Le Rélèvement de l’Occident :blancrougenoir

 

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© Koen Bros

Le Rélèvement de l’Occident : blancrougenoir, texte et mise en scène de Natali Broods, Willem de Wolf, Peter Van den Eede 

La compagnie De KOE présente ainsi sa trilogie tricolore : «Dans Blanc, nous portons notre regard/Sur le moment précédent le commencement/Lorsque nous étions encore fondus avec l’univers/et l’environnement. (…) Le Blanc serait un exercice de non commencement (…)». Ils projetteront dans Rouge «l’irrésistible besoin d’être conscients du bonheur», tandis que Noir «est la sortie et l’entrée, le déclin et la renaissance…».

 Deux hommes et  une seule  femme occupent l’espace, dialoguent entre eux ou s’adressent au public, en jouant de cette triangulation. Les comédiens ont travaillé des mois à une version française de ce spectacle créé en néerlandais et y ont réussi : «Jouer dans une autre langue demande une autre bouche, un autre corps, dit Willem de Wolf qui, lui, joue en anglais. Mais il y a une difficulté: il faut du temps pour que le texte descende dans le corps et que l’on puisse être libre sur la scène, sans réfléchir tout le temps.»
 «Pour Willem, c’est particulièrement dur, il ne comprend pas très bien le français, alors il compte parfois pour savoir où on en est», dit Natali Broods. Le mélange français/anglais n’est d’ailleurs pas inintéressant. 

 Avec Blanc, nous, spectateurs, restons dans le non-commencement d’un spectacle. Pendant une bonne heure, les trois compères se demandent par quoi commencer : plusieurs débuts se présentent. Sans perdre de vue la thématique de départ, chacun y va de ses remarques, sur l’homme (et la femme) blanc(he) occidental(e), mettant à bas les modèles proposés, socio-culturels.
  Et à la fin de Blanc,  presque deux heures se sont écoulées, et nous sommes encore au petit déjeuner, au Frühstuck (en allemand, on entend Früh, tôt !) quand enfin ! On passe au Rouge.  Chemin faisant,  les acteurs débitent une foule d’anecdotes censées illustrer leur recherche commune, et le fait d’être ensemble en scène : «De KOE c’est une mentalité, une philosophie : comment nous comportons-nous ensemble sur la scène, pourquoi faisons-nous du théâtre, quelles sont nos motivations (…) »

Construite à la va comme-je-te-pousse, sans autre colonne vertébrale que les trois couleurs, c’est-à-dire trois humeurs, la pièce peut amuser par son audace et son non-conformisme. Les acteurs, fort sympathiques, jouent  leur propre «je », souvent dans l’autodérision.  Sautant du coq à l’âne, ils enfilent des banalités mâtinées de réflexions philosophiques, et se montrent sous leur meilleur ou leur pire jour. Et dans Rouge, ils ironisent avec un certain humour (belge) sur les clichés véhiculés par la société occidentale, notamment par le cinéma américain.

Ces prises de parole confinent souvent au bavardage, et visent sans doute  un comique de répétition et de dérision. Comme si la gageure consistait à occuper le terrain le plus longtemps possible ! Cette suite d’exercices, séduisante au départ, sonne assez vite comme du remplissage! Dans Rouge, heureusement plus tonique, les comédiens portent des costumes de cette couleur et nous entraînent dans le royaume chic des stars hollywoodiennes. Pour conclure cet épisode, ils jouent une parodie mimée d’Antoine et Cléopâtre (la pièce de Shakespeare et le film) et proposent un pastiche grotesque de vieux théâtre amateur qui nous sort de la torpeur…

«Déranger, c’est exactement ce que doit faire le théâtre, s’il veut échapper à sa propre mort. » Tel est le credo de la compagnie De KOE. Pourtant ici, rien de déroutant, et le public se réjouit visiblement des facéties des acteurs, grâce à la belle  connivence qu’ils ont su installer. Mais quatre heures et demi, c’est bien long pour un spectacle qui ne relève rien, sauf le défi de durer ! Et désolée, mais comme d’autres, nous avons profité de l’entracte pour partir…

 Mireille Davidovici

Théâtre de la Bastille, rue de la Roquette Paris XI ème, jusqu’au 17 décembre.

Compagnie De Koe Schildersstraat 9, 2000 Antwerpen, Belgique.

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Archive pour décembre, 2016

Vanavara, spectacle de la 28ème promotion

vanavara

Vanavara, spectacle de la 28ème promotion du Centre national des arts du cirque à Châlons-en Champagne, mise en scène de Gaston Lévèque, chorégraphie de Marlène Rubinelli-Giordano 

En hors-d’œuvre, Gérard Fasoli, le directeur du Cnac, et les historiens, documentalistes  et techniciens de la BnF qui ont réalisé en commun ce site Internet consacrée à l’histoire du cirque, nous ont présenté la partie déjà réalisée, consacrée à l’acrobatie.
Le Cnac et la BnF disposent en effet de fonds numérisés très importants: le Cnac possède des captations réalisées par son unité audiovisuelle et des documents offerts par des compagnies  et la BnF a elle, un riche patrimoine historique  concernant les arts du cirque…

Ces établissements ont voulu rendre accessibles leurs ressources avec la création d’une anthologie en quatre grands volets: acrobatie, jonglerie et manipulation d’objets, jeu burlesque et art clownesque, et enfin dressage.  Très facile d’accès, ce site regroupe les articles de spécialistes, Philippe Goudard, Jean-Michel Guy, Pascal Jacob et vingt-deux interviews d’artistes mais aussi une très riche iconographie:  peintures, gravures, affiches, photos de spectacles, etc. soit  plus de mille images, 226 extraits de spectacle, et quinze vidéos présentant les techniques de numéros de cirque.

