La Bonne Nouvelle de François Bégaudeau

La Bonne Nouvelle de François Bégaudeau, mise en scène de Benoit Lambert

 

IMG_0531«Albertvillariennes, Albertvillariens, Bonsoir, ça va ?», entonne un bateleur annonçant la conférence-spectacle. Ces jeunes gens vont de ville en ville porter la bonne nouvelle : les voici délivrés de l’emprise du libéralisme économique dont ils furent des adeptes forcenés. « Qu’y-a-t-il de si puissant dans la pratique de la théorie libérale, pour que des millions de gens s’y donnent corps et âme ? Un peu comme on se demande ce qu’il y a de fort dans n’importe quelle croyance, idéologie, qui bénéficie d’une adhésion massive », s’interroge François Bégaudeau qui signe ici son troisième spectacle avec Benoît Lambert. 

Simon, Madeleine, Jeanne, Marc et Luc, dans le sillage de Patrick, vont y répondre, en deux heures: on démonte, décortique, analyse, le catéchisme de l’idéologie dominante, vendu par les grandes écoles comme une juste et bonne cause : flexibilisation du marché du travail, dérégulation du secteur financier, mondialisation du marché… «Nous étions des humanistes avant l’heure», comme le dit l’un d’eux.

 Ils racontent leur parcours exemplaire : premiers de la classe, ils sortent de l’ENA., de l’E.N.S. , de l’E.S.S.E.C. ou d’H.E.C., ont embrassé des carrières prestigieuses, et jouissent de leur puissance.  Mais leurs yeux se décillent, leur foi se lézarde et leurs rêves s’effondrent. « On était devenu des machines à absenter le réel, l’avenir est plus vaste, et c’est une bonne nouvelle !  » Repentants, ils viennent prêcher, en public, un nouvel évangile, sous la houlette d’un gourou qui s’avèrera, lui aussi, repenti. Christophe Brault incarne ici un meneur de jeu digne d’un Pierre Bellemare ou d’un Patrick Sébastien, avec à l’appui, logiciel powerpoint et karaoké,  arsenal et esthétiques fort prisés de ces nouveaux seigneurs du monde.

Le théâtre s’est emparé, ces derniers temps des thèmes de l’aliénation au travail, de la dérégulation sociale et des injustices économiques, mais s’est rarement penché sur ses agents actifs. Fréderic Lordon (Capitalisme, Désir et Servitude),  Pierre Bourdieu et Luc  Boltanski (La Production de l’idéologie dominante), et des entretiens  avec des cadres supérieurs du public ou du privé ont alimenté cette fiction, en permettant d’établir pour chaque personnage un profil type, mais un destin particulier: une haute fonctionnaire passée à l’entreprise privée, un mathématicien docteur ès algorithmes, un trader dans sa bulle, une cadre, jadis féministe, pire que le pire des machos et, enfin, un autodidacte devenu super-commercial : chacun dépassé par son zèle… et pris dans les rets de la geste managériale a fini par craquer.

Les acteurs ont d’autant plus de plaisir endosser ces personnages qu’ils ont participé à cette création, au cours d’improvisations. L’auteur manipule à merveille le sabir de la novlangue de la caste dirigeante, jusqu’à en constituer un glossaire et le metteur en scène applique jusqu’à outrance, les recettes des causeries télévisuelles les plus racoleuses. Au point d’être un peu piégé par cette forme qui désamorce la cruauté satirique.

Le choix de la confession en public est un artifice dramaturgique efficace mais s’use sur le longueur, et risque de lasser. Heureusement, quelques saynètes reconstituant la conversion de chacun, viennent ponctuer le spectacle et donner  du poids et de l’humanité aux protagonistes incarnés par des interprètes qui sont tous à la hauteur de cette comédie un peu trop démonstrative.

Somme toute, cette Bonne nouvelle (qui n’en est pas vraiment une), nous propose de passer une soirée roborative pour ne pas mourir idiot…

 Mireille Davidovici

Théâtre de la Commune, 2 Rue Edouard Poisson, 93300 Aubervilliers. T : 01 48 33 16 16 jusqu’au 21 janvier.
La Comédie de Béthune, Béthune du 25 au 27 janvier. Théâtre-Sénart, Scène nationale, Leusaint, du 31 janvier au 2 février.

 

 

 

 

 

 

 

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