Banque centrale de Frank Chevallay

 

Banque centrale  de Frank Chevallay, mise en scène d’Alexandre Zloto et Frank Chevallay

DR Franck Chevallay

DR Franck Chevallay

Nous avions vu l’an passé sur la plus grande scène de ce même théâtre Les Banquiers, une charge très drôle (voir Le Théâtre du Blog) sur l’affairisme des banques et sur les méthodes qu’elles emploient pour gruger sans aucun état d’âme les petits épargnants. Dans une belle cave voûtée mais sur un tout petit plateau inconfortable, le comédien reprend un spectacle qui traite de ce même thème: la finance, les banques et le pouvoir. Cela se passe dans un hôpital psychiatrique où un malade se prend pour l’Etat, et essaye de résoudre ses ennuis financiers, en faisant des calculs à partir du sac de morceaux de sucre distribué chaque semaine aux patients…

Comme le montre bien Olivier Pastre dans La Banque, les activités de prêt existaient déjà en Mésopotamie vers 2.000 avant J.C. Les opérations portaient, non pas sur la monnaie mais sur des biens précieux. Avec des “banquiers”, alors simples loueurs de coffres et prêteurs sur gages. On connait la suite, avec déjà l’invention des chèques dans la Rome antique, l’activité bancaire des marchands lombards au XIIIème siècle qui pratiquent le prêt à intérêt, le compte à vue, et la lettre de crédit, toutes inventions qui vont favoriser l’essor du capitalisme en Europe; comme hier avec les chèques, ou maintenant par Internet, c’est de l’argent fictif qui circule: il n’y a plus ainsi besoin de transporter de la monnaie métallique sur des routes dangereuses parce qu’infestées de brigands…

Et dès le XVIème siècle, l’Angleterre mit  en circulation les premiers billets de banque et le XVIIème siècle a vu se développer le papier monnaie, l’usage des chèques  et la création de banques centrales soumises au pouvoir politique. T
out cela allait tant que les banques avaient  dans leurs coffres la garantie de métaux précieux-la tentation était grande en effet de prêter de l’argent virtuel-et à condition que la confiance continue à régner et que tout le monde ne veuille pas récupérer son liquide en même temps! D’où, dans le cas contraire, des faillites retentissantes comme celles des frères Pereire au XIXème siècle.

Les banques pouvaient même se permettre de prêter à des gens pas riches du tout, voire pauvres, en ayant comme seule garantie un bien immobilier qui valait ce que vaut le marché. Mais bien entendu, quand ces gens étaient incapables de rembourser ces prêts hypothécaires, le nombre d’habitations sur le marché explosa, d’où la trop fameuse crise des subprimes, il y a dix ans aux Etats-Unis. Avec comme conséquences, des expulsions, une économie locale incendiée, et des pertes considérables, par effet domino, des banques  locales puis un peu partout dans le reste du monde.

C’est tout cela que nous explique Franck Chevallay sur le mode ludique. Très habile, l’auteur et comédien sait expliquer seul en scène, toute cette histoire pas très simple de finances qui nous concernent tous. Avec une diction et une gestuelle impeccables. Malgré un monologue qu’il faudrait revoir : la relation est peu évidente avec ce patient d’hôpital psychiatrique  et ses kilos de sucre qui se perd en route pour ensuite réapparaître…

Frank Chevallay tient bien  son personnage jusqu’au bout, notamment à la fin quand il décrit bien mais trop vite le mécanisme des subprimes : dommage, c’est tout à fait passionnant… Mais on  lui souhaite de trouver un lieu plus correct que ces quelques m2, encombrés d’un piano, et où le public limité à vingt personnes est aussi mal installé que lui, sur des chaises et une vieille banquette défoncée. Le Théâtre de Déchargeurs ne peut-il lui offrir la salle du haut ? Il le mériterait amplement…

Philippe du Vignal

Théâtre de Déchargeurs  3 Rue des Déchargeurs, 75001  Paris. T : 01 42 36 00 50,  jusqu’au 15 avril, uniquement le samedi à 19h30. 

Le samedi 18 février à 17h00, rencontre entre Franck Chevallay et la coopérative de finance solidaire NEF qui propose une autre façon de faire l’économie. Cette banque a organisé un financement participatif pour la création de Banque centrale.

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Archive pour janvier, 2017

L’Ombre de la baleine de Mikaël Chirinian

 

L’Ombre de la baleine de Mikaël Chirinian, très librement inspiré de Moby Dick d’Herman Melville, mise en scène d’Anne Bouvier

Cet auteur a commencé à être repéré, et La liste de mes envies de Grégoire Delacourt qu’il avait adapté pour la scène, avait connu un beau succès. Ce texte, beaucoup plus personnel, a comme thème, la famille; Mikaël Chirinian y met en parallèle sa propre histoire et celle de Moby Dick : «Je me suis lancé, dit-il, dans l’adaptation de ce morceau de la littérature américaine, comme on part en mer. Quelque chose de surprenant s’est alors produit, plus j’avançais dans l’histoire, plus le regard d’Ismaël m’apparaissait familier ; plus je travaillais, plus je reconnaissais l’obsession et la rage du capitaine Achab à s’évader de sa propre muraille. (…) C’était mon histoire qui se jouait sur ce bateau. En plongeant dans Moby Dick, c’est l’ombre de mon enfance qui est apparue. »

Un récit très personnel où le jeune Mikaël se débat avec sa sœur qui tutoie la folie, alors que leur père passe son temps à regarder des westerns, et que leur mère semble douce mais un peu dépassée. Sans juger ni accuser les siens, il peint ici un tableau du malaise familial. Pour ne pas nous livrer un récit trop brut et surtout prendre du recul, il s’accompagne ici d’une marionnette qui le représente enfant (mais avec la même barbe fournie qu’aujourd’hui !)

