A vif, un spectacle de Kery James

(C) Giovanni Cittadini Cesi

(C) Giovanni Cittadini Cesi

A vif, un spectacle de Kery James, mise en scène de Jean-Pierre Baro

 

Colonisation puis décolonisation subsistent dans le tissu social des pays qui s’en sont trouvés déstabilisés et cela a ensuite contribué à provoquer les mouvements migratoires actuels. Les conflits entre nations persistent, entre accusations réciproques de colonialisme et d’impérialisme. Le modèle «colonial» s’impose quand les protagonistes tissent une relation de domination militaire et économique, ou culturelle. La fragilisation des Etats les plus faibles à cause   de  cette relation que lui ont fait subir les puissances économiques et politiques qui dominent le monde, prolonge la relation inégalitaire ainsi mise en place

 Redouté par l’opinion via les médias et les politiques, le «jeune» des banlieues et des cités, issu de  récentes générations d’immigrés, incarne et revendique les métissages culturels et ethniques, depuis l’affrontement jusqu’à la réconciliation. Injures, agressions verbales, le «jeune des cités» n’évite ni reproche ni réprobation. Assimilé à la délinquance, trop souvent pourchassé pour trafics illégaux, drogue et violences, il représente toute  une misère intellectuelle, morale et langagière. Or, cette  réalité ne rend pas compte de toute celle de la banlieue.

Deux futurs avocats, dont un étudiant noir, Soulaymaan, issu des quartiers difficiles du 93 a eu une ascension sociale fulgurante avant une chute spectaculaire, et Yann, blond fils de bourgeois du terroir français, s’affrontent publiquement devant la salle comble du concours d’éloquence de la petite conférence de l’Ecole du barreau de Paris.Les jurés sont les spectateurs rassemblés.

 Les adversaires s’affrontent en défendant des causes contraire sur la question suivante: « L’Etat doit-il être jugé coupable de la situation actuelle des banlieues ? »Notre pays serait scindé en deux France, en deux communautés qui ne se côtoient pas et s’ignorent dans le mépris, l’incompréhension et le non-échange.

Décalage ironique: pour Soulaymaan, les citoyens paresseux et passifs sont responsables de leur condition et  Yann, l’Etat est seul coupable de la situation des banlieues. Soulaymaan qui a obtenu une réussite exemplaire,grâce à son engagement et à sa volonté, fustige ses semblables qui se défilent, fuyant l’autonomie et la responsabilité. Quant à Yann, porteur de mauvaise conscience, il accuse le passé colonial de la France, l’hypocrisie d’une Education Nationale qui serait illusoirement égalitaire,  avec de mauvais résultats qui enferment ses élèves dans l’échec.

 Le rappeur Kery James, poète généreux et inventeur d’une langue aiguisée, manie cette arme avec amour et aisance. Joute oratoire, éloquence, improvisation: les mots font mouche, et chacun est sûr de son rythme volubile et de sa cadence particulièrement appuyée.

 Un baptême du feu pour un art audacieux et souriant de la controverse, sous le regard du metteur en scène Jean-Pierre Baro, versé dans l’art et la dialectique. Les combattants servent leur cause personnelle avec conviction et persuasion, provoquant l’émotion et la tension du sentiment.Kery James incarne le flamboyant Soulaymaan et Yannik Landrein, son adversaire, plein d’une éloquence oratoire travaillée et d’un emballement impétueux.

Véronique Hotte

Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 28 janvier à 18h30. T : 01 44 95 98 21

 

 

 

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