau spectacle,aussi simple qu’émouvant au Théâtre des Abbesses dont le plateau est bien assez grand pour contenir un acteur et une centaine de spectateurs… Au lieu de nous infliger la mise en scène académique et BCBG de Letter for a man, avec Mikhail Baryshnikov par Bob Wilson! Cela ferait le plus grand bien aux Parisiens…
Philippe du Vignal
Le spectacle s’est joué du 8 au 15 décembre au Théâtre de l’Union 20, rue des Coopérateurs, Limoges. T : 33(0) 555 79 74 79.