Le Cid

Le Cid de Pierre Corneille, mise en scène d’Yves Beaunesne

 

©MYRA 2017

©MYRA 2017

Pour se venger de l’affront du Comte, humilié de ne pas avoir été choisi par le Roi de Castille pour être gouverneur du prince, Don Diègue (Jean-Claude Drouot, magistral) donne symboliquement à Rodrigue, son épée glorieuse.

Le premier reçoit sur ses épaules la charge pesante d’un destin collectif,  un héritage familial d’honneur d’une lignée à préserver dans le sang. Dignité, devoir et courage : le Comte ne se trompe guère sur la valeur du prétendant de sa fille Chimène, et l’estime comme quelqu’un de son rang: un chevalier redoutable…  Refuser le combat déshonorerait celui-ci, et par respect pour sa vaillance, il accepte, vaniteux, de risquer de tuer Rodrigue : «Viens, tu fais ton devoir, et le fils dégénère/Qui survit un instant à l’honneur de son père. »
Bien entendu, les choses ne se dérouleront pas dans cet univers tragique cornélien, selon les prévisions du Comte, et le Roi voit les conséquences du meurtre par l’amant, du père de l’amante! Chimène à son tour, épouse les valeurs de sa caste aristocratique, et prétend vouloir tuer celui qu’elle aime, pour lui prouver son amour, tout en restant consumée par la passion :  «Je me dois par ta mort, montrer digne de toi. »

Quant à Don Sanche (Antoine Laudet), amant malheureux, il est impuissant à trouver une solution; l’Infante, même si elle est au-dessous de son rang, inconséquente, elle aime Rodrigue.  La scénographie de Damien Caille-Perret  signe une scénographie d’une esthétique baroque : lourd parquet de bois brun et lumière tamisée: l’ombre du Siècle d’or espagnol l’emporte, et apparaît, comme dans un rêve,  la résidence royale: l’Alcazar de Séville, entre ornements de dentelles de stuc, et arcs en fer à cheval, style mudéjar et Renaissance.

 Mise en scène d’Yves Beaunesne somptueuse et austère: classique dans la déclamation des alexandrins, et baroque dans ses images. L’Infante égarée (Marine Sylf) cache son impudeur d’aimer dans la mésalliance; dans un verbe scandé et senti, le Comte, impatient, (Eric Challier) rêve sa victoire, mais son corps meurtri apparaît dans la transparence d’un théâtre d’ombres ; le Roi Ferdinand (Julien Roy) comique sur son siège de bois à roulettes, est  témoin des conflits et conseille encore Chimène.  Rodrigue  à la liberté pleine et assumée (Thomas Condemine) prépare, allongé sur un banc, une vengeance immédiate et  revient, vainqueur épuisé, avec les drapeaux poussiéreux de son armée.

Yves Beaunesne sait remarquablement  peindre les portraits individuels des grands de cette époque, individuels ou en groupe. Et le spectacle est accompagné de chants de la Renaissance dont la musique feutrée et cristalline des cordes accorde un tempo souverain à l’enchaînement des scènes. Lignes courbes, figures en mouvement,  habits masculins d’apparat et robes de cour, soies et fourrures, longs voiles blancs de dames élégantes, chevelures lâchées et sensualité assumée, près des confidentes au chignon strict, Léonor (Eva Hernandez) et Elvire (Fabienne Lucchetti), vêtues de noir. On croirait les voir, elles et leurs maîtresses respectives, rayonnantes, suivies du gentilhomme castillan à la collerette blanche, descendre d’un tableau de Velasquez. Et Chimène (Zoé Schellenberg) défend sa vérité d’amante dans un bel élan d’émotion.

Ce Cid, de grande envergure, est une peinture admirablement vivante d’êtres amoureux et déchirés qui parviennent à porter haut, la libération de leur dilemme.

Véronique Hotte

Spectacle vu au Théâtre Firmin Gémier/ La Piscine, Antony, Châtenay-Malabry, le 10 janvier. Scène Nationale d’Albi, les 17 et 18 janvier. Grand Théâtre de Calais, les 26 et 27 janvier. Bateau Feu/Scène Nationale de Dunkerque, les 31 janvier et 1er février.

Le Carré à Cesson-Sévigné, le 8 février. Théâtre Saint-Louis de Chollet, le 10 février.
Théâtre National Populaire à Villeurbanne, du 1er au 11 mars. Théâtre Anne de Bretagne de Vannes, les 16 et 17 mars. Théâtre National Bordeaux-Aquitaine, du 21 au 25 mars. Le Parvis, Scène Nationale de Tarbes, les 28 et 29 mars.

La Coursive/Scène Nationale de La Rochelle, les 4 et 5 avril. Maison des Arts/Scène Conventionnée de Thonon, le 13 avril. Théâtre Montansier à Versailles, du 19 au 23 avril. Le Quartz, Scène nationale de Brest, du 25 au 27 avril.