Anne Bouvier a axé sa mise en scène sur de nombreux moments où, grâce à cette marionnette qui lévite sur le fond de scène, s’accroche à un mât, à une corde venue des cintres, ou virevolte entre les mains de Mikaël Chirinian qui peut ainsi dialoguer avec lui-même enfant. Mais ces nombreuses manipulations manquent parfois un peu de fluidité et la marionnette plante quelquefois son regard dans celui de Mikaël et, à d’autres moments, a un regard fixe, un peu dans le vague… Seul en scène, le comédien interprète aussi tous les personnages de ce spectacle parfois un peu sur-joué;  ce qu’il aurait mieux fallu éviter, surtout avec un texte dramatique comme celui-ci.

L’évidence du parallèle entre l’histoire de Mikaël Chirinian et celle d’un chasseur de baleines n’apparaît pas clairement, et ce voyage intérieur parle peut-être moins au public qu’à l’auteur, même si Anne Bouvier a conçu une ingénieuse mise en scène avec un simple plancher où des trappes, une fois ouvertes, laissent apparaître une étonnante constellation de pliages de papier bien éclairés; entre origami et livre animé, elles apportent une belle touche de poésie…

Le thème de la famille, on l’a dit, continue-ce qui n’est pas toujours évident-à inspirer les  créateurs de théâtre. Mikaël Chirinian et Anne Bouvier sont pourtant arrivés à créer avec L’Ombre de la baleine, un spectacle à la fois personnel et universel.

Julien Barsan

Théâtre Paris-Villette 211 avenue Jean Jaurès, 75019 Paris.T.01 40 03 72 23, jusqu’au 11 février.

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S’embrasent de Luc Tartar

 

S’embrasent de Luc Tartar

 

tartarL’histoire se passe dans une cour de collège, dont le train-train quotidien va être bouleversé par un événement de la plus haute importance : Latifa, la nouvelle élève a été embrassée par Jonathan, le plus beau des garçons. On apprend aussi que Jonathan cristallise l’attention des filles, des garçons mais aussi du directeur. Et que cette voisine, une vieille dame qui se présente elle-même comme une rescapée de la canicule, observe, connaît chaque enfant, et laisse des préservatifs à disposition sur le rebord de sa fenêtre.

C’est un récit sur l’amour, dans le microcosme de l’école. Luc Tartar aborde un sujet aussi universel que banal; pourtant S’embrasent est un texte tendre et rafraîchissant sur l’amour où se développe une vraie poésie. «Ce qui m’intéresse avant tout, dit-il, dans l’émoi amoureux, c’est l’envahissement des sens, des corps, c’est l’énergie qui circule entre les êtres et qui agit forcément sur l’équilibre intérieur des personnes. Tomber amoureux, (…) c’est bousculer, heurter, et, in fine remettre en cause l’ordre établi (…) L’amour est un vertige qui nous fait avancer. Je pense à la sculpture d’Alberto Giacometti, L’homme qui marche. »

Deux jeunes filles et deux garçons jouent en alternance les séquences. Et au début, une grand-mère traverse le plateau de cour à jardin, de manière un peu fantomatique, puis s’incarne peu à peu, sur un sol marqué par des lignes comme dans les gymnases, et que la lumière viendra surligner. En fond de scène, un tableau noir qui sera rempli de paroles. La mise en scène d’Éric Jean colle bien avec cette fougue de la jeunesse, et ses comédiens, tous justes, ne tombent  pas dans l’imitation des enfants qu’ils sont censés être.  Sur de nombreuses musiques, avec, entre autres, La belle Histoire de Michel Fugain et Where do I begin, un délicieux play-back où la vieille dame qui se prend pour Shirley Bassey-des lumières changeantes rendent compte de cet état de sidération où plonge  les amis de Jonathan et Latifa.

Pour le spectateur, c’est donc comme devenir amoureux, il en prend plein les yeux et les oreilles, ça bouge de partout, et la pièce est bien rythmée: Luc Tartar possède une belle écriture et se révèle être un excellent dialoguiste. Un beau moment de spectacle très frais que nous offre le Théâtre Bluff, venu du Québec pour quelques dates en France. Bravo et merci au Théâtre Paris-Villette de nous avoir offert cette pépite. Une petite heure qui nous replonge dans l’adolescence et les premières amours…

Julien Barsan

Spectacle vu au Théâtre Paris-Villette. Treize Arches de Brive, le jeudi 2 février. T : 05 55 24 62 22.

Ce qui nous regarde, de Myriam Marzouki

 

Ce qui nous regarde, conception et mise en scène de Myriam Marzouki, d’après des extraits de textes d’Alain Badiou, Patrick Boucheron, Virginie Despentes, Sébastien Lepotvin, Myriam Marzouki, Pier Paolo Pasolini et Mathieu Riboulet

img_0535-e1485695397119 Myriam Marzouki pose la question:  quelles sont les raisons pour lesquelles une femme porterait le voile, mais se demande surtout quel regard porte la société française de manière affective à l’image si apparemment étrange de la femme voilée: affront, peur, fascination, rejet, curiosité, incompréhension…

Le voile: juste un morceau d’étoffe destiné à cacher le visage ou le front et les cheveux, le  corps entier ou une partie, et cela pour un motif religieux. Autrefois, on entrait en religion pour se faire servante de Dieu: on « prenait le voile ». Le voile islamique lui, est soit foulard, hidjab, tchador  voire burka.

Ici, une étudiante en droit décide un beau jour de porter le voile, au grand dam de son père athée et intransigeant. L’effervescent Rodolphe Congé qui interprète ici tous les hommes est très convaincant, et Louise Belmas joue une fille portant librement? le hidjab noir, sportive vindicative s’entraînant à se battre avec des gants de boxe d’un rouge écarlate contre un adversaire invisible.

