Le Temps et la chambre de Botho Strauss
Le Temps et la chambre de Botho Strauss, texte français de Michel Vinaver, mise en scène d’Alain Françon
En 1991, Michel Dubois, avec une solide vérité, et la même année, Patrice Chéreau avaient mis en scène cette pièce qui, à l’époque, faisait figure d’ovni dans le monde théâtral français: disparition de l’intrigue traditionnelle et mise en place d’un tempo aléatoire à mesure que le pièce avance, et où est privilégiée, non une suite de scènes bien reliées entre elles mais des moments particuliers comme le cinéma contemporain nous y habitués. Patrice Chéreau avait choisi Anouk Grinberg pour jouer Marie Streuber; l’actrice est ici la voix de la grosse colonne. Gorgia Scaliett lui succède assez exceptionnelle dans ce rôle difficile de Marie; avec un rare présence, elle irradie le plateau d’affection et d’amour mais peut aussi faire preuve d’espièglerie, voire même de dureté et de violence. La jeune actrice sait jouer sur une belle palette de sentiments quand elle rencontre d’autres personnages dans la seconde partie qui est jouée par les mêmes acteurs que dans la première assez statique.
Alain Françon sait bien rendre cette temporalité, sans chronologie confortable, chère à Botho Strauss, en particulier dans des scènes la plupart très courtes, et «cut», quand Marie Streuber rencontre des inconnus qui sonnent à la porte. Et il y a une belle scène, très vivante, où elle remet les clés de son appartement à celui auquel elle l’a loué provisoirement.
Les autres personnages comme les deux hommes âgés ou d’autres ainsi désignés dans le texte comme L’Impatiente, La Femme sommeil, L’Homme en manteau d’hiver ou Le Parfait Inconnu sont interprétés par Gilles Privat, Jacques Weber, tous les deux formidables en Julius et Olaf, vieux messieurs désabusés qui, dans la première partie, regardent la cour et ses pigeons, et parlent entre eux de choses insignifiantes! Impeccables. Comme le sont tous aussi, Dominique Valadié, Wladimir Yordanoff, Charlie Nelson, Antoine Mathieu, Aurélie Reinhorn et Renaud Triffault. Sous la direction d’Alain Françon, toujours d’une rare qualité.
Et pourtant l’ensemble de cette mise en scène ne fonctionne pas tout à fait dans l’espace et le temps. La faute à quoi ? D’abord à un texte qui n’a peut-être plus, un quart de siècle après, la même force poétique: celle de La Trilogie du revoir ou de Grand et Petit, naguère sublimement montés par Claude Régy? A la scénographie imposante, très picturale de Jacques Gabel mais où les personnages semblent un peu perdus? Aux éclairages de Joël Hourbeigt, réussis mais crépusculaires qui ne favorisent donc pas l’attention? Sans doute, à tout cela à la fois.
Et les spectateurs, pas toujours attentifs comme en témoignaient les petites toux, avait une nette tendance à sommeiller mais il y a eu peu de départs; en tout cas, les applaudissements furent assez chiches pour cette pièce aussi étrange et intéressante sur le plan dramaturgique que décevante, et qui n’en finissait pas de finir, alors qu’elle dure une heure quarante… Un mien confrère qui avait vu cette mise en scène à la création en octobre, au Théâtre National de Strasbourg, nous disait avoir été frappé par l’excellent rapport salle/scène… qui n’existe pas vraiment à la Colline. Ceci explique, du moins en partie, cela.
On ne dira jamais assez que le théâtre est un art des plus fragiles… « Quand il réussit, écrivait Botho Strauss, quand il utilise les comédiens pour ramener le plus lointain à une inconcevable proximité, le théâtre acquiert une beauté déconcertante, et le présent gagne des instants qui le complètent d’une manière insoupçonnée.» Oui sans doute mais ce ne fut pas le cas le soir où nous avons vu la pièce! Dommage! Mais ainsi va le théâtre.
A voir tout de même, malgré ces réserves, si, du moins, on veut découvrir cet auteur allemand, sans doute moins joué maintenant, mais qui aura beaucoup compté dans le théâtre de la fin du dernier siècle…
Philippe du Vignal
Théâtre National de la Colline, rue Malte-Brun Paris XXème, jusqu’au 3 février.
Et du 14 au 17 février à la MC2 de Grenoble ; les 21 et 22 février, au Théâtre Sortie-Ouest de Béziers ; du 28 février au 12 mars, au Théâtre du Nord/Centre Dramatique National de Lille. Et du 19 au 21 mai, à Théâtre en mai à Dijon.
La pièce est publiée, dans la traduction de Michel Vinaver, chez L’Arche éditeur. 14€.
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