 

 

 

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Archive pour 12 janvier, 2017

Bienvenue en Corée du Nord

 

Bienvenue en Corée du Nord, mise en scène d’Olivier Lopez, création collective avec Marie-Laure Baudain, Alexandre Chatelin, Laura Deforge et Adélaïde Langlois

 

bienvenue-en-coree-du-nord: Olivier Lopez avait créé plusieurs spectacles de clowns voir (Le Théâtre du Blog) comme Pauline Couic en 2011, Les Clownesses en 2013 et mené plusieurs expériences avec le laboratoire des clowns ( voir Le Théâtre du Blog)… Cette fois il a poussé le bouchon un peu plus loin. « C’est, dit-il, avec une volonté de nous aventurer en terres inconnues, de nous affranchir du cloisonnement appliqué aux clowns, que nous avons voulu écrire un spectacle autour de la Corée du Nord.
En réalité, nous y avons fait deux voyages : le premier en lisant beaucoup, en nous instruisant sur ce que nous allions découvrir, et le second, en y allant. Et nous avons été frappés par l’écart qui existait, entre ce que nous pensions trouver, et ce que nous avons réellement vu et entendu du quotidien des Nord-Coréens. Nous avons aussi été étonnés par la manière dont  eux semblaient le percevoir. »

La République populaire démocratique de Corée, limitrophe de la Chine et de la Russie, mais aussi de la République de Corée du Sud, et pas loin du Japon, son meilleur et plus vieil ennemi, compte quelque 25 millions d’habitants. Une «République» qui n’en a que le nom, dirigée par la seule dynastie communiste de l’Histoire. Idéologie officielle, l’autosuffisance développée par Kim Il-Sung, fondateur du régime, décédé il y a vingt ans. Kim Jong-Il, son fils,  adopta la politique de «l’armée d’abord»  pour renforcer le pays, et après sa mort, il y a six ans, son fils,  Kim Jon-un, lui succèdera à la tête d’un pays très pauvre  qui compte plus de neuf millions d’hommes de militaires d’active, de réserve et paramilitaires ! Depuis 1990, la situation économique et sanitaire s’est aggravée et Amnesty International estimait récemment à 200.000, le nombre de personnes enfermées dans des camps ! Les  Etats-Unis, le Japon et la France, ne reconnaissent  pas la Corée du Nord qui, après un essai nucléaire en 2006, est devenue le neuvième État à détenir l’arme atomique!

Sur le petit plateau, juste un grand rideau rouge vif qui ne s’ouvrira qu’à la toute fin, avec, à jardin, bien éclairé, un portrait du dictateur décédé, très bcbg costume noir, cravate et chemise blanche, et à cour, celui de son petit-fils, le dictateur actuel.  Et une rampe de missiles en carton, absolument dérisoires…
Trois jeunes clownesses et leur acolyte masculin  dans des costumes aussi déjantés que leur propos,  vont opérer un dézingage en règle, pas si méchant que cela mais quand même très insidieux, du régime en place, quand elle évoquent la vie au quotidien de ce pays, objet des mythes les plus fous. Avec une seule arme mais des plus efficaces: le rire et la dérision. Marie-Laure Baudain, Laura Deforge, Adélaïde Langlois sont brillantissimes, bien aidées par Alexandre Chatelain. Et les dieux du théâtre savent combien il faut d’intelligence, d’unité dans un travail en commun, et de rigueur scénique, pour arriver  à rendre crédibles  ces nunuches patentées ! Avec une diction et une gestuelle impeccables, elles enfoncent habilement le clou là où cela fait mal, en évoquant la vie de ce curieux pays très militarisé dont les habitants n’ont jamais connu autre chose que la dictature.

Une scène emblématique, très Charlie-Hebdo : une des comédiennes embrasse le portrait du jeune dictateur avant de cracher dessus pour enlever la trace du rouge à lèvres… Méchant sans doute mais très malin, puisque c’est le personnage d’une pauvre idiote  qui s’y emploie… Dénuement, « maladresse », vérité et  sincérité: on retrouve ici  le personnage du clown mais conjugué au féminin qui conteste l’ordre établi, et sans aucun scrupule… Les dictatures,  les régimes autoritaires et les terrorisme de tout poil n’aiment guère, c’est bien connu, la caricature et la dérision quand les poètes, les metteurs en scène et illustrateurs s’en servent pour notre plus grand bonheur. Et ici cela passe aussi par les costumes en parfaite unité, ce qui est rare, avec  le jeu.

Le spectacle devrait faire couiner les quelques très rares représentants politiques de la Corée du Nord en France… «C’est aussi, dit Olivier Lopez qui a très bien dirigé ses quatre comédiens, une expérimentation théâtrale, une tentative de mieux comprendre le monde contemporain, une volonté de faire état de nos doutes et de nos peurs. Un spectacle carte postale, pour un pays hors du temps et de l’espace, et un débat sur le réel. » Tout est dit. 
Nous avons assisté à la seconde de cette création qui devrait encore se bonifier. Le théâtre contemporain est, on le sait, très avare de comique ; raison de plus pour en profiter…

Philippe du Vignal

 

Le Volcan, Scène nationale du Havre, du 11 au 17 janvier ; Théâtre de Chaoué, Allonnes (Sarthe), du 19 au 21 janvier .
Théâtre Actea, rue des Cordes à Caen, du 26 au 28 janvier.

Le Samovar à Bagnolet (Seine-Saint-Denis),  les 3 et 4 février.
Théâtre de Belleville, Paris XX ème, du dimanche 6 au mardi 29 janvier 2019.


 

 

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