La gestuelle de ces pas dansés arrête le regard du spectateur qui s’interroge sur la pensée intime de cette boxeuse. La jeune fille-toutes les filles-portant pantalon et T-shirt, pose la question de la nudité: une attitude à considérer  autant que celle du port du voile!  Et elle explicite son point de vue en passant à l’exercice pratique: se dénuder les seins. La comédienne s’agenouille, animale, et joue la femme «libérée» sexuellement.

La nudité féminine n’est-elle pas le sésame obligé pour les publicités que les magasines de mode offrent pour parfums, voitures ou bijoux de luxe ? Le consumérisme réduit la femme à un objet, avec un abus évident où la référence d’une société est le mâle. « La femme nue, c’est le ciel bleu. Nuages et vêtements font obstacle à la contemplation. La beauté et l’infini veulent être regardés sans voiles », écrivait déjà Victor Hugo.

 L’auteure et metteuse en scène Myriam Marzouki, philosophe, athée et féministe, pousse loin l’exploration des imaginaires collectifs, affects, fantasmes : héritage pesant d’une histoire coloniale, avec une analyse intuitive de ce qu’un corps ressent face à un autre qui lui dissimule  une partie visible, par convention, de lui-même. La question du voile, sans réponse, reste ouverte avec autant de points de vue que d’époques…

Photos et documents d’archives se succèdent subtilement, avec quelques instants d’un film où on voit Nasser, second président de la république d’Egypte de 1956 à 1970, se moquant déjà en 1953 du port du voile qu’exigeaient alors les Frères musulmans. Photos des ancêtres ukrainiennes et tunisiennes au petit foulard, de la metteuse en scène, photos aussi d’algériennes dépossédées de leur voile par les tenants de l’Algérie française au début des années 60, vidéos de femmes voilées, atterrées après l’attentat contre Charlie, extraits de L’Épître aux Corinthiens de Saint-Paul déclamés et chantés par Rodolphe Congé.

 Théâtre dans le théâtre enfin, avec, à l’intérieur d’une alcôve en fond de plateau, l’élégante Johanna Korthals Altès à la chevelure abondante, en robe longue, pour un tableau atemporel d’une vanité, assise devant une table avec miroir, bougie et crâne. Pendant ces scènes tendues  mais ludiques avec allers et retours du plateau à l’écran ou au tableau, résonne la musique au rythme sûr et enthousiaste du libanais Waël Koudaih alias Rayess Bek, compositeur, chanteur et performeur qui va de l’électro au rap, entre sonorités musicales occidentales et arabes. C’est l’un des représentants majeurs des musiques urbaines dans le monde arabe. 

Ce que dit finalement Myriam Marzouki: le voile est à réinscrire dans son contexte; porté par une femme certes, mais pas n’importe où, dans un quartier, une communauté, une appartenance que l’on accepte ou que l’on n’accepte pas, et dans une réalité sociale qui reste à décrire. Ce spectacle ardent sous-tend le respect dû à la femme et la volonté de ne pas signifier le voile comme seul outil d’enfermement féminin…

Véronique Hotte

Théâtre de L’Echangeur, 59 Avenue du Général de Gaulle, 93170 Bagnolet. T : 01 43 62 71 20, jusqu’au 9 février.
Festival Reims/Scènes d’Europe, Comédie de Reims, le 11 février. Théâtre Nouvelle Génération à Lyon, du 15 au 17 février.

Donnez-moi donc un corps

 

Donnez-moi donc un corps, d’après Ovide, Rainer Maria Rilke, Georges Rodenbach, Fernando Pessoa, Franz Kafka, Gwenaëlle Aubry… mise en scène de Sarah Oppenheim

donnez moiLa metteuse en scène s’était déjà fait connaître, notamment avec Saisir d’Henri Michaux et La Voix dans le débarras de Robert Federman (voir Le Théâtre du Blog). Ce nouveau spectacle se veut une libre rêverie “sur le sentiment étrange d’habiter son corps, dit Sarah Oppenheim, et sur nos désirs et peurs de métamorphoses. Il y a ceux qui ne se reconnaissent pas dans la glace et qui aimeraient se faire autre. Il y a ceux qui ont perdu leur reflet et qui aimeraient juste être quelqu’un. Il y a ceux qui se sentent trop à l’étroit dans un seul corps et qui aimeraient être plusieurs … Et il y en a tant d’autres encore !”

 Sur le plateau, une belle installation plastique avec une grande branche dans le fond, plusieurs bassines en zinc, et à cour, une grande table avec neuf miroirs rectangulaires posés dessus et devant, qui seront ensuite disposés en ligne sur la scène mais à l’envers. Tout se passe dans une lumière crépusculaire qui ne variera guère. Avec trois personnages: un jeune homme aux longs cheveux en slip noir et grosses chaussettes de laine, se lave très lentement dans une cuvette, une jeune femme habillée de la même façon en fait autant. Et, d’abord assis à la table, un homme plus âgé, mange une pomme très lentement; plus tard, nu, il traversera la scène.
Si on bien compris, tout se passe surtout autour des trois corps de ces personnages solitaires qui n’ont pas grand chose à voir entre eux, sous une pluie qui tombe des cintres sur un grand châssis de verre et qui envahit le plateau sous un magistral tonnerre. L’élément eau semblant être un des thèmes favoris de la créatrice. On reconnaît  mais on n’entend pas très bien des bribes de textes d’auteurs comme ceux de Rainer-Maria Rilke, Fernando Pessoa, Franz Kafka

Comme dans Saisir, aucun doute là-dessus, Sarah Oppenheim sait créer un univers plastique comme ici, avec la collaboration d’Aurélie Thomas et Louise Dumas.,Aux meilleurs moments, cela rappelle ceux de Meredith Monk, Bob Wilson ou Tadeusz Kantor. Oui, mais voilà, Sarah Oppenheim semble avoir eu du mal à diriger correctement ses acteurs Jonathan Genet, Fany Mary, Jean-Christophe Quenon à la diction approximative, ce qui est plutôt ennuyeux quand on veut mettre en valeur quelques phrases poétiques. On saisit quand même l’histoire de deux jeunes filles élevées par leur père… Mais Sarah Oppenheim, elle, a commis une autre erreur en imposant en permanence une lumière crépusculaire, et du coup, le spectacle qui ne dure pourtant qu’une heure… paraît bien long!

