La Ronde d’Arthur Schnitzler
La Ronde d’Arthur Schnitzler, traduction et adaptation de Guy Zilberstein, mise en scène d’Anne Kessler
La Ronde, que l’écrivain autrichien (1864-1931) publia à compte d’auteur en 1903, fut créée en 1920 seulement à Berlin. D’abord intitulée La Ronde d’amour, Arthur Schnitzler accepta d’en modifier le titre pour éviter les risques de censure. Ce qui n’empêcha pas de provoquer un grand scandale !
La pièce, chose rare, comprend dix courts dialogues entre, à chaque fois, un homme et une femme qui ont une relation sexuelle. Avec des jeux de séduction et/ou de pouvoir chez ces personnages qui tiennent presque parfois de silhouettes. Mais géniale trouvaille dramaturgique de l’auteur: chacun d’eux apparaît dans la scène qui suit la précédente, et le dernier de cette ronde a une relation avec celui du tout début, la jeune prostituée. Cette ronde se referme ainsi, toujours sur fond de sexualité obsédante…
On peut voir défiler: Léocadia, une jeune prostituée avec un soldat, Franz. Puis ce soldat et Marie, une femme de chambre, que l’on verra ensuite avec Alfred, un jeune homme de bonne famille. Celui-ci rencontre ensuite une femme mariée, Emma. Que l’on retrouve ensuite avec son mari Karl, qui après, a un rendez-vous avec une «grisette», c’est à dire une jeune ouvrière, prostituée occasionnelle. Que l’on revoit avec Robert, un auteur. Ce même auteur rencontrera une comédienne. Laquelle retrouve ensuite un comte qui, dans la dernière scène, voit Léocadia, la jeune prostituée du début…
Arthur Schnitzler sait dire comme personne, le désir sexuel aussi bien masculin que féminin, la prostitution sous toutes ses formes, mais aussi les maladies vénériennes, la guerre, la mort qui plane, et surtout les interférences entre les classes sociales viennoises, qui ont toujours été un des grands ressorts des théâtres classiques et modernes. Et La Ronde, devenue célèbre en France, grâce surtout au film de Max Ophüls (1950) avec Gérard Philipe et Simone Signoret, fait toujours le bonheur des écoles et conservatoires de théâtre : elle offre en effet un nombre et une variété exceptionnels de personnages, ce qui permet de caser tous les élèves avec des rôles à peu près équivalents… La pièce est évidemment moins facile à monter et à programmer en tournée, même en réduisant le nombre d’acteurs ! Mais Alfredo Arias et Marion Bierry, entre autres, l’avaient mise en scène avec bonheur.
Guy Zilberstein en a fait une adaptation-on se demande bien pourquoi-et inventé le personnage d’un plasticien, Ludwig Höeshdorf : »Le spectacle, dit-il, prend la forme d’une installation, (…) dans laquelle le plasticien fait jouer par des acteurs les dix dialogues de Schnitzler. (…) C’est dans ce Berlin des années 1960 qui l’a vu naître que le plasticien Ludwig Höeshdorf choisit en 1988 d’aller rechercher ses parents biologiques, et qu’il échafaude dix hypothèses pour y parvenir, dans le cadre d’une installation… d’une performance intitulée Les chromosomes énigmatiques (…) Le personnage s’insère ainsi entre chaque scène, dans une mise en abyme ludique, qui décuple l’étrange mécanique et les ressorts théâtraux qu’offre une telle circulation du désir. » Ce personnage rappelle celui du narrateur dans le film de Max Ophüls mais il a ici quelque chose d’artificiel.
Côté scénographie, on ne comprend pas non plus les intentions pléonastiques de Guy Zylberstein qui a imaginé un plateau tournant avec, sur la tranche, un palindrome dont Guy Debord s’est servi comme titre de film, repris dans un essai. Une phrase en latin, à lire de gauche à droite ou de droite à gauche : « In girum imus nocte et consumimur igni » (Nous irons un soir sur un cercle et nous nous y consumerons par le feu). Ce plateau tournant illustre, bien sûr, le cercle de La Ronde, et, au cas où on n’aurait pas compris, de temps à autre, les personnages entrent par une porte à tambour !
Côté mise en scène, libre à Anne Kessler de penser de façon curieuse, que «le contexte de la performance permet aussi de sortir de l’anecdotique. Cela donne de la profondeur sans rien enlever au mystère du texte.» Mais cette liaison entre théâtre et art contemporain, malgré une référence à Joseph Beuys, ne fonctionne pas du tout. Libre aussi à Anne Kessler de trouver que «la performance met en relief la façon novatrice dont La Ronde interroge le statut du spectateur » (sic). Tous aux abris!
Heureusement, il y a ici, un peu livrés à eux-même, de bons comédiens, comme entre autres, Françoise Gillard (la femme mariée), Laurent Stocker (le Comte) Julie Sicard (la grisette), Pauline Clément (la prostituée), ou Hervé Pierre (l’auteur) qui arrive à apporter un peu d’air frais à cette mise en scène qui ronronne pendant deux heures vingt sans entracte et qui, sauf à de trop rares moments, laisse indifférent!
Anne Kessler qui veut sans doute faire mode, aurait pu aussi nous épargner des costumes assez laids (qu’elle a aussi conçus!) et d’inutiles vidéos de combats, et du discours de J.F. Kennedy avec son fameux: « Ich bin ein Berliner« , sans doute pour resituer la pièce dans le Berlin des années 60! Puisque, dit Guy Zilberstein, « le plasticien réalise sa performance en 1988, les années 1960 correspondent à l’époque de ses parents. Ce Berlin est celui d’une ville qui réapprend à vivre, on est dans une imagerie de transition, de renaissance à tous les niveaux de la société. » Là, on ne comprend plus du tout, et une mise en scène de La Ronde n’avait pas besoin de ces suppléments sans intérêt!
C’est un peu ennuyeux : le public, pas jeune, toussote souvent et somnole mais, comme il est, bizarrement, patient, il y a peu de désertions. Soyons clairs: cette version ainsi revue et corrigée de la pièce et cette mise en scène approximative, à l’actualisation prétentieuse et où le temps et l’espace sont mal gérés, n’a rien de fascinant, et on ne voit aucune raison de vous conseiller le déplacement.
Philippe du Vignal
Comédie-Française/Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris 6ème jusqu’au 8 janvier. T : 01 44 58 15 15.