Shock Corridor, d’après le film de Samuel Fuller

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Shock Corridor, d’après le film de Samuel Fuller, adaptation et mise en scène de Mathieu Bauer, musique de Sylvain Cartigny

 

« I’am Sam Fuller, I’m a film director », se présente une comédienne, en costume trois pièces, allumant, dans le noir, l’éternel cigare du réalisateur américain. Son interview se poursuit en français, interrompant, par bribes, l’intrigue de Shock Corridor.

Il livrera les épisodes de sa vie aventurière, des anecdotes sur le tournage, ses six commandements en matière de cinéma, pendant que le film se déroule. Le héros, un journaliste arriviste, mène une enquête sur un meurtre dans un asile psychiatrique et découvre dans ce microcosme, les violences de la société américaine.  «Quand il veut s’attaquer aux sentiments qu’il déteste (racisme, hypocrisie, amour de la violence), écrit Bertrand Tavernier, Samuel Fuller transforme ses critiques en réquisitoire, en pamphlet apocalyptique. »

Le spectacle mêle, sur une musique omniprésente, récit du réalisateur et scènes dialoguées, interrompus par des apartés donnant la parole aux seconds rôles du film.  Avec des extraits du livre de Philippe Garnier sur Les Characters Actors, biographies de ces acteurs qui incarnent les personnages savoureux de second plan, à l’ombre des stars du cinéma américain. De quoi donner  du grain à moudre et matière à réflexion aux élèves de l’école du Théâtre National de Strasbourg qui reprennent ici leur spectacle de sortie.  

Le montage de tous ces éléments, soutenu par l’énergie des jeunes interprètes, et huilé par une choralité bienvenue, font la force de cette adaptation qui ne paraphrase aucunement le film mais en retient l’intrigue et des séquences-clés, renvoyant aux images choc. Gros plans dans le dortoir, et surtout les scènes dans ce long couloir carcéral qu’on nomme «la rue», où s’alignent les malades, maltraités par les surveillants.

 Pour Mathieu Bauer, qui a déjà porté plusieurs films à la scène, il ne s’agit «pas tant de singer le cinéma mais de le décortiquer, d’en voir la grammaire. Il y a  aussi la question du montage, le théâtre n’a pas ces ellipses, le montage parallèle. J’ai essayé de mettre ça sur un plateau en me demandant comment co-existent la musique, le texte, une image, un comédien. »

 Cinéphile et musicien averti, il a aussi puisé dans le répertoire américain des années soixante, par exemple cette scène chantée de Titicut Follies, documentaire de Frederick Wiseman sur la vie quotidienne des patients détenus dans l’unité carcérale psychiatrique de l’hôpital de Bridgewater. Il revisite les chansons folk et countries, Gershwin… Et Billie Holiday, avec Strange Fruits,  une des premières protest songs (1936)  contre le racisme et les exactions du Ku Klux Klan qui répond au discours d’un des «fous» : un Noir qui se prend pour un membre du KKK. L’occasion de mesurer les talents vocaux et d’instrumentistes des jeunes artistes.

 Pour respecter l’esthétique des noir et blanc heurtés du grand opérateur Stanley Cortez (on se souvient de ses inoubliables images dans La Nuit du chasseur), pénombre et lumières crues s’opposent. Dans une scénographie éclatée, des éléments de décors figurent tour à tour le bureau du psychiatre, la scène de music-hall où Cathy la fiancée du héros se produit, le corridor de l’hôpital… Des costumes de récupération, puisés dans les réserves du Théâtre Naional de Strasbourg, donnent un air décalé et miteux aux personnages.

 Ce bel hommage au cinéma, aux acteurs et à la musique, est une rampe de lancement idéale pour les douze comédiens qui font ici leur entrée en fanfare dans la vie professionnelle.

 Mireille Davidovici

 Nouveau Théâtre de Montreuil, Salle Maria Casarès, jusqu’au 4 février.

 www.nouveau-theatre-montreuil.com


Archive pour 11 janvier, 2017

Le Moche, de Marius von Mayenburg, mise en scène Nathalie Sandoz.

Le Moche, de Marius von Mayenburg, mise en scène Nathalie Sandoz

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« La perte de son identité, dit Marius von Mayenburg, sa dilution dans l’acte de «paraître tellement mieux »; le fait que nous soyons devenus interchangeables, sont des données révoltantes de notre société. Faire du théâtre, c’est forcément s’opposer à cette volonté d’uniformiser le monde. C’est entretenir par la mise en valeur des défauts, des soit disant tares de chaque individu, un espoir de poésie et de différence. »

Le Moche est un conte, un peu comme celui de l’homme sans ombre. Donc Lette, est inventeur d’un intéressant système de connecteur. Mais on envoie son adjoint pour le présenter à un congrès spécialisé. À lui, chambre avec vue dans un hôtel de luxe, billet d’avion prépayé, et toutes les douceurs d’amour propre que cela comporte. Erreur d’organisation, malentendu? Non. Le patron ne saurait envoyer un Lette au congrès ; il ne suffit pas seulement d’inventer, il faut vendre. Et Lette est moche, ce qui n’est pas vendeur. Stupeur de l’intéressé, qui interroge son miroir, puis sa femme : «Mais oui, tu es moche, mais c’est toi que j’aime». Ah? Elle ne le regarde donc jamais ? Non. D’où recours radical à la chirurgie esthétique, d’où succès et retournement de situation : le magnifique Lette devient l’icône de son patron et la réclame vivante de son chirurgien esthétique. Mais le succès engendrera une multitude de clones, et la dévalorisation de notre «héros».

La pièce parle, bien sûr,  du marché et des fluctuations de la valeur des apparences. Elle montre cette cavalcade sans fin vers un « mieux paraître» uniformisé qui échoue à devenir un mieux être. On ne retrouve jamais son visage d’avant et le nouveau visage, standardisé, ne nous appartient pas. Pas de retour possible, avec cette double angoisse, celle des apparences et celle de l’identité. Et voilà comment on est pris dans l’engrenage de la folie.

Nathalie Sandoz met en scène le conte avec ce qu’il faut de rapidité et désinvolture dans les passages d’un rôle à un autre. Autour de Guillaume Marquet, persistant seul à incarner Lette et ses métamorphoses, trois comédiens jouent neuf rôles. Une paire de lunettes, une accentuation dans le phrasé et l’on glisse à un autre personnage, qui est peut-être le même. Pourquoi, en effet, leur tracer une identité précise, quand la perte de cette identité, liée à la marchandisation, est le thème même de la pièce ? Le tout encadré par des panneaux vitrés ouverts ou fermés, prison translucide qui crée parfois des formes fantomatiques–puisque nous ne sommes que des ombres, des êtres sans consistance-.

Et le public rit vraiment. La comédie est là : un doigt pointé sur l’absurdité de ce à quoi nous nous soumettons plus ou moins volontairement, avec une pensée respectueuse pour le jeune La Boétie et son incontournable Discours de la servitude volontaire.`

Christine Friedel

Théâtre de l’Atalante, Place Charles Dullin Paris 18ème jusqu’au 29 janvier. Lundi, mercredi, vendredi à 20h30, jeudi et samedi à 19h, dimanche à 17h, relâche le mardi.

 

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