Dans Saisir, le texte d’Henri Michaux porté par Yann Colette s’avérait trop envahissant par rapport à des images d’une grande beauté. Cette fois, c’est plutôt le contraire, et on aurait aimé que ces bribes de texte prennent tout leur sens dans un univers visuel aussi imposant. Dans un théâtre minimal et intimiste qui se rapproche de la performance, l’équilibre n’est certes pas des plus faciles à trouver- Claude Régy, grand maître dans ce genre d’exercices, n’y a pas toujours réussi- Sarah Oppenheim devrait y arriver; mais, malgré encore DONNEZ-MOI-DONC-UN-CORPS_3536545972157434048__2une fois de très grandes qualités plastiques, ce petit spectacle nous a laissé sur notre faim…
 
Philippe du Vignal

Petite salle du Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 5 février. T : 06 65 25 58 60.
Et Musée du  Louvre à Lens, le 18 mars.

 

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Alma Mahler-Eternelle amoureuse

 

Alma Mahler-Eternelle amoureuse de Marc Delaruelle, mise en scène de Georges Werler

 

39183_636197420410960183 16.31.33Muse de nombreux artistes au début du XXème siècle autrichien, Alma Mahler (1879-1964), née à Vienne et morte à New-York, fille du peintre Schindler, elle-même peintre et compositrice de lieds, fut l’épouse de Gustav Mahler, puis de l’architecte Walter Gropius et enfin du romancier Franz Werfel. Esprit idéaliste, la belle et passionnée Alma, objet sensuel de curiosité, est une amoureuse séduisant les créateurs quels qu’ils soient, dont l’écrivain Elias Canetti…

On ne saisit qu’approximativement cette amante fatale à travers son Journal et la biographie de Gustav Mahler par Henri-Louis de la Grange publiée chez Fayard). Toujours à côté ou dans l’ombre d’un mari négligent, elle eut une vie mouvementée de femme libre qui  provoqua intérêt du cinéma. Et  Alma Mahler, ou l’art d’être aimée par Françoise Giroud fut un grand succès .

Cette égérie de grande culture fréquenta les milieux viennois où brillent les créateurs subversifs du temps et d’éminents artistes, comme Gustav Klimt auquel elle aurait donné un premier baiser, et Zemlinsky, son professeur qui fut amoureux de celle qui a pour amis, Arnold Schönberg, et Gustav Mahler; de vingt ans son aîné, il devint son premier époux. Ils eurent deux filles, dont l’aînée mourra à cinq ans. Après la mort de son mari, Alma est la maîtresse d’Oscar Kokoschka, et lui inspirera la célèbre toile La Fiancée du vent  mais rompra avec lui peu après. En même temps, elle fréquente en effet Walter Gropius qu’elle épouse en 1915, et dont elle divorce en 1920. La mort à dix-huit ans de leur fille Manon inspirera à Alban Berg son Concerto à la mémoire d’un ange (1935).

Dès 1920, Alma vit avec Franz Werfel et attend un enfant qui mourra prématurément ; elle épousera ensuite ce romancier qui, comme Gustav Mahler, fuit l’antisémitisme. Alma, confrontée à l’exigence et à la rigueur du compositeur qui ne supporte aucune prétention artistique, admire cependant son époux mais elle, ne fut pourtant pas reconnue  comme une  véritable créatrice. D’où sans doute ses errances extra-conjugales et l‘apparente légèreté dont on l’accusera.

Le texte de Marc Delaruelle, un peu rudimentaire, n’offre pas à cette héroïne des  dialogues suffisamment dignes de ses rêves. Malgré une  mise en scène de Georges Werler et un décor d’Agostino Pace efficaces… La majestueuse Geneviève Casile joue Alma devenue une vieille dame qui discute, avec son éditeur new yorkais, des premières épreuves de son autobiographie. Vindicative, moqueuse et sans concession, elle exige attention et compréhension. Allant et venant du présent au passé, de la pluie quotidienne aux souvenirs de ses passions vécues, elle jongle  gracieusement avec un temps inexorable.

Julie Judd, plus effacée, incarne Alma jeune et Stéphane Valensi, lui endosse tous les rôles masculins, époux et amants virils, Gustav Mahler comme Oscar Kokoschka, et cet éditeur que bride Alma Mahler. L’acteur qui l’incarne obéit à l’autorité féminine, disparaît, taiseux puis revient, après avoir changé de  costume en quelques minutes, métamorphosé en peintre fou ou en architecte rangé…

Un spectacle qui invite à en savoir toujours plus sur cette mystérieuse inspiratrice.

