Où les cœurs s’éprennent

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Où les cœurs s’éprennent, d’après les scénarios des films Les Nuits de la pleine lune (1984) et Le Rayon vert (1986) d’Eric Rohmer, mise en scène de Thomas Quillardet.

 

 Après le cycle des Six Contes moraux (1962-1972), Eric  Rohmer tourne la série des Comédies et Proverbes (1981-1987),  où il  porte un regard sur des jeunes gens contemporains et libres, hors de repères moraux passéistes et qui s’égarent en perdant leur cœur, tentant d’accorder désir et amour prétendu aux normes d’une société bourgeoise et ouverte.L’éducation sentimentale de ces amants en herbe, enclins à l’écoute d’un imaginaire prometteur et enthousiaste, fait d’abord l’épreuve d’initiations nouvelles et de vertiges amers, à travers l’exploration de la palette des jeux possibles des passions. Le titre du spectacle est inspiré de ces vers rimbaldiens : « Oisive jeunesse/ A tout asservie/ Par délicatesse/ J’ai perdu ma vie. / Ah ! Que le temps vienne/ Où les cœurs s’éprennent. » (Chanson de la plus haute tour,1872)

Ici, Les Nuits de la pleine lune et Le Rayon vert se succèdent comme pour renverser métaphoriquement les astres, côté lune d’abord puis côté soleil, comme si le grain du cinéma d’Eric Rohmer : délicatesse et justesse émotive des instants vécus et du sentiment existentiel, l’éclat collectif d’un jour ou l’ombre solitaire d’un autre, s’incarne ici à travers le théâtre de corps vivants et furtifs, dans la proximité du public.

Grâce à des acteurs affranchis, jouant la distance et l’ironie amusée. Ame en quête et jeunesse en peine, Louise (Anne-Laure Tondu) vit avec son compagnon architecte à Marne-la-Vallée mais s’autorise des nuits parisiennes en solo pour tester la mesure de son amour. Et Delphine (Marie Rémond), dont les vacances en duo sont annulées au dernier moment, se voit condamnée à l’isolement et confinée à Paris pour l’été…Heureusement, les amis de l’une et de l’autre,bons ou mauvais conseillers, sont là. Cette vision scénique n’en reste pas moins fidèle au rêve baudelairien du vert paradis des amours enfantines, avec chansons, baisers et bouquets.

Mais ici, la comédie sentimentale se confronte avec des accessoires bruts et naïfs : un matériel de dessin pour écoles d’art, selon la scénographie de James Bandily. Puisqu’on rénove un studio, une immense feuille blanche de papier cartonné tient lieu de lais muraux immaculés, et  celle qui recouvre le sol est décollée plus tard, pour  simuler le revers d’un drap de lit  où on se glisse; un morceau de papier déchiré fait l‘affaire pour inscrire un numéro de téléphone.Un parasol désinvolte et un seau de peinture bleue renversée suggère la mer et un autre rempli de sable que l’on déverse évoque la plage des vacances ; quelques tréteaux suffisent pour les tables familiales d’amis où l’on déjeune  ou dîne. Sans parler des boîtes de nuit où l’on danse.

 Les lieux divers et la succession des intrigues se conjuguent gracieusement ; le personnage est à Paris puis à Marne-la-Vallée, un train électrique d’enfant avec son bruit significatif fait office de RER, aller et retour mais la voiture d’un personnage  peut aussi être utilisée pour un trajet circulaire qui cernant un  appartement.

Cette comédie sentimentale  à la conversation douce-amère est jouée par des acteurs limpides avec des dialogues ciselés intimement vécus, au souffle près. Benoît Carré, Florent Cheippe, Guillaume Laloux, Malvina Plégat et Jean-Baptiste Tur apportent la belle couleur de leur personne généreuse, attentive et réceptive. Les filles peuvent être jouées par des garçons, et le tableau n’en est que plus vif … Mais les stratégies amoureuses ne varient guère d’une époque à l’autre et les jeunes gens conserveront d’eux et des autres, une image qui relève de leur propre création.

Et la postmodernité ne fait rien à l’affaire : les mêmes drames sont provoqués par les mêmes mensonges, doutes et illusions, erreurs d’interprétation, et confusions entre le monde sensible et l’imaginaire. Saura-t-on jamais qui on est, et qui on aime vraiment ? Un spectacle tout en fraîcheur : émotion, goût de vivre et foi en l’instant.

Véronique Hotte

Théâtre de la Bastille, rue de la Roquette Paris 11 ème  jusqu’au 19 janvier. T : 01 43 57 42 14.