Le premier volet, déjà en ligne, retrace la pratique de l’acrobatie (sauts, équilibres, jeux équestres, puis mobiles et agrès…) depuis Sumer et l’Egypte ancienne. Il y a entre autres, une  représentation d’une pyramide humaine à Florence au 16ème siècle, des gravures (Jacques Callot), affiches, photos, et vidéos. Avec l’appréciable possibilité de zoomer tous les documents!
Le site  concerne à la fois les artistes, chercheurs et étudiants mais aussi le grand public (dont le jeune public et les scolaires), les amateurs, les élèves  et formateurs des écoles de cirque comme les enseignants en théâtre, danse et arts plastiques pour lesquels ce site fonctionne comme un laboratoire d’idées permanent et bien entendu…gratuit. Une vraiment belle réussite. Que demande le peuple ?

Le collectif AOC pluridisplinaire (cirque, danse musique et théâtralité) s’est vu confier la création de ce spectacle de fin d’études qui est toujours un moment capital et émouvant dans la vie de ces jeunes circassiens sortant de cette prestigieuse école. «C’est un aboutissement, dit Gaétan Lévèque, de trois années de formation, avec, à la clé, l’entrée dans la vie professionnelle. Ce fut le cas pour nous, il y a plus de quinze ans, et un souvenir marquant d’une nouvelle vie qui commence. (…) Les contraintes d’un spectacle de fin d’études sont multiples, nous sommes persuadés qu’elles constituent aussi des ressources à exploiter , un terrain de jeu.»

Cela se passe sur la piste de l’ancien et beau cirque XIXème de Chalôns qui abrite le CNAC, avec  quinze jeunes interprètes dans une ou plusieurs disciplines qu’il faut tous citer : Théo Baroukh : sangles, Nora Bouhlala-Chacon : corde, Johan Caussin : acrobatie, Sébastien Davis-Van Gelder et Blanca Franco : main à main, Anahi De Las Cuevas : cerceau aérien, Adalberto Fernandez Torres : contorsion, Clotaire Fouchereau: acro-danse, Löric Fouchereau et Peter Freeman : main à main, Nicolas Fraiseau, Camila Hernandez : mât chinois, Lucie Lastella-Guipet: roue Cyr, Thomas Thanasi trampoline-acrobatie, Marlène Vogele : trapèze ballant. Ils sont français mais aussi étrangers : Espagne, Porto-Rico, Italie, Argentine, Australie, Brésil. Ce qui fait aussi l’originalité de cette école supérieure.

Malgré une scénographie peu convaincante : rochers gris en polystyrène assez laids, et six branches d’arbres plantées sur des supports en fer. Même si «cet univers organique et minéral se trouve polarisé entre deux ancrages : une immuabilité latente et une jeunesse perméable et vivante » dit Gaëtan Lévèque, cela ne fonctionne pas : le tout encombre le plateau et parasite le regard. Dommage ! Cela n’empêche pas et heureusement d’être séduit par la grande qualité des numéros et la  solidarité de ces jeunes artistes.

Il y a d’abord une courte mais belle entrée avec Lucie Lastella-Guipet à la roue Cyr, du nom de son créateur; soit un grand anneau qui sert à se déplacer en le faisant tourner au sol. Simple en apparence… mais qui doit exiger un redoutable travail de concentration et de souplesse.
Il y a aussi de nombreux sauts de tout genre à la trampoline de plusieurs garçons dont un remarquable numéro de l’acrobate Thomas Thanasi qui, après plusieurs sauts périlleux, retombe sur les bras en croix de quatre copains, absolument solidaires  au sol. Sans aucun filet : virtuose et très impressionnant.
Le cerceau aérien, une sorte de trapèze, avec Abahi de Las Cuevas, le numéro de Theo Baroukh suspendu à des sangles, celui de Nicolas Fraiseau et Camila Hernandez, à la fois beau et émouvant : ils s’embrassent enroulés  en haut d’un mât chinois.
Mais aussi des duos de main à main de Sébastien Davis-Vnan Gelder et Blanca Franco, Löric Fouchereau et Peter Freeman qui font tous preuve d’une solide technique.
Signalons, ce qui est des plus rares dans le cirque contemporain et ici très bien réglé : une très jolie chorégraphie de corps rampants qui s’enfuient sous un praticable.

A la fin, moment sublime : sans que l’on ait rien vu de sa rapide montée par un câble, Marlène Vogel, debout sur son trapèze volant, joue très à l’aise de la trompette, puis se balancera avec une grande légèreté. (Elle a heureusement un harnais) et regroupés, tous les autres élèves ont un même regard vers elle. C’est une magnifique image toute fellinienne qui fait pardonner une mise en scène, parfois approximative et encore très brut de décoffrage dont il faudrait d’urgence resserrer les boulons : des longueurs et à-coups dans la présentation des numéros parfois un peu répétitifs, comme les sauts à la trampoline.

Reste le travail de cette promotion qui est au moins d’aussi bonne qualité que celui de leurs prédécesseurs. Ces jeunes gens ont beaucoup appris et savent faire beaucoup de choses, en particulier pour plusieurs d’entre eux, jouer, qui du saxo, qui de la trompette ou de la guitare…
A part ces réserves, c’est un spectacle qui est à voir, si vous voulez découvrir les artistes qui feront sans aucun doute le cirque français de demain…

Gouverner c’est prévoir et le Cnac a réalisé récemment une extension de ses équipements sur  une ancienne friche agricole située à proximité Avec, destiné aux enseignements avec, en particulier, un espace aérien dit « grand volant »  d’une hauteur 13,50 m; ce nouvel  ensemble comprend  aussi treize studios d’accueil d’artistes et d’intervenants, et des espaces pour la conception et de construction d’agrès.