 Véronique Hotte

 Petit Montparnasse à 19h, 31 rue de la Gaité, 75014 Paris. T : 01 43 22 77 74

 

Intérieur de Maurice Maeterlinck, mise en scène de Nâzim Boudjenah

Intérieur de Maurice Maeterlinck, mise en scène de Nâzim Boudjenah

Intérieur (c) Simon Gosselin, coll. CF_5403

©Simon Gosselin, collection CF

A son tour, Nâzim Boudjenah met en scène cette pièce, promesse troublante d’une maison éclairée et perdue dans la nuit. Avec une précaution infinie,  il crée un esthétisme japonisant qui se mêle à la peinture de Paul Delvaux, comme dans  Skeletons in an office (1944) : ici, la présence surréaliste de la mort flotte aussi, mais à l’extérieur de la maison. Un vieil homme, accompagné d’un étranger, vient de trouver le corps d’une jeune fille noyée et doit annoncer le tragique événement à la famille. A travers les fenêtres de cette maison isolée, ils observent le père et la mère dont le nourrisson dort dans ses bras; leurs deux autres filles participent sereinement à la veillée.

Alors qu’approche le cortège des villageois, le vieil homme ne se résigne pas à pénétrer dans la maison de peur d’en briser l’harmonie: « Je ne savais pas qu’il y eût quelque chose de si triste dans la vie, et qu’elle fît peur à ceux qui la regardent …Ils ont trop de confiance en ce monde… Ils croient que rien n’arrivera parce qu’ils ont fermé la porte et ils ne savent pas qu’il arrive toujours quelque chose dans les âmes, et que le monde ne finit pas aux portes des maisons. »

La «petite vérité» d’effroi qu’il recèle,  les lui fait voir depuis un autre monde. Marie, la petite-fille, surgie du cortège, arrive auprès de son grand-père, et préfère retarder l’annonce de cet événement tragique. Mais Marthe, l’autre petite-fille, s’étonne de ce silence prolongé, un non-engagement avéré de l’adulte qui lui répond «Marthe, Marthe, il y a trop de vie dans ton âme, tu ne peux pas comprendre… »

Pour Nâzim Boudjenah, la pièce convoque la confrontation intérieure «sans cesse repoussée mais sans cesse convoquée » avec la réalité de la mort, avec  une conscience active revisitée toujours qui trie l’essentiel de l’accessoire et n’en finit pas de s’étonner de ce miracle hasardeux d’être au monde et de vivre. Pour servir cette fresque vivante, se sont joints au metteur en scène le scénographe Marc Lainé, le créateur graphique Stephan Zimmerli et Richard Le Bihan, pour ses  dessins animés projetés en vidéo

 Avant d’être de chair, les personnages sont des petites ombres animées venues du lointain d’une estampe japonaise silencieuse, jouant de l’illusion d’optique et de la peinture symboliste, qui offre au public admiratif une géographie inventée, avec une longue rivière sinueuse et miroitante sous le balancement paisible des branches de quelques arbres…

Les silhouettes approchent et les personnages investissent alors le plateau de théâtre. On peut contempler une maison en bois aux lignes pures et claires, avec de larges baies baignées de lumière et un toit de chaume envahi par une végétation bienfaisante. Tout est calme et tranquille, à la manière baudelairienne ; le sombre décor enfantin d’un bois dominé par un paysage de verdure suscite rêves et craintes ; derrière la lumière heureuse entrevue, se tapit l’ombre du malheur. Et entourée d’une Nature consolatrice, l’âme recèle l’intuition existentielle de notre disparition.

 Pour partager ces ondes de vie et de mort, entre le silence tendu des instants et l’oubli salvateur de ces personnages blottis en leur imaginaire, Thierry Hancisse, Anne Kessler, Pierre Hancisse et Anna Cervinka témoignent d’une rare attention au monde, et d’une écoute fort juste du battement des cœurs à l’unisson…

 Véronique Hotte

Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Pyramide inversée du Louvre, Paris jusqu’au 5 mars. T : 01 44 58 98 58.

 

Le Dernier testament

 

Le Dernier testament, d’après Le Dernier testament de Ben Zion Avrohom de James Frey, adaptation de Mélanie Laurent et Charlotte Farcet, mise en scène de Mélanie Laurent

Testament_jeanLouisFernandez5Après avoir été joué notamment à  Marseille où l’a vu Michèle Bigot, le spectacle a émigré à Paris; comme elle l’avait bien souligné (voir ci-dessous), les insuffisances restent les mêmes et les choses, visiblement, ne se sont pas arrangées!

  A cause de la faiblesse de cette adaptation due en grande partie à l’insuffisance du scénario et à des personnages inconsistants (il faudrait analyser cette obsession actuelle  qu’il y a à adapter des romans connus à la scène!) et mise en scène plus que fragile.

« Il est ensuite évident qu’il fallait en faire une pièce, dit naïvement Mélanie Laurent dans la fiche-programme;  elle précise qu’elle a fait « un travail de débroussaillage pendant trois ans pour garder l’essentiel! » (sic). On se demande avec effroi, ce qui serait advenu, si elle y avait passé seulement un an! Et elle dit assez cyniquement qu’elle voulait adapter ce roman au cinéma mais que, faute d’avoir les droits, elle s’est rabattue sur le théâtre. Merci pour le théâtre…

Cette première mise en scène, très prétentieuse, qui tourne à vide et n’évite pas le bavardage ni aucun des poncifs du théâtre contemporain, comme entre autres, un plateau nu, des rideaux à lamelles, l’emploi d’images vidéo saturant l’espace, des projecteurs bien visibles à cour et à jardin pour des éclairages latéraux, un sol couvert de tourbe marron, etc. Et Mélanie Laurent emprunte beaucoup à Wouajdi Mouawad pour la dramaturgie, en particulier à Incendies, ce qu’elle reconnaît honnêtement! Mais ici,  on peut se demander qui est l’auteur…  En tout cas, on est loin du compte, et à des années-lumière de l’univers du dramaturge libano-québécois dont on a pu voir sur ce même plateau, nombre de spectacles, eux d’une belle intelligence scénique et d’une poésie flamboyante.

