Molly S., d’après Molly Sweeney de Brian Friel

Molly S., d’après Molly Sweeney de Brian Friel, adaptation et mise en scène de Julie Brochen

 

molly-s-julie-brochen-crc3a9dit-franck-beloncle-7 La metteuse en scène a fait ici le choix d’une adaptation musicale de la pièce qui avait été mise en scène par Jorge Lavelli. On connait surtout ce remarquable auteur irlandais (1929-2015) par cette autre pièce, absolument fabuleuse, Danser à la Lughnasa (voir Le Théâtre du Blog). «Nous avons travaillé, dit Julie Brochen, à élaborer une partition musicale à trois voix avec Olivier Dumait, ténor, Ronan Nédélec, baryton, et  NikolaTakov, pianiste».

 Côté cour, quelques chaises alignées dos à dos, et, en fond de scène, un petit rectangle blanc sur fond gris mauve, tel un écran vide ou une feuille vierge. Dans un des tableaux suivants, des bouteilles envahissent le plateau, disposées au sol les unes derrière les autres : leur présence provoque un effet dramatique, et un espace de haute tension visuelle et psychique.  Elles entrent en résonance avec l’état mental du personnage de Molly mais aussi avec son corps qui semble danser, parfois dialoguer avec elles qui peuvent aussi figurer le jardin, dont elle, petite fille aveugle, faisait le tour avec son père à l’haleine chargée de whisky, comme un souvenir chéri de cette promenade rituelle… Ici l’éclairage habile de Louise Gibaud renforce la souffrance qui s’installe au fur et à mesure en faisant passer le plateau du noir à la lumière, et de la pénombre à des couleurs chaudes.

Le point de départ de cette fable, pouvait laisser prévoir une évolution plus heureuse et libératrice. Molly S. raconte sous forme de monologues, le destin d’une femme tombée aveugle à dix mois et qui retrouve la vue. Non par miracle mais grâce au progrès et à un chirurgien, le docteur Rice, et au désir de Frank, son mari. Mais pas d’elle! Molly vit en effet cette réparation comme un traumatisme profond. «Perdue, dit-elle, dans le monde des voyants», elle aurait simplement souhaité aller dans «le pays de la vision» puis «ensuite rentrer chez moi». Et, si elle retrouve la vue, son rapport au monde et aux autres, eux, perdent pied : «Comment peuvent-ils savoir ce qu’ils m’enlèvent ?».

  Julie Brochen a elle-même vécu un choc physique violent, en perdant pendant plus d’un mois l’usage de l’oreille gauche. Sous le choc, elle s’est mise à écrire un texte, J’entends plus rien à gauche. Et les travaux d’Olivier Sacks, neurologue et écrivain l’ont poussé à faire cette création. Brian Friel, lui-même, s’était aussi inspiré de To See and not see d’Olivier Sacks. Orchestration du texte avec la musique, chants de toute beauté, voix et  jeu dramatique d’Olivier Dumait et Ronan Nédélec cette mise en scène est remarquable. Et Julie Brochen qui joue Molly, réussit à nous faire ressentir à quel point «Tout cela était terrifiant, c’était un monde étranger» «Apprendre à voir, ce n’est pas comme apprendre une nouvelle langue. C’est comme apprendre le langage pour la première fois », écrivait Diderot. Molly, en se pliant au désir de son mari, espérait, en fait, trouver «un monde enthousiasmant ».

Un hymne à l’imaginaire, à la puissance de la poésie et à la liberté de choisir la différence, pour entrer en communion avec le monde et les êtres. On se sent à la sortie, comme rempli d’une grande émotion mais aussi d’une certaine force…

Elisabeth Naud

Théâtre Trévise, 14, rue de Trévise, 75009 Paris, jusqu’au 31 décembre. T : 01 45 23 35 45.
Molly S. a été traduite par Alain Delahaye à L’Avant-scène théâtre (2009).


Archive pour 25 décembre, 2016

Moeder par le collectif Peeping Tom

Moeder par le collectif Peeping Tom

 

Dans le cadre du Monaco Dance Forum proposé chaque année en décembre par Jean-Christophe Maillot, chorégraphe et directeur des Ballets de Monte-Carlo, le public a pu découvrir ce  théâtre dansé à la mode surréaliste avant Paris qui accueillera en janvier la dernière création de ce collectif, créé à Bruxelles en 2000 autour du couple Gabriela Carrizo et Franck Chartier. Moeder fouille, de façon à la fois intense, décalée et narquoise, les rapports humains découpés en fines lamelles psychodramatiques.
Le choix du titre (en anglais : voyeur)  annonce déjà le programme! Après avoir joué une trilogie «immobilière» (Salon, Jardin et Sous-sol), le groupe en a entamé une autre, cette fois «familiale» dont Moeder (en flamand : mère) est le second volet, après Vader (père) en 2014 et avant Kinderen (enfants) qui sera créé en 2018.

L’action des pièces de Peeping Tom a souvent lieu en vase clos, que ce soit dans le mobile-home de Caravana, dans la cave de Sous-sol ou dans la maison de retraite de Vader. Cette fois, il s’agit d’un musée où sont conservées des bribes du passé familial mais, ici, Gabriella Carrizo signe seule mise en scène et chorégraphie.

Au début du spectacle, une veillée funèbre, se déroule dans ce qui ressemble à un aquarium installé en fond de scène. Le couvercle du cercueil se referme sur le corps de l’aïeule, entouré  par la famille. Après avoir assisté au désespoir de sa fille, se jetant au sol de façon compulsive, au rythme d’un bruit d’eau savamment accordé à sa gestuelle acrobatique, le plateau s’éclaire et s’ouvre sur un espace devenu muséal. Un groupe de visiteurs suit avec intérêt les explications du guide qui, mari de la fille, présente les différents membres de ce « musée familial » : parents, grands-parents, enfants.

Toutes les scènes seront autant de rappels des moments-clés de leur existence, filtrés par une mémoire incertaine, prompte à trahir la réalité; à force de tresser ensembles souvenirs, fantasmes, craintes, espoirs et obsessions, la vérité devient insaisissable. Surtout, quand l’inconscient s’en mêle, comme, par exemple, dans la scène où la sculpture d’un homme nu, exposé dans le musée s’avère finalement vivante : après la fermeture des portes et le départ des visiteurs, on la voit en effet se transformer en jeune homme descendant de son piédestal.

Gabriela Carrizo, excellente danseuse autant que metteuse en scène, manie le drame aussi bien que la fantaisie ; avec elle, l’humour noir côtoie l’émotion, quand une femme de ménage, pensant n’être vue par personne, essaye d’escalader la sculpture de l’homme nu. La partition musicale, elle aussi, est très soignée: les sons, toujours intimement liés aux personnages, à la danse et aux objets, se transforment en matière tangible. Et il faut saluer les interprètes qui, avec une précision d’horloger, atteignent un accord parfait entre les partitions chorégraphique et musicale.

Sonia Schoonejans

Spectacle vu le 12 décembre à la Salle des Princes, Grimaldi Forum,  10 Avenue Princesse Grace, 98000 Monaco. T : 3777 99 99 20 00

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