N’en déplaise à Laurent Wauquiez,  président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes qui trouve trop nombreuses les Ecoles de cirque, ce centre de formation  supérieure comme celui-ci et qui accueille autant d’élèves étrangers que français, fait plus pour la réputation et l’avenir de  notre pays, que bien des promesses électorales jamais tenues…

Philippe du Vignal

Centre national des arts du cirque, 1 rue du Cirque 51000 Châlons-en-Champagne, jusqu’au 14 décembre à 19h 30; le 11 à 16h, et les 13 et 15 à 14h30 (scolaires).

Parc de la Villette,  Paris 19ème, du 18 janvier au 12 février. T : 01 40 03 75 75. Le Manège à Reims, les 19 et 20 février. T :  03 26 47 30 40; Cirque-Théâtre d’Elbeuf  (Seine-Maritime) du 17 au 19 mars. T :  02 32 13 10 50.
Théâtre municipal de Charleville-Mézières du 29 au 31 mars. T :  03 24 32 44 50; Centre culturel Agora de Boulazac (Gironde),  du 12 au 14 avril. T:  05 53 35 59 65.

 

 

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Une Place particulière

 

Une Place particulière, création collective des Apaches, écrite et dirigée par Olivier Augrond

 

Les Apaches attendent le public, dans un intérieur des années cinquante, éclaté sur tout l’espace scénique; certains sont occupés à des jeux : fléchettes, échecs; d’autres restent vautrés dans un fauteuil ou sur un tapis… A l’instar du mode d’écriture qui a présidé au spectacle, les comédiens s’emparent petit à petit de leurs rôles qui se précisent au fil des dialogues : «Notre travail, dit le maître d’œuvre Olivier Augrond, se dessine à travers plusieurs ateliers où je propose différentes thématiques aux acteurs, en leur demandant d’improviser. (…) Nous nous attachons à trouver tous ensemble un langage commun et concret qui cherche à questionner dans l’instant, notre présence.»

Le résultat ? Une suite de courtes séquences, construites avec habileté : chez un notaire, dans une maternité, un crématorium ou un train… Des variations  autour de la famille où l’humour côtoie l’insolite. Chaque scène démarre ex abrupto et la situation se développe progressivement, de façon à nous tenir en haleine, avant de trouver son point d’orgue et de rester alors en suspens. 

Il suffit aux acteurs  de bouger quelques meubles pour créer différentes aires de jeu, avec une astucieuse gestion de l’espace. Entre les séquences, quelques intermèdes avec fumigènes-utiles?-ménagent des respirations;  encadrées par deux scènes familiales très réussies, empoignades autour de l’héritage d’un père qui, en dehors de son foyer légitime, a engendré deux rejetons, les autres tableaux (certains presque des sketches), offrent moins d’intérêt. Et petites habiletés d’écriture, mots d’auteur, ressors dramatiques ne suffisent pas, malgré l’excellence des interprètes, à donner une véritable consistance à un spectacle qui traîne en longueur !

 Dommage, car ces Apaches s’emparent en francs-tireurs de leurs rôles et se glissent rapidement dans la peau des personnages qu’ils ont inventés avec Olivier Augrond, et leur donnent leur poids de chair, tout en gardant distance et humour. Margot Faure, Candice Lartigue, Patrice Botella, Yves Buchin et Guillaume Marquet, efficaces et généreux, ne sont pas des débutants et s’amusent à jouer un texte d’atelier… qui tend vers un théâtre de conversation. Grâce à eux, on passe quand même, pendant soixante-quinze minutes, quelques bons moments où chacun trouve sa place.

Mireille Davidovici

Le Monfort Théâtre, 106 Rue Brancion, 75015 Paris XVème T: 01 56 08 33 88, jusqu’au 14 décembre.

La Fête (de l’insignifiance) chorégraphie de Paulo Ribeiro

La Fête (de l’insignifiance) chorégraphie de Paulo Ribeiro

 

©Jean Couturier

©Jean Couturier

Un spectacle qui célèbre la fête… mais qui, étrangement, est teinté de tristesse : né après trois mois de répétition, le 13 novembre 2015, le jour des attentats à Paris!

Pour ses vingt ans de création, Paulo Ribeiro a travaillé à partir des improvisations de dix danseurs.
La lumière de Nuno Meira tantôt multicolore tantôt monochrome, surprend et semble envelopper et protéger les danseurs.

Parfois interprétée dans le silence, cette pièce bénéficie de la présence sur scène des musiciens Miquel Bernat et Miguel Moreira avec des partitions originales et des variations autour de thèmes de Tom Zé, Matthew Shlomowitz et Ben Harper. Les corps se croisent, se cherchent, s’enlacent et on glorifie parfois  l’amour à plusieurs .

Mais cela ne suffit pas tout à fait et Paul Ribeiro multiplie les adresses au public qui, ce soir de première, ne fonctionnaient pas vraiment. Même si les danseurs cherchent à nous entraîner avec  une chorégraphie simple. «La fête, dit-il, est d’abord un multiple polyédrique d’émotions provoquées dans la relation avec la nature, avec l’autre et avec ses forces immanentes qui s’expriment dans la joie en extériorisant son évocation.» Les artistes passent d’une séquence à l’autre, en entrant ou sortant du plateau régulièrement et, à la fin, dessinent avec des chaises une curieuse tour de Babel humaine et sensuelle.