Ici, rien à faire, cette mise en scène sans aucun rythme, distille, et de façon irréversible, un ennui de premier ordre! Comme le révèlent les toussotements dans la salle qui se manifestent en permanence. Et nous serons plus sévères que Michèle Bigot (désolé, il n’y a ici aucune dimension magique!)… Que peut-on sauver de ce naufrage? Pas grand chose, sinon quelques rares belles images sans aucune sensibilité et très fabriquées, comme cette grande nappe blanche qui dégouline de sang, et les trois minutes d’un chœur surgi du public qui apporte un peu de fraîcheur, moment trop court mais tout à fait bienvenu dans ces deux heures éprouvantes, avec cerise sur cet indigeste pudding, une fausse fin!

Pour le reste, autant en emporte le vent glacé qui balaye la place du Trocadéro. Distribution très inégale: le récitant, au début, a bien du mal et annone son texte mais heureusement, il y a Lou de Lââge, toujours aussi brillante. Mais les autres comédiens, peu et mal dirigés, semblent un peu perdus sur ce grand plateau nu. Heureusement aussi, l’actrice et réalisatrice de cinéma a une grande chance: pouvoir compter sur une équipe technique très solide comme celle de Chaillot; de ce côté-là, il y a au moins un travail impeccable!

Reste une véritable énigme. On se demande pourquoi Didier Deschamps a accueilli cette première mise en scène sur le grand plateau de la salle Jean Vilar, objet de tant de convoitises chez les jeunes metteurs en scène qui en rêvent… sans jamais l’obtenir ? Mélanie laurent, soyons clairs, ne l’a pas obtenu grâce à son passé de metteuse en scène:  l’opération ressemble, en tout cas, à un bien mauvais coup porté à l’expression théâtrale dans une maison désormais surtout consacrée à la danse, et où il y a de belles réussites, comme cette reprise du Y Olé! de José Montalvo (voir Le Théâtre du blog) qui a fait salle pleine ce mois-ci. Ce qui ne sera sûrement pas le cas avec cette mise en scène de  Le dernier Testament qui va faire fuir le public!

Vous pouvez donc vous épargner sans regret ce médiocre spectacle, et l’épargner aussi, si vous êtes enseignants, à vos lycéens ou étudiants: ils ont droit à l’excellence et ce semblant de pièce risquerait de les dégoûter à jamais du théâtre contemporain.

Philippe du Vignal

Théâtre National de la danse Chaillot, Place du Trocadéro, Paris 16ème. T: 01 53 65 30 00. du 25 janvier au 3 février.

  Après une carrière au cinéma bien remplie, comme actrice et réalisatrice (rappelons le tout récent Demain), Mélanie Laurent arrive au théâtre avec un travail sur un roman qui évoque la venue de Ben, un nouveau Messie, dans le New-York d’aujourd’hui. Comme celui de Galilée, il doit faire face à toutes les formes de la misère humaine, et le XXIème siècle lui en offre une large palette : violence, racisme, solitude, chômage, drogue, cynisme généralisé, et large territoire propice aux miracles ! Lui aussi est juif, issu d’une famille orthodoxe convertie à l’évangélisme. Lui aussi aura à lutter contre le fanatisme des nouveaux pharisiens. Mais seul, fort de sa seule humanité, face à la misère des corps et des cœurs !

Mélanie Laurent avoue sa fascination pour ce texte qui parle la puissance de l’amour et elle a su s’entourer de comédiens et techniciens remarquables. Mais cette adaptation se révèle d’une grande faiblesse. Tout le monde ne s’appelle pas Julien Gosselin qui a su adapter un roman de Houellebecq mais aussi le fameux 2666 de Roberto Bollano… Que faire d’un narrateur qui ne sait quoi faire de ses bras ?  En fait, manque ici une véritable adaptation du texte au régime énonciatif, et une pluralité de voix… La scène exige en effet  une variété d’événements dans la narration, sauf  chez Claude Régy, aux mises en scène très dépouillées, voisinant avec le silence, et proches de l’incantation poétique.

Mais Mélanie Laurent situe dans un entre-deux maladroit, et la musique, aussi pertinente soit-elle, ne suffit pas à éviter un enchaînement linéaire des scènes. Les choses s’améliorent pourtant, quand surviennent des personnages qui en racontent un épisode. Il y a même de très beaux moments  comme la chute de Ben, de son échafaudage.  Poignante et poétique utilisation de la vidéo qui, comme l’exceptionnelle création-lumière de Philippe Berthommé, qui donne au spectacle une dimension magique…

Un autre épisode, pourtant bien humble dans sa facture, est aussi très réussi : Ben, le nouveau messie, incarcéré et  menotté, se trouve en tête à tête avec son geôlier, et réussit, par la seule force de son empathie à arracher cet homme à sa profonde détresse. Scène essentielle, presque silencieuse et très économe en moyens qui en fait ressortir la pure humanité.

Mais le texte lui-même n’échappe pas à une certaine naïveté : on aurait aimé qu’il soit plus corrosif pour évoquer la misère qui s’abat sur la cité. Mais ici, la peinture sociale sert de prétexte à un discours lénifiant, inspiré de l’évangélisme, alors que l’on serait en droit d’attendre un tableau virulent et acide. Et le discours qui conviendrait le mieux  n’est sans doute pas le prêche ! On a envie de répondre comme Amos Oz dans son dernier roman, Judas : «Aimer tout le monde, finalement, c’est n’aimer personne ! ».

Et on est ainsi très partagé devant la superbe image du dernier tableau, où l’amour se répand sur le monde, comme les langues de feu de l’Esprit-Saint sur la tête des apôtres à la Pentecôte, grâce à la création-lumière et à la grande beauté de la comédienne-danseuse, Nancy Nkusi. Et en même temps, cette vision béate  provoque l’agacement…

 Michèle Bigot

Spectacle vu au Théâtre du Gymnase, à Marseille, le 20 septembre.

