Sport de combat dans le 93 : la lutte, spectacle conçu et mis en scène par La Revue Éclair, sur un texte de Stéphane Olry
Les représentations de la lutte abondent dans l’Antiquité: en particulier à Beni Hassan (Egypte) en 2.000 avant J.C., en Grèce sur de nombreux vases, souvent en référence aux poèmes homériques avec, par exemple, Ulysse et Ajax qui luttent ensemble, arbitrés par Achille.
Parmi les sports de combat où s’affrontent deux adversaires, le plus simple, le plus ancien et le plus universel, s’exerce sans armes, comme un exercice ludique. Dans la Grèce olympique, la lutte est une compétition et une opposition de corps, avec force, adresse, gestes et prises, à l’exclusion des coups. L’exercice se pratique avec un contrôle extrême, excluant toute violence réciproque à finalité belliqueuse: une école de courage et d’endurance.
Trois formes en sont pratiquées aux Jeux olympiques : la lutte «de la tête à la ceinture», dite gréco-romaine (la gréco), la lutte libre avec tout le corps, dite olympique, et la lutte féminine.
«Ne pas faire mal. Ne pas se faire mal. C’est la première règle qu’apprennent les poussins», dit Corine Miret dans la Pièce d’actualité N°7 du Théâtre de La Commune-Centre dramatique national d’Aubervilliers. Sagement assise sur un banc, la comédienne et danseuse, avec sobriété, humilité et grâce, assiste, face public, à l’entraînement des Diables Rouges du club de Bagnolet,
Des athlètes originaires du Caucase et de la mer Noire: Ossétie, Daghestan, Mingrélie, Abkhazie, Tchétchénie. Des populations comme les tcherkesses, avars, lezguines. Des brigands de montagnes… Vallées de proscrits et de crève-la-faim. » Là où règne la pauvreté, s’installe la lutte.
Il y a ici les entraîneurs et les athlètes, pères et fils, voire pères et filles, des enfants, adolescents et jeunes gens qui vivent en banlieue parisienne, et qui s’entraînent trois fois par semaine, avant les compétitions du week-end.
L’entraînement est un temps et une expérience à part, que ponctue la narratrice Corine Miret qui raconte son accident : un genou déboîté lors d’un spectacle… et finie la danse. Elle a observé en amont, le quotidien du club, les entraînements à horaires fixes au gymnase, la loge d’Hocine, le gardien, les couloirs, les surfaces de jeu, les mannequins. Un espace et un temps que partagent ces lutteurs.
Corine Miret fait quelques élégants saluts de Cour, avec une esthétique baroque qu’elle avoue avoir toujours privilégié parmi les canons de la beauté académique qui, en apparence est opposée aux figures de la lutte, à la brutalité : soulèvements des corps et immobilisation au sol de l’adversaire.
Et dans ce duel dont le spectateur admire la violence sans armes donc assagie, l’agression se transforme en démonstration de force, courage, endurance, habileté et prouesse généreuse. Frédéric Baron apporte, lui, sa note comique, interprétant un des mannequins, ou mime la balance de poids : obsession des lutteurs, et même l’allégorie de la médaille de compétition.
Un spectacle inouï : contemplation des corps en exercice, générosité des adversaires, esprit de partage, jusqu’à épuisement, en temps réel, des forces engagées.
Véronique Hotte
Christine Friedel qui a aussi apprécié ce spectacle, précise:
Cet art devient une forme très simple et très audacieuse de théâtre, par la grâce de l’enquête et du récit construit par la Revue Eclair, coutumière du fait. Corine Miret fait vibrer dans son corps empêché l’énergie des lutteurs, comme elle était allée, la saison dernière au théâtre de l’Aquarium, à la rencontre des Habitants du bois. On se souvient, entre autres, de son Voyage d’hiver, trois mois d’immersion dans une petite ville du Nord.
Quête, enquête : à chaque fois, le “rendu “ est différent. Il ne s’agit pas de s’approprier la vie des gens, mais de la leur rendre, en beauté, et en vraie grandeur. C’est le projet de ces Pièces d’actualité, confiée successivement à différentes équipes, tel que le formule Marie-José Malis, directrice du Théâtre de la Commune : « Les pièces d’actualité, ce sont des manières nouvelles de faire du théâtre. Elles disent que sa modernité, sa vitalité pour tous, passent par ce recueil de ce qui fait la vie des gens, des questions qu’ils se posent, et de ce temps du monde, complexe, poignant, que nous vivons tous. Elles partent d’une population, et disent qu’en elle se trouvera une nouvelle beauté. Mêlant parfois professionnels et amateurs, elles font du théâtre l’espace public de nos questions.«
L’actualité est rapide, et également cruelle : ainsi, ce spectacle 81 avenue Victor Hugo (à Aubervilliers), mis en scène par Olivier Coulon-Jablonka, conçu et joué par des sans-papiers, a connu un tel succès qu’il été invité au festival d’Avignon; certains ont pu être régularisés, d’autres non. La lumière ne suffit donc pas à protéger tous ceux qui en ont besoin. Deux nouvelles pièces d’actualité vont encore ponctuer la saison du théâtre de la Commune, et fonder un nouveau théâtre populaire, avec toute la grâce et la brutalité du réel. Ce spectacle remet le théâtre à sa place, en invitant très simplement un public neuf à se regarder avec fierté. Il pose la barre très haut pour les acteurs du théâtre en général : nous aurons vu dans la lutte des corps sincères, à vous d’être sur scène aussi rigoureux et harmonieux.
Christine Friedel
Théâtre de la Commune-Centre Dramatique National Aubervilliers, jusqu’au 15 décembre. T : 01 48 33 16 16.