 Dans ce spectacle, flotte l’esprit des années soixante-dix et quatre-vingt, et on pense parfois au film All that Jazz, de Bob Fosse (1979). Mais ce vent de liberté et d’insouciance, on a du mal à trouver ses repères : l’époque a changé et le public aussi! La générosité des danseurs s’épuise peu à peu et il y a des longueurs…

 Jean Couturier

 Le spectacle a été  joué au Théâtre National de la Danse de Chaillot  jusqu’au 9 décembre.

www.theatre-chaillot.fr     

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En attendant le Petit Poucet de Philippe Dorin

tumultes-les_veilleurs_compagnie-600x600-1436801989En attendant le Petit Poucet de Philippe Dorin, mise en scène d’Émilie Le Roux

 La compagnie Les Veilleurs qui nous avait déjà fortement touchés avec Mon frère, ma princesse de Catherine Zambon (voir Le Théâtre du Blog), a été choisie pour faire partie du projet Les Inattendus développé par la S.A.C.D.,  le Théâtre de la Ville à Paris et le festival Petits et Grands à Nantes.

Le but étant, un peu comme avec Sujets à vif au festival d’Avignon, de rassembler des artistes de disciplines différentes, pour créer de petites formes destinées à des lieux non équipés, en particulier les écoles.

Émilie Le Roux s’est tournée vers un travail chorégraphique: «A un moment où le corps est souvent oublié, nié et censuré, il nous a semblé intéressant de le remettre au cœur de notre démarche théâtrale, particulièrement à l’occasion du travail thématique que nous voulons mener. Nous avons donc invité la chorégraphe Adéli Motchan à nous rejoindre sur ce projet.» Emilie Le Roux s’appuie sur un texte de Philippe Dorin, pointure du théâtre jeune public, dont l’écriture, très poétique, flirte souvent avec l’absurde et ne se prive jamais de jouer avec le langage.

Ici, un frère et une sœur fuient, errent, à la recherche de leur rêve et d’un endroit bien à eux où ils pourraient «retirer leurs chaussures et poser leurs pieds sur un petit tapis». Ils s’inventent des jeux pour surmonter les difficultés et ne pas perdre espoir. A partir du Petit Poucet, Philippe Dorin trace un habile parallèle avec la douloureuse question des migrants : comment se projeter dans un avenir incertain et repartir à zéro, en n’emportant que ses souvenirs ? Autant de questions que  pose l’auteur, avec des dialogues pudiques et poétiques, sans jamais brusquer les jeunes spectateurs, mais sans rien omettre (il est ici beaucoup question de la mort!).

Pour Émilie Le Roux, cette pièce écrite en 2001, «ouvre une discussion sur les migrations et l’immigration avec les plus jeunes. Les images terribles de l’été 2015 ont inscrit la nécessité de poser des mots sur ces morts échoués sur les plages, et sur les vivants sillonnant les routes européennes. Réfléchissons ensemble. Qui sont-ils ? Ont-ils choisi d’être en route ? Pourquoi ? Quelle est leur détresse ? Pourquoi les accueillir chez nous ? Mais qu’est-ce ce «chez nous » ? Un pays ? Une nation ? Si migrer, est passer les frontières, quelle est la nature de ces frontières ? À quoi servent-elles? Toutes ces questions recouvrent des champs juridiques et philosophiques. En nous menant sur des routes peines de symboles, le texte de Philippe Dorin nous offre une entrée par la poésie et le sensible. »

 Un grand cube rectangulaire, plus long que large pour une scénographie bi-frontale. Première surprise : les comédiens sortent de ce cube, tout habillés de noir. La scénographie, intelligente et sobre de Tristan Dubois et Éric Marynower, est faite de quatre longs blocs verticaux qui renferment l’unique dispositif d’éclairage des comédiens… Et d’un peu de magie aussi: des cailloux et une petite charrette bougent tout seuls.

La gestuelle est très étudiée, avec des mains qui sortent de la structure, et une marche sur place, plusieurs fois renouvelée pendant le spectacle. Sans être de la danse, le mouvement des corps obéit à une chorégraphie précise. Kim Laurent et Jonathan Moussali, avec un jeu simple mais expressifs, provoquent le rire des écoliers qui écoutent avec attention ce texte de Philippe Dorin, exigeant dans sa thématique comme dans son écriture, et cela, malgré des conditions de représentation difficiles.

Il faudrait être avec eux pour savoir ce qu’ils en ont pensé, et si ce parallèle avec les migrants leur a parlé. En tout cas,  saluons cette intelligente proposition qui a su s’adapter aux contraintes de départ. Cette pièce d’actualité se joue en effet aussi dans les écoles où le théâtre ne sera jamais assez présent pour former des citoyens et des amoureux de la culture.

En janvier, Contre les bêtes, un très beau texte de Jacques Rebotier, sera repris au Théâtre Dunois par cette compagnie. Il faut signaler la vitalité de l’écriture à destination du jeune public où les écrivaines sont très présentes: Nathalie Papin, Estelle Savasta, Karin Serres, Eve Ledig, la compagnie Tourneboulé…

 Julien Barsan

Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), du 23 au 27 janvier ; Les Sept Collines à Tulle (Corrèze) du 7 au 16 mars ; Salle des fêtes de Nanterre (Hauts-de Seine), du 21 au 24 mars ; Théâtre-cinéma Paul Éluard de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), du 26 au 29 mars.
Festival Petits et Grands à Nantes (Loire Atlantique), du 31 mars au 1er avril ; Parvis de Tarbes (Hautes-Pyrénées), du 26 au 28 avril, et Le Train-Théâtre de Portes-lès-Valence (Drôme) du 9 au 12 mai.

