© Thierry Depagne
Hôtel Feydeau d’après Georges Feydeau, mise en scène de Georges Lavaudant
Georges Feydeau
Georges Lavaudant avait déjà présenté un remarquable Fil à la patte dans ce même Odéon en 2001 et On Purge bébé quelques années plus tard à Madrid avec la grande actrice Nuria Espert. Cette fois, il s’attaque à un montage de courtes pièces que Georges Feydeau avait écrites à la fin de sa vie, sans doute inspiré par la guerre sans fin qu’avait connu son couple. C’était il y a déjà un siècle, quand, enfin divorcé, il avait élu domicile à l’Hôtel Terminus à Saint-Lazare.
Ces pièces, encore plus que les grandes, ont toutes un dénominateur commun: le corps! Corps mourant malade, constipé ou en proie à l’entérite avec des descriptions anatomiques précises! corps aussi prêt à procréer, et corps à moitié nu qu’il faut à tout prix cacher! Corps de trois femmes et d’un gamin, comme si Georges Feydeau avait voulu épargner son corps à lui, adulte masculin, (il sombrera dans la folie quelques années plus tard, en 1920, à cause d’une syphilis).
Le début de Cent millions qui tombent, et On purge bébé, Mais n’te promène pas toute nue, Feu la mère de madame, et Léonie est en avance : quatre pièces toujours montées et parfois avec bonheur un siècle après leur création, comme par Didier Bezace (voir Le Théâtre du Blog). Mais ici, elle font l’objet d’un découpage pour le moins curieux avec des fragments tricotés ensemble. « Le plus difficile, remarque Georges Lavaudant a été de veiller à ce que les mécanismes fonctionnent, même quand elles sont amputées de certains rouages (…) Les matériaux ne manquent pour construire une traversée de Feydeau en mode Hellzapopin. La difficulté, c’est de rythmer la folie, tout en préservant la lisibilité de chaque pièce du puzzle ». Le metteur en scène est lucide quand il en parle… Mais désolé, ici, on ne comprend pas très bien ce qu’il a voulu faire.
Et cela ne fonctionne pas vraiment ! D’abord à cause d’une scénographie- plastiquement très réussie-de son fidèle Jean-Pierre Vergier qui a imaginé un (trop) grand espace blanc avec deux portes et quelques chaises de couleur, ce qui ôte toute intimité à cette série de quatre pièces qui en aurait bien besoin…
Et, comme Georges Lavaudant arrête sec l’action d’une pièce, cela devient vite frustrant car il nous prive des meilleurs moments. Pour laisser place à un petit ballet, avec les domestiques et leurs maîtres sur des airs de jazz, chargé de faire la transition… Et en même temps, le titre Hôtel Feydeau est projeté sur le mur du fond, comme si Georges Lavaudant avait besoin de se persuader lui-même et de nous rappeler qu’il s’agit bien d’un montage…
Quand au rythme général du spectacle, on voit tout de suite qu’il n’arrivera pas à se mettre en place. A la toute fin seulement, un tourbillon de personnages des différentes pièces apporte en quelques minutes, ce souffle de folie et de délire qu’on attendait depuis le début… Dommage.
Comme Georges Lavaudant a toujours eu une redoutable intelligence scénique, il a compris qu’il valait mieux bien s’entourer devant ce casse-gueule programmé, et il a fait appel avec bonheur à ses vieux complices: André Marcon (tout à fait remarquable dans Lucien (Feu la mère de madame) quand il rentre d’un bal costumé en Louis XIV, et dans Chouilloux (On purge bébé), et à Gilles Arbona, (brillant Follavoine dans cette même pièce) et Manuel Lelièvre, tout aussi à l’aise et étonnant que dans le théâtre de Valère Novarina, et qui joue le petit Toto dans On purge bébé, Ventroux dans Ne t’promène pas toute nue, et Toudoux, dans Léonie est en avance. Avec Astrid Bas, aucun doute: c’est bien grâce à eux que le spectacle peut arriver quand même à exister…
Malgré une construction dramaturgique approximative: (à bricoler ainsi les textes, cela se paye!) et malgré aussi une mise en scène qui a le plus grand mal à trouver son rythme, il y a de bons moments, quand Joseph, un valet qui n’est pas du bois dont on fait les flûtes, comprend qu’il a frappé à la mauvais porte pour annoncer le décès de sa patronne… Au grand dam de son gendre qui voit brutalement un héritage lui passer sous le nez. Ou quand le jeune Toto, qui préfigure le Victor de Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac, se révolte contre ses parents.
Bref, comme dans ses grandes pièces, l’humanité ne sort pas grandie de ce constat teinté d’une noirceur et d’une grande amertume où les choses tournent vite au cauchemar : comme chez Eugène Labiche, dont Georges Lavaudant avait monté Un Chapeau de paille d’Italie, la société est un espace de guerre ouverte sur fond d’argent, voire de pouvoir politique, pour les couples mariés mais aussi pour ces faux couples mais bien réels que sont les patrons impitoyables et leurs domestiques obligé d’être roublards pour leur résister: ils ne s’aiment guère et s’affrontent sans cesse, même s’ils ont tous besoin les uns des autres!
On sourit, on rit aussi parfois, grâce à la précision et la rigueur du jeu des comédiens principaux absolument virtuoses. Mais on s’ennuie aussi un peu. Alors à voir ? A vous de décider: on peut espérer que le spectacle se bonifiera, si Georges Lavaudant resserre d’urgence les boulons mais, pour le moment, le compte n’y est pas tout à fait…
Philippe du Vignal
Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris 6ème, jusqu’au 12 février.
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