 

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La vie trépidante de Laura Wilson


Jean-Marie Piemme

Jean-Marie Piemme

La vie trépidante de Laura Wilson, concert théâtral-ballade urbaine de Jean-Marie Piemme, mise en scène de Jean Boillot, musique d’Hervé Rigaud

Toujours intéressant d’avoir le privilège de voir, avant la création finale, un travail en cours sur une pièce de Jean-Marie Piemme. Après La vérité, L’Heure du Singe et Le Sang des amis, La Vie trépidante de Laura Wilson sera le quatrième texte du dramaturge belge que Jean Boillot met en scène.

C’est une histoire à la fois simple mais dont on ne cesse de démêler les multiples ramifications. Laura Wilson habite une grande ville, européenne mais non nommée; au chômage, elle ne retrouve pas de travail et sans revenu, rejoint donc le monde des pauvres et des exclus. Elle perd aussi la garde de son enfant, divorce, et vit de petits boulots. Un jour pourtant, on ne sait pourquoi, elle va se balader dans un musée et regarde avec admiration cet étonnant tableau qu’est La Chute des Anges de Brueghel (1562) qui semble déclencher sur elle-miracle d’une œuvre d’art-une autre vision du monde mais aussi d’elle-même. Son licenciement l’a profondément choquée mais il l’aura sans doute aussi mené sur la voie d’une réelle conscience d’elle-même, d’abord mais aussi politique.

 Elle a subi, comme tant d’autres, une injustice mais aussi qu’elle va devoir puiser en elle-même, le courage de se battre pour avoir la garde de son enfant, retrouver un emploi, un vrai domicile et sortir de sa solitude. Elle sait aussi qu’elle aura aussi le courage de  lutter contre l’indifférence des tièdes qui l’entourent. Laura, véritable prolétaire, n’a pas fait d’études, ne comprend rien au monde actuel, survit tant bien que mal à l’échec de son mariage, mais supporte sa misère sans l’accepter, avec un courage et une ténacité exemplaires. Elle monte ainsi sur un tonneau pour dénoncer l’absurdité des votes, gifle sans état d’âme son ex-patron, et alors qu’elle n’a rien, donne de l’argent à un SDF…

Croit-elle toujours en l’amour? Sans doute pas vraiment, mais elle a au moins pour elle, une certaine rage de vivre et d’aller à la rencontre des autres. Et elle rêve d’avoir enfin une vraie carrière et de fréquenter des collègues intelligents et sympathiques… Mais elle regarde aussi avec une amie, des séries télé, ou des films sirupeux à la sauce Hollywood. Faute d’un présent acceptable mais forcément décevant, elle se réfugie dans ces fictions et dans l’imaginaire que peuvent lui procurer ces images fugitives. Même si elle a une vie soi-disant trépidante qui tient en fait à de petites aventures dont une avec Julien, un brillant et riche archéologue. Mais Laura, très vivante, sympathique, a tendance à avoir une conduite d’échec, et leur amour sera bien entendu de courte durée.

Comme le dit Jean Boillot: « C’est une de ces «nageuses» que Jean-Marie Piemme affectionne de décrire, filles du peuple, héroïnes banales et modestes, qui s’agitent intensément pour ne pas couler. » (…) L’auteur nous livre ici le portrait d’une femme de peuple, dans la lignée des Dardenne (même ville d’origine), Zola, Renoir ou Ken Loach. Mais pas de misérabilisme ni de véritable représentation de la réalité. Au contraire, bien vivante elle le prouve en s’attaquant au cynisme du monde, seule contre tous, grâce à son appétit de justice, et à son extraordinaire énergie vitale. »

Et Jean-Marie Piemme dit,  avec légèreté et une certaine drôlerie parfois un peu dure, les choses les plus graves, celle d’une leçon de vie, entre comique et tragique, mais sans réalisme, autre que celui des corps. La mise en scène respecte les divers niveaux de lecture du texte, ce qui n’est pas toujours facile, puisque Jean-Marie Piemme installe des personnages dans des récits ou de courtes scènes, selon un tempo très variable. Mais il dit laisser carte blanche pour monter cette pièce. «Aujourd’hui, dit Jean Boillot, la montée des populismes en Europe m’a décidé à le mettre en scène, pour raconter la trajectoire d’une femme qui aurait pu être tentée de plonger dans une colère réactionnaire, mais qui, malgré tout, parvient à tracer son chemin de vie »

Laurence Villerot, la scénographe habituelle de Jean Boillot, a imaginé un plateau nu, avec des pendrillons, quelques parois transparentes, un portant pour quelques costumes que les comédiens enfilent au besoin, et des instruments : guitare, clavier, pédales d’effets et magnétos. Et surtout dans cet espace vide, un peu étrange, le temps de quelques minutes, surgissent, magnifiques, les projections sur écran des célèbres petits tableaux de Brueghel : La Chute des anges (1562) et Paysage d’hiver (1565) qui fascinent littéralement Laura. Et on la comprend : l’un, avec un magma de corps humains monstrueux et de démons, surréaliste avant la lettre où on voit ce qu’on pourrait ne pas voir, vu le petit format du tableau, comme entre autres: un cul humain qui pète… L’autre où toute une société paysanne se régale à patiner-déjà!-sur une rivière gelée. Eblouissant d’intelligence picturale et de sensibilité ! Et notre regard, comme celui de Laura, ne cesse de se promener dans ce paysage aux grands arbres sans feuilles où se posent des corbeaux.