 

 

 

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Hommage à Didier-Georges Gabily

Hommage à Didier-Georges Gabily :

 

 

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« Un des artisans les plus aigus et les plus exigeants de notre temps », disait de lui le grand critique Bernard Dort, son ami.

« Ecrire – le mouvement d’écrire, c’est-à-dire aussi l’art d’écrire ; c’est-à-dire, encore plus, l’artisanat, le labeur à l’œuvre – était tout, demeure tout pour moi, et par-dessus ce tout l’ange du doute -quand ce n’était pas le démon -souriait (sourit encore) doucement- le démon, lui, ricanait : une grimace ; ricane encore, et la grimace ne cesse de s’accentuer, monstrueuse, jusqu’à disparaître.(…) », écrivait-il dans Corps du délit (Les Cahiers de Prospéro, février 1996), peu avant de disparaître. « Un champ de bataille » ou de durs « labours », un travail acharné, avec le sentiment d’une infinie incomplétude.

La mort l’a fauché en plein cœur, en plein élan, il y a vingt ans. Il avait quarante-et-un an. Il laisse une œuvre touffue, baroque, qui reste à redécouvrir, où le trivial côtoie le poétique, à la fois glorieuse et détruite. Théâtre, roman, ses textes abolissent les frontières. En marge, son journal (A tout va) et ses notes de travail, aujourd’hui publiés, sont tout aussi marqués par une boulimie verbale, un inlassable creusement de la matière langagière, un ressassement.

 « Une parole préclassique, écholalie et bégayement, dans ce qui ne peut plus s’annoncer dans l’évidence de l’hymne », insiste Eugène Durif, présent lors de cet hommage à Didier-Georges Gabily, parmi d’autres témoins ( écrivains, éditeurs, comédiens, directeurs de théâtre) qui réunis par Bruno Tackels, un compagnon de route de longue date, évoquèrent “ l’homme de lettres “,

 La manifestation a rassemblé, pendant trois jours, un public nombreux et mélangé, ceux qui l’ont connu aussi bien que des jeunes avides de le connaître. Des lectures et des mises en espace, des films et des photos, des débats et des ateliers ont fait revivre, le temps d’un week-end, un artiste qui n’a pas eu l’écho mérité de son vivant. « Un poète qui va du côté du plateau et de la production, personne n’a envie d’entendre ça », explique Jean-Paul Wenzel qui a accueilli le metteur en scène et le groupe T’chan‘G en résidence de création au Centre dramatique de Montluçon.

 On doit ces rencontres à certains du groupe T’chan’G, cet atelier de recherche théâtral qui fut son terrain de jeu expérimental de 1986 à 1996. « Je(u) ensemble», comme il disait. Mêlés à d’autres acteurs, ils ont rejoués ses pièces : Violences, Gibier du Temps, Scarron et fait « émerger les voix, rageuses, jacquetantes, inouïes»  du roman L’Au delà . Muriel Vernet a donné une belle performance d’Ange, Art Agonie avec une danseuse; Anne Alvaro et Pascal Bongard ont tenu le public en haleine avec Dernière Charrette, une imprécation calme : la plainte poignante d’une carriole philosophe qu’on met au rebut : « la plainte est le chant commun des esclaves ».

 Moment festif, Je ne raconterai pas forcement pourquoi je suis descendu dans la cave du Père Lachaise orchestre les paroles de “ la bande à Gabily “ à propos de leur travail théâtral collectif.

Il s’en dégage une manière de diriger les acteurs, procurant un sentiment de sécurité et d’insécurité: « Il arrivait à te mettre à l’endroit où il n’y avait qu’à dire. Là, on habitait le plateau » ; « Ça dansotte, ça dansotte, comme une chose qui ne s‘affirme jamais, qui reste dans le tremblement » ; « Didier il nous attend, il nous prolonge, être dans le bonheur du déséquilibre » ; « C’est un goinfre, il est un peu gargantuesque. Généreux et bouffeur et, en même temps, il te porte (…) il t’emmène à l’endroit où tu peux avoir ton essence » .

A travers leurs dires, et leurs anecdotes, on entrevoit un chef charismatique qui a marqué une génération de comédiens comme Nicolas Bouchaud, Serge Tranvouez. Alexandra Scivluna, Jean-François Sivadier… Il développait une technique de mise en scène : « Le “tiers inclus“, c’était obsessionnel, le regard d’un autre fait espace, triangulation » ; « Ce qui m’a impressionnée, c’était les fulgurances, il organisait le plateau, comme un peintre. Tu comprends que ça naissait du plateau.» ; « Didier, c’était des puits ou des cratères, avec des éruptions (…). Une voix d’enfer, une chose de la douleur de vivre.(…). Il cherchait (…). Il visait haut par rapport à ce qu’il voulait atteindre du champ de l’humain. »

 Espérons que ces quelques jours porteront leurs fruits, qu’on reverra bientôt sur nos plateaux du Didier-Georges Gabily, et qu’il connaîtra enfin, à l’instar d’un Jean-Luc Lagarce, la reconnaissance qui lui revient. En attendant, on peut le lire, publié chez Acte Sud et Acte Sud-Papiers : la librairie qui vendait ses livres a été prise d’assaut.