 


Archive pour 9 janvier, 2017

Où les cœurs s’éprennent

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Où les cœurs s’éprennent, d’après les scénarios des films Les Nuits de la pleine lune (1984) et Le Rayon vert (1986) d’Eric Rohmer, mise en scène de Thomas Quillardet.

 

 Après le cycle des Six Contes moraux (1962-1972), Eric  Rohmer tourne la série des Comédies et Proverbes (1981-1987),  où il  porte un regard sur des jeunes gens contemporains et libres, hors de repères moraux passéistes et qui s’égarent en perdant leur cœur, tentant d’accorder désir et amour prétendu aux normes d’une société bourgeoise et ouverte.L’éducation sentimentale de ces amants en herbe, enclins à l’écoute d’un imaginaire prometteur et enthousiaste, fait d’abord l’épreuve d’initiations nouvelles et de vertiges amers, à travers l’exploration de la palette des jeux possibles des passions. Le titre du spectacle est inspiré de ces vers rimbaldiens : « Oisive jeunesse/ A tout asservie/ Par délicatesse/ J’ai perdu ma vie. / Ah ! Que le temps vienne/ Où les cœurs s’éprennent. » (Chanson de la plus haute tour,1872)

Ici, Les Nuits de la pleine lune et Le Rayon vert se succèdent comme pour renverser métaphoriquement les astres, côté lune d’abord puis côté soleil, comme si le grain du cinéma d’Eric Rohmer : délicatesse et justesse émotive des instants vécus et du sentiment existentiel, l’éclat collectif d’un jour ou l’ombre solitaire d’un autre, s’incarne ici à travers le théâtre de corps vivants et furtifs, dans la proximité du public.

Grâce à des acteurs affranchis, jouant la distance et l’ironie amusée. Ame en quête et jeunesse en peine, Louise (Anne-Laure Tondu) vit avec son compagnon architecte à Marne-la-Vallée mais s’autorise des nuits parisiennes en solo pour tester la mesure de son amour. Et Delphine (Marie Rémond), dont les vacances en duo sont annulées au dernier moment, se voit condamnée à l’isolement et confinée à Paris pour l’été…Heureusement, les amis de l’une et de l’autre,bons ou mauvais conseillers, sont là. Cette vision scénique n’en reste pas moins fidèle au rêve baudelairien du vert paradis des amours enfantines, avec chansons, baisers et bouquets.

Mais ici, la comédie sentimentale se confronte avec des accessoires bruts et naïfs : un matériel de dessin pour écoles d’art, selon la scénographie de James Bandily. Puisqu’on rénove un studio, une immense feuille blanche de papier cartonné tient lieu de lais muraux immaculés, et  celle qui recouvre le sol est décollée plus tard, pour  simuler le revers d’un drap de lit  où on se glisse; un morceau de papier déchiré fait l‘affaire pour inscrire un numéro de téléphone.Un parasol désinvolte et un seau de peinture bleue renversée suggère la mer et un autre rempli de sable que l’on déverse évoque la plage des vacances ; quelques tréteaux suffisent pour les tables familiales d’amis où l’on déjeune  ou dîne. Sans parler des boîtes de nuit où l’on danse.

 Les lieux divers et la succession des intrigues se conjuguent gracieusement ; le personnage est à Paris puis à Marne-la-Vallée, un train électrique d’enfant avec son bruit significatif fait office de RER, aller et retour mais la voiture d’un personnage  peut aussi être utilisée pour un trajet circulaire qui cernant un  appartement.

Cette comédie sentimentale  à la conversation douce-amère est jouée par des acteurs limpides avec des dialogues ciselés intimement vécus, au souffle près. Benoît Carré, Florent Cheippe, Guillaume Laloux, Malvina Plégat et Jean-Baptiste Tur apportent la belle couleur de leur personne généreuse, attentive et réceptive. Les filles peuvent être jouées par des garçons, et le tableau n’en est que plus vif … Mais les stratégies amoureuses ne varient guère d’une époque à l’autre et les jeunes gens conserveront d’eux et des autres, une image qui relève de leur propre création.

Et la postmodernité ne fait rien à l’affaire : les mêmes drames sont provoqués par les mêmes mensonges, doutes et illusions, erreurs d’interprétation, et confusions entre le monde sensible et l’imaginaire. Saura-t-on jamais qui on est, et qui on aime vraiment ? Un spectacle tout en fraîcheur : émotion, goût de vivre et foi en l’instant.

Véronique Hotte

Théâtre de la Bastille, rue de la Roquette Paris 11 ème  jusqu’au 19 janvier. T : 01 43 57 42 14.

 

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