Bienvenue en Corée du Nord
Bienvenue en Corée du Nord, mise en scène d’Olivier Lopez, création collective avec Marie-Laure Baudain, Alexandre Chatelin, Laura Deforge et Adélaïde Langlois
Olivier Lopez avait créé plusieurs spectacles de clowns voir (Le Théâtre du Blog) comme Pauline Couic en 2011, Les Clownesses en 2013 et mené plusieurs expériences avec le laboratoire des clowns ( voir Le Théâtre du Blog)… Cette fois il a poussé le bouchon un peu plus loin. « C’est, dit-il, avec une volonté de nous aventurer en terres inconnues, de nous affranchir du cloisonnement appliqué aux clowns, que nous avons voulu écrire un spectacle autour de la Corée du Nord.
En réalité, nous y avons fait deux voyages : le premier en lisant beaucoup, en nous instruisant sur ce que nous allions découvrir, et le second, en y allant. Et nous avons été frappés par l’écart qui existait, entre ce que nous pensions trouver, et ce que nous avons réellement vu et entendu du quotidien des Nord-Coréens. Nous avons aussi été étonnés par la manière dont eux semblaient le percevoir. »
La République populaire démocratique de Corée, limitrophe de la Chine et de la Russie, mais aussi de la République de Corée du Sud, et pas loin du Japon, son meilleur et plus vieil ennemi, compte quelque 25 millions d’habitants. Une «République» qui n’en a que le nom, dirigée par la seule dynastie communiste de l’Histoire. Idéologie officielle, l’autosuffisance développée par Kim Il-Sung, fondateur du régime, décédé il y a vingt ans. Kim Jong-Il, son fils, adopta la politique de «l’armée d’abord» pour renforcer le pays, et après sa mort, il y a six ans, son fils, Kim Jon-un, lui succèdera à la tête d’un pays très pauvre qui compte plus de neuf millions d’hommes de militaires d’active, de réserve et paramilitaires ! Depuis 1990, la situation économique et sanitaire s’est aggravée et Amnesty International estimait récemment à 200.000, le nombre de personnes enfermées dans des camps ! Les Etats-Unis, le Japon et la France, ne reconnaissent pas la Corée du Nord qui, après un essai nucléaire en 2006, est devenue le neuvième État à détenir l’arme atomique!
Sur le petit plateau, juste un grand rideau rouge vif qui ne s’ouvrira qu’à la toute fin, avec, à jardin, bien éclairé, un portrait du dictateur décédé, très bcbg costume noir, cravate et chemise blanche, et à cour, celui de son petit-fils, le dictateur actuel. Et une rampe de missiles en carton, absolument dérisoires…
Trois jeunes clownesses et leur acolyte masculin dans des costumes aussi déjantés que leur propos, vont opérer un dézingage en règle, pas si méchant que cela mais quand même très insidieux, du régime en place, quand elle évoquent la vie au quotidien de ce pays, objet des mythes les plus fous. Avec une seule arme mais des plus efficaces: le rire et la dérision. Marie-Laure Baudain, Laura Deforge, Adélaïde Langlois sont brillantissimes, bien aidées par Alexandre Chatelain. Et les dieux du théâtre savent combien il faut d’intelligence, d’unité dans un travail en commun, et de rigueur scénique, pour arriver à rendre crédibles ces nunuches patentées ! Avec une diction et une gestuelle impeccables, elles enfoncent habilement le clou là où cela fait mal, en évoquant la vie de ce curieux pays très militarisé dont les habitants n’ont jamais connu autre chose que la dictature.
Une scène emblématique, très Charlie-Hebdo : une des comédiennes embrasse le portrait du jeune dictateur avant de cracher dessus pour enlever la trace du rouge à lèvres… Méchant sans doute mais très malin, puisque c’est le personnage d’une pauvre idiote qui s’y emploie… Dénuement, « maladresse », vérité et sincérité: on retrouve ici le personnage du clown mais conjugué au féminin qui conteste l’ordre établi, et sans aucun scrupule… Les dictatures, les régimes autoritaires et les terrorisme de tout poil n’aiment guère, c’est bien connu, la caricature et la dérision quand les poètes, les metteurs en scène et illustrateurs s’en servent pour notre plus grand bonheur. Et ici cela passe aussi par les costumes en parfaite unité, ce qui est rare, avec le jeu.
Le spectacle devrait faire couiner les quelques très rares représentants politiques de la Corée du Nord en France… «C’est aussi, dit Olivier Lopez qui a très bien dirigé ses quatre comédiens, une expérimentation théâtrale, une tentative de mieux comprendre le monde contemporain, une volonté de faire état de nos doutes et de nos peurs. Un spectacle carte postale, pour un pays hors du temps et de l’espace, et un débat sur le réel. » Tout est dit.
Nous avons assisté à la seconde de cette création qui devrait encore se bonifier. Le théâtre contemporain est, on le sait, très avare de comique ; raison de plus pour en profiter…
Philippe du Vignal
Le Volcan, Scène nationale du Havre, du 11 au 17 janvier ; Théâtre de Chaoué, Allonnes (Sarthe), du 19 au 21 janvier .
Théâtre Actea, rue des Cordes à Caen, du 26 au 28 janvier.
Le Samovar à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), les 3 et 4 février.
Théâtre de Belleville, Paris XX ème, du dimanche 6 au mardi 29 janvier 2019.
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