 

Mireille Davidovici

 

 Au Monfort, du 12 au 14 novembre 2016

Suzette, texte et mise en scène de Fabrice Melquiot

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©Elisabeth-Carecchio

Suzette, texte et mise en scène de Fabrice Melquiot

 Suzette est une petite fille dont on suivra la trajectoire, de sa naissance à ses vingt ans, sous les yeux de son père et de sa mère, convaincus (comme nombre de parents !) qu’elle est un génie. Lourde responsabilité pour le fillette et ses géniteurs, dépassés par les événements…

Une fois la trame narrative posée, l’auteur s’amuse à éclater sa fable et les trois rôles : «C’est l’histoire d’un groupe : deux acteurs, trois musiciens, un dessinateur, un vidéaste qui, ensemble, expérimentent ce qu’est jouer : jouer à être ensemble, jouer avec des souvenirs d’enfance (…). Tous sont un peu Suzette, un peu sa mère, un peu son père (…) » .

Avec une belle énergie, entraîné par la musique d’Emmanuelle Destremau qui chante et joue aussi Suzette, chacun se glisse alternativement dans tous les personnages. Peintures et dessins de Louis Lavedan sont projetés sur le fond de scène : «Il s’agit d’un système de rétro-projection, avec une boîte opaque vitrée sur la face du haut. Une caméra, à l’intérieur de la boîte, filme le dessin par en-dessous». Cette peinture vivante où alternent formes abstraites, dessins illustratifs et captations vidéo transmises en direct, anime le plateau de formes et de couleurs.

Pourtant, rien d’anarchique dans cette vitalité. L’action suit son cours et l’on voit Suzette grandir, chaque âge de sa vie lui apportant, comme à ses parents, son lot de joies et de soucis. «Le temps qui passe, est un rapace», dit l’une des chansons. Le spectateur est ainsi interpellé, du point de vue de l’enfant comme celui de l’adulte.

 Fabrice Melquiot, aujourd’hui directeur du Théâtre Am Stram Gram à Genève, a écrit une cinquantaine de pièces dont quelques-unes pour la jeunesse, sans se dire spécialiste en la matière : «J’écris des pièces accessibles aux enfants, parce que c’est revenir à la source du jeu, à la source de la présence au monde, à ce début de l’être. Jean Genet dit : “Créer, c’est toujours parler de l’enfance » et Charles Baudelaire : “Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté ». »

Qu’est-ce que le génie ? Et une œuvre ?  Et quelle sera la mienne ? Ces questions courent tout au long de la pièce. Pertinentes à une époque où les enfants sont soumis aux pressions du marketing et de la performance. Chacun est unique, rétorque Fabrice Melquiot : « Je crois que nous avons eu ou que nous aurons tous droit , au cours de notre existence, à notre quart d’heure de génie.»

Comment chacun va-t-il réaliser le potentiel qu’il reçoit à la naissance ? La pièce propose une belle réponse à ces interrogations, en images, en chansons (toutes excellentes), et en courtes séquences dialoguées. «Je me sens, dit l’auteur, quand je m’adresse aux jeunes spectateurs, dans un devoir d’horizon.  Dans un théâtre des promesses (…) L’insulte à l’avenir est interdite, et la joie doit répondre aux angoisses, aux inquiétudes enfantines ; le chemin doit éclairer l’errance.»

 «Salut, j’existe, je n’ai rien d’autre sur ma liste», constate Suzette parvenue à vingt ans. Mais, à force de chercher son fameux Eurêka (« J’ai trouvé » d’Archimède, dans sa baignoire), elle finit par chanter : «Moi, j’ai trouvé mon Eurêka/Mon Eurêka, c’est moi ! »

Le théâtre jeune public prend ici un sérieux coup… de jeune. Les enfants ne s’y trompent pas et participent activement à ce «jouer ensemble».

 Mireille Davidovici

 

Théâtre de la Ville, Espace Pierre Cardin, jusqu’au 8 décembre.

13-15 décembre Théâtre en Dracénie, Draguignan

 

 

Le théâtre de Fabrice Melquiot est publié chez l‘Arche Éditeur

Carte blanche à José Montalvo

Carte blanche à José Montalvo au Musée d’Orsay

 

 

Carpeaux_ugolin_

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Pour fêter ses trente années d’existence, Guy Cogeval, directeur  du Musée d’Orsay, a demandé à José Montalvo, chorégraphe nommé récemment à la tête de la Maison de la Culture de Créteil, de créer avec son équipe, une performance dans la nef et les salles des galeries latérales. Et les visiteurs se souviendront de ce moment hors du temps… Ils se promènent et découvrent donc au hasard, danseurs, musiciens et chanteurs. La danse entre ici en résonance avec les œuvres, à commencer par la sculpture de Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), installée au milieu de la grande nef du musée. Ugolin,  dont le sujet est tiré de La Divine Comédie de Dante qui décrit Ugolin, tyran de Pise, enchaîné et muré dans la tour de la Faim avec ses enfants. En le voyant se mordre les mains de désespoir,  ils lui proposent, par piété filiale, de les dévorer… La musculature d’Ugolin rappelle Michel Ange.

Les artistes nous invitent aussi à voir Le Cirque, célèbre tableau de Georges Seurat (1859-1891) qui devient ici la toile de fond d’une rencontre entre une chanteuse et un danseur de hip-hop ; plus loin, la majestueuse maquette en coupe longitudinale de l’Opéra Garnier sert d’écrin au dialogue en mouvement d’une chanteuse et d’une danseuse. 