Il y a aussi de gros plans du visage de Laura-un peu conventionnels-qui se filme avec son téléphone portable. On a déjà beaucoup donné à ce genre d’images mais, comme c’est assez bref, cela reste supportable. Le plus intéressant dans cette mise en scène, c’est, avec une certaine distance, la grande unité-recherchée et la plupart du temps déjà obtenue-entre le discontinu du texte et cette écriture scénique très variée (encore en cours), avec un accompagnement musical et des chansons interprétées par les comédiens, et aussi, pour la création, un chœur d’amateurs de la ville où sera joué le spectacle: pas nouveau mais toujours appréciable dans un spectacle…

Et le texte de Jean-Marie Piemme est interprété avec beaucoup de nuances par Isabelle Ronayette, bien soutenue par les autres complices habituels de Jean Boillot, Philippe Lardaud, Régis Laroche, et Hervé Rigaud qui joue, sur scène, la musique dont il est l’auteur.
Le futur spectacle, encore parfois brut de décoffrage mais encore en répétitions, devrait prendre son envol assez vite, sans doute même dès le prochain festival d’Avignon. A suivre donc avec intérêt.

Philippe du Vignal

Travail en cours vu à l’Espace Bernard-Marie Koltès, Théâtre du Saulcy-Metz. Le spectacle sera créé du 17 au 19 novembre au Nest, Centre Dramatique National de Thionville/Lorraine, 15 route de Manom  57100 Thionville. T: 03 82 54 70 45 nest-theatre.fr


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Shakespeare Celebration

 

Shakespeare Celebration par le Footsbarn Travelling Theatre

©Jean-Pierre Estournet

©Jean-Pierre Estournet

Entre voyageurs, ils se comprennent : la famille Romanès prête cet hiver  leur installation à cette célèbre compagnie. Les riverains (séparés quand même d’elle par un large boulevard) n’ont pas du tout apprécié  son cirque familial dont les roulottes et le modeste barnum ont fait l’objet de vandalisme. Les amis de Shakespeare ne leur plairont pas non plus! Raison de plus pour y aller, c’est juste en face du métro .

Donc ces éternels errants présentent deux spectacles : Nid de coucou (voir Le Théâtre du Blog) , et Shakespeare Celebration, un cabaret créé en l’honneur du quatrième centenaire de la mort de William Shakespeare. À supposer qu’il soit bien mort puisque, cette fameuse existence a été niée ou mise en doute par pas mal de penseurs (?) des origines (quatre cents ans !) à nos jours.

Ces soupçons font évidemment la joie des incurables shakespeariens que sont les Footsbarn. Tels ils ont sont, tels ils ont été quand ils créaient il y a quelques dizaines d’années, un mémorable Roi Lear avec six acteurs et en une heure et demi, avec des costumes somptueux taillés dans les lambeaux de leur chapiteau dévasté par la tempête et quelques joyaux de récupération du même acabit. Ils ont présenté bien d’autres spectacles depuis : toujours savants, populaires et festifs.

Ici, on retrouve l’écume de ce que tout le monde connaît de Shakespeare sans souvent  le connaître avec Roméo et Juliette (savoureuse distribution carnavalesque et gracieuses marionnettes), Hamlet, avec un vieil Hamlet obstiné, son crâne à la main, Le Songe d’une nuit d’été et ses artisans, les combats féroces et les plaintes de Richard III… On entend aussi, avec gravité, le Shakespeare un peu moins connu des fameux Sonnets.

C’est fait, bien sûr, de la matière des songes, mais surtout de celle, artisanale et éternelle, du théâtre. Toiles peintes joliment patinées et costumes de bric et de broc constituant des images poétiques, musique gaillarde avec ses moments de pure beauté, masques et marionnettes : peu de choses devant nous, et tout se recrée sans cesse. Modestie des moyens, et ambition sans limites  de la création, ce pourrait être leur credo.

Et cela, dans toutes les langues présentes, à savoir, l’anglais, avec des petits moments de traduction, et celles que parlent et chantent les acteurs. Tous musiciens, (excellents), tous comédiens (on n’a guère le temps de savoir s’ils sont bons ou non, tant cela va vite !), tous rapides, pleins d’humour sur eux-mêmes, toutes générations confondues.

Voilà comment le Footsbarn est inusable, voilà pourquoi on en redemande : leur technologie, c’est eux: corps habiles et imagination en alerte, humour toujours au rendez-vous. Et il y a même des effets poétiques inattendus comme ce buste de Shakespeare qui affiche, de face, une tête de bonhomme roublard, et de profil, en ombre portée, le visage d’un beau jeune  garçon rêveur. Magique, non ?

Le Foostbarn est menacé dans ses bases arrière (le département de l’Allier) par Laurent Wauquiez, le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, peu soucieux (et c’est un euphémisme) de la culture et du théâtre (voir Le Théâtre du Blog). Celui qui, comme vous le savez sans doute, s’en est déjà pris aux Ecoles de cirque ! Allez voir leur spectacle : vous saurez que ce monsieur aurait grand tort de vous en priver.

Ce ne sera pas une visite à un musée du théâtre de tréteaux, mais bien un moment de plaisir et de liberté. On pourrait-presque-avoir l’impression que le Footsbarn n’aurait besoin de rien pour exister ? Erreur : les hommes et les femmes ont besoin de manger, et nous, de William Shakespeare.

Christine Friedel

 Chapiteau Romanès, les samedi à 20h30 et le dimanche à 15h30, durée 1h30, jusqu’au 26 février  square Parodi, boulevard de l’Amiral Bruix, 75016 Paris T: 04 70 06 84 84.  Métro : Porte Maillot.

Avec, en alternance, Nid de coucou : les jeudi et vendredi à 20h30, le samedi à 15h30, durée 1h45.. T. 06 61 39 26

www.footsbarn.com

 

 

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