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Le Masque d’Ernest Christophe

Et devant la célèbre Danse de Jean-Baptiste Carpeaux, les interprètes, accompagnés d’une harpiste, se livrent sur une estrade à un déshabillage progressif, pour arriver à la nudité totale. Ils prennent les poses des personnages de l’œuvre, et finissent par faire corps avec elle. Image troublante ! Qui est de pierre, qui est de chair ? La sculpture humaine reste imposante… et parfois plus émouvante.

Cette performance déambulatoire a connu un beau succès : certains visiteurs, captivés par ces tableaux vivants, partaient en quête de nouvelles découvertes, et d’autres, gardant leur liberté de mouvement, se promenaient tranquillement dans les autres salles. Le mariage entre arts plastiques et danse, est ici magnifié par le travail de José Montalvo, et le corps des danseurs de sa compagnie rappelait à chaque instant la beauté des fresques, peintures et statues du musée d’ Orsay.

Jean Couturier

Performance dansée vue au Musée d’Orsay, 1 rue de la Légion d’Honneur, Paris (7ème), le 2 décembre.

Musee-orsay.fr     

Until the Lions

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Until the Lions, scénario de Karthika Naïr, chorégraphie d’Akram Khan

 

Hors scène, un être aux allures félines rôde dans les brumes puis se risque sur une plate-forme circulaire, coupe d’un tronc d’arbre gigantesque, dévoilant ses  anneaux de croissance.
Avec un public disposé autour de cette vaste piste. De longs bâtons, minces comme des lances, sont fichés dans le sol, où gît une tête humaine coupée. La créature rampe et se contorsionne sur une musique planante, présence androgyne, interprétée par Christine Joy Ritter.
Elle sera chassée par l’arrivée d’Akram Kahn, portant sur son épaule, telle une jeune épousée, la frêle Ching-­Ying Chien. Epiés puis rejoints par un mystérieux personnage, esprit de la forêt, double de la jeune fille ? Ils se lancent dans un duo, fait de courses-poursuites sauvages,  mouvements qui claquent, élans brisés et étreintes interrompues,  au rythme des tambours des chanteurs-musiciens, ou par une romance à la guitare.
A deux ou à trois, les danseurs, munis de leur lances de bambou qui volent, vont bientôt s’affronter en combats tumultueux mais savamment réglés, ou frappent la terre qui s’ouvre sous  leur coups titanesques… Les éclairages de Michael Hulls, qui tombent en couronne depuis le haut de la grande halle de la Villette, magnifient et dramatisent l’action et l’espace scénique de Tim Yip. 

 La chorégraphie de ce spectacle, créé au Royaume-Uni en novembre, raconte l’histoire de la princesse Amba. Le chorégraphe anglais, d’origine bangladaise, revient aux sources: le Mahâbhârata de son enfance, où, dans un univers magique, héros et dieux se côtoient dans des aventures pleines d’amour, de bruit et de fureur.
   Akram Khan avait, à quatorze ans, obtenu son premier rôle dans cette saga indienne, adaptée par Peter Brook. Il maîtrisait déjà l’art de la danse kathak à laquelle il a été formé, à sept ans, par le grand danseur Sri Pratap Pawar. Le temps a passé et son style enrichi par la danse contemporaine occidentale, notamment  auprès d’Anne Teresa De Keersmaeker à Bruxelles, s’est épanoui, et il est devenu une des étoiles de la danse actuelle. Comme dans l’inoubliable duo  Zero degrees (2005), avec Sidi Larbi Cherkaoui, et plus récemment dans ses pas de deux, avec Israel Galvan ( Voir Le Théâtre du Blog) …

 

Des innombrables épisodes du Mahâbhârata, Akram Khan a retenu l’histoire d’Amba, une héroïne ambigüe : «Dans ces contes passionnants, les personnages qui n’ont cessé d’habiter mes souvenirs, sont féminins. Comme dans beaucoup de mythes, ce sont souvent des  femmes incomprises. (…) D’après moi, Amba, héroïne méconnue  est aussi un métamorphe,  puisque son corps se transforme en corps masculin ». Le chorégraphe emprunte son schéma narratif au roman de Karthika Naïr, Until the Lions : Echoes from the Mahâbhârata. La princesse Amba aime Shalva mais est enlevée par le prince Bheeshma. Comme  il a fait vœu de chasteté, il repousse ses avances. Que va devenir la jeune fille ? Rejetée, elle se vengera, mue par une force supranaturelle et l’aide de Shiva. Pour cela, elle se réincarne en homme. Mais Bheeshama la reconnait, et se laisse tuer par elle . 

« Je souhaite explorer la notion des sexes. (…)  J’ai toujours eu peur d’approfondir les problèmes relatifs au genre, surtout à cause de mon éducation. Cependant, ces thématiques demeurent présentes dans notre vie intime. (…) La danse nous permet ces questionnements. » Mais ici, la question du genre n’est évoquée qu’en filigrane. On retiendra surtout ici un spectacle flamboyant de sensibilité et de beauté. Ici, la chorégraphie mêle gestuelle traditionnelle et contemporaine, nuancée par des interprètes d’exception.

Narrative, comme la danse indienne, l’action est répétée à l’envi : enlèvement, duo amoureux, le rejet, vengeance, et mise à mort sont joués et rejoués avec d’infimes variations, en parfaite corrélation avec la musique originale de Vincenzo Lamagna, accompagnée des percussions et voix de Sohini Alam, David Azurza, Yaron Engler. Jusqu’à l’image finale, saisissante. Un vrai bonheur.
Le titre Until the lions renvoie à un proverbe du peuple Ugbo (Nigéria) : «Tant que les lions n’auront pas leur historien, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur ».  Proverbe qui pourrait aussi bien s’appliquer aux personnages féminins…

Mireille Davidovici

Grande Halle de la  Villette, programmé avec  le Théâtre de la Ville, jusqu’au 17 décembre.

Et les 20 et 21 janvier, à Luxembourg ; le 16 février à Angers ; les 21 et 22 février, au Théâtre de Sète; les 26 et 27 février, au Quartz de Brest; les 3 et 4 mars, à Reims.

 Until the Lions est publié aux éditions Harper Collins India, 2015/Arc Publications – UK, 2016 

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Les Émigrés de Slawomir Mrozek

Les Émigrés de Slavomir Mrozek traduction de Gabriel Meretik, mise en scène d’Imer Kutllovci

 

les-c3a9migrc3a9s-13pascal-gc3a9ly-rc3a9duitL’auteur  polonais (1929-2013) développe à sa façon un théâtre de l’absurde. Mais, à l’origine du non-sens existentiel, la fatalité est ici sociale et intellectuelle, plutôt que métaphysique ou psychologique.

Et cette pièce (1970), mise en scène par l’homme de théâtre albanais Imer Kutllovci, oppose l’intellectuel au rustre, et plus généralement, l’hypocrisie à la violence, le civilisé au barbare, la belle idée à la vie vécue, ou encore l’humanité à la bestialité.  Cela se déroule dans l’inamovible d’une existence subie et les deux  hommes ne réussissent jamais à sortir de leur condition, même quand ils résistent, en luttant pied à pied contre un quotidien dégradant, et qu’ils multiplient les tentatives, tout aussi désordonnées que malhabiles, pour réagir contre un destin personnel qui s’annonce odieux.

Ils créent, à travers la dialectique de leurs échanges verbaux – économie de la parole, ironie, sous-entendus, non-dits et sarcasmes à peine voilés – un long suspense tenace. Jamais à court d’initiatives, propices  à un  rire salvateur qui casse les tensions et apaise l’émotion. L’ouvrier ment, pour garder l’équilibre contre la grisaille des jours, et se vante de ses prétendues virées joyeuses à la Gare centrale. Et l’intellectuel, lui, lecteur désenchanté qui ne prend pas l’air et ne se change guère les idées, l’arrête dans son envol pour restituer brutalement la vérité, réduisant son «colocataire» à un mystificateur, en mal de fantasmes : « Si tu aimes aller à la gare, c’est que tu es là-bas un étranger parmi d’autres, alors que, dans la rue, tous te reconnaissent comme l’étranger qui dépareille trop. »

De son côté, l’intellectuel trompe non son partenaire mais  lui-même, et refuse d’admettre qu’il n’écrira sans doute pas le livre qu’il prétend rédiger dans une totale liberté, d’abord longuement rêvée, puis enfin conquise. Mais la vraie liberté est bien ce qui manque à l’un comme à l’autre, même s’ils se sont échappés tous deux de l’enfermement de leur propre pays pour accéder à une autre, symbolique mais pas intérieure. Sans le sou, ils gagnent pauvrement leur vie, en accumulant les heures de travail!

Sont aussi évoqués dans cette pièce, l’idée aléatoire et contestable du progrès, et les régimes opposés de l’Est et de l’Ouest, selon l’endroit d’où l’on part et celui où on arrive. Le dissident politique dit au travailleur manuel que leur pays, de l’autre côté d’un mur alors non encore  tombé, possède bon nombre de casernes et de soldats.

Ce théâtre, entre comique et tragique, se mesure à l’aune des problèmes de notre temps et flirte avec  la désillusion. Mais Slavomir Mrozek ne savait pas que le thème de sa pièce dépasserait les blocs politiques de son époque, et toucherait à une dimension universelle avec une question très ancienne celle des migrants, réfugiés politiques et/ou économiques… qui s’avère de plus en plus brûlante. Excellents acteurs, le bosniaque Mirza Hlilovic et le russe Grigori Manoukov, sont attentifs à l’écriture et à la pensée rigoureuse de Slavomir Mrozek, et incarnent bien ces émigrés, frères d’infortune, vivent, couchés sur des matelas de misère dans une pièce basse de plafond , entre tuyaux d’eau et bouches d’aération, dans des conditions très difficiles.

L’ouvrier, lui, a le verbe haut et un corps libre, malgré ses chaussures de ville qui le font souffrir,  et a une humilité intuitive, face à la supériorité de classe de son interlocuteur. Il s’accapare d’un lieu pour mieux le comprendre et l’investir, et le fait qu’il n’y ait pas ici la moindre trace de mouche, l’offusque. Chez lui, à la campagne, toute vie allait, bon an mal an, entre mouches et attrape-mouches…
Grigori Manoukov, lui incarne un être méditatif et douloureux,  qui avoue parfois  être  un « salaud » et un délateur, utilisé à des fins politiques. Ce que l’ouvrier, n’est pas, lui, juste soucieux du bien-être de sa femme et de ses enfants restés dans son pays.
Mais tous deux ont besoin l’un de l’autre pour se sentir exister, et n’ont aucune condescendance entre eux: chacun va loin dans l’exploration existentielle. Rires, provocations, coups physiques et humiliations, regrets et pardons : un duel, aussi fort que délicat… entre boîtes de conserves et bouteille de vodka !

 Véronique Hotte

Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle, 75018 Paris,  jusqu’au 23 décembre, et les 28 et 29 décembre. T : 01 40 05 06 96.

Le texte de la pièce est publié chez l’Arche Éditeur.

 

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