Orfeo/Je suis mort en Arcadie

Orfeo Je suis mort en Arcadie, d’après L’Orfeo de Claudio Monteverdi et Alessandro Striggio, et d’autres matériaux, mise en scène de Samuel Achache et de Jeanne Candel, direction musicale de Florent Hubert

Deux avis divergents, ceux de Véronique Hotte, et de Mireille Davidovici:

 Grâce au pouvoir de son chant, Orphée accède dans les enfers à celle qu’il aime, enlevée  à la vie par une morsure de serpent. Pluton accepte la délivrance d’Eurydice, à condition qu’Orphée ne la regarde pas avant qu’il n’ait atteint, chemin faisant,la lumière  du soleil. Eperdu d’amour, l’amant se retourne pourtant à ses risques et périls vers celle qui marche sur ses pas : il la contemple et la perd. Orphée, recéleur mythique d’un pouvoir aux songes inédits, enchante les bêtes sauvages, apaise les dieux en les séduisant, crée et transforme les espaces de notre imaginaire, montagnes et forêts, disent Samuel Achache et Jeanne Candel, les maîtres d’œuvre d’Orfeo Je suis mort en Arcadie.

Inventifs et facétieux, ils traduisent L’Orfeo de Monteverdi, en cherchant «la théâtralité du geste musical et la musicalité du geste théâtral », suivant le fameux compositeur italien expérimentant les formes musicales qui vont basculer de la Renaissance au monde baroque, de la polyphonie ancienne à la monodie accompagnée, de l’harmonie des sphères à l’expression des sentiments, du monde païen au monde chrétien, de la tragédie à la messe, sans jamais choisir.

 Musique ancienne et jazz, bossa nova, bruitisme et dissonances contemporaines, silences et percussions, partition écrite et improvisations, piano au ventre désenclavé, harpe, violon et violoncelle, contrebasse, trompette, saxo et batterie… Les improvisations aptes à saisir le présent font la matière principale de ces musiciens-chanteurs-acteurs, extravagants et ludiques qui vont et viennent de l’œuvre d’origine, à des images nouvelles et à des digressions étudiées.

Dans une Arcadie de rêve, idyllique, s’épanouit Aphrodite (Anne-Lise Heimberger), figure libre et fofolle, satisfaite et complaisante envers ses fils: Amour, Pan et Dionysos, fieffés coquins. Orphée a lui des qualités plus classiques : bienséance élégante et blondeur. Ces frères gigolos et amuseurs publics s’amusent à n’en plus finir, laissant libre-cours à leurs envies de l’instant, ne supportant nul délai. Pan (Vladislav Galard), figure plutôt réussie, est un faune, haut perché sur la pointe de ses longues pattes de bouc  qui joue parfois du violoncelle. Dionysos est parfois excessif dans sa gestuelle, et Amour,  un enfant dorloté et capricieux.

©Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

Lisa Navarro a imaginé un sol plastifié de gymnase avec des traces de détergent, entre blanc et noir que la robe longue et immaculée d’Eurydice nettoie comme une serpillère, après avoir culminé en gloire et de dos, hissée sur une échelle pour donner un baiser à son amant. Et des apiculteurs investissent l’espace auprès de leurs ruches enfumées;  les bergers de Monteverdi-casque et combinaison-vont des côtés d’une serre aux vitres peintes de rayures bleues et blanches.

L’ensemble tient d’un savant fatras artistique, à la recherche railleuse de l’imprévu et de l’inattendu, amuseur et amusé, et qui ne cesse de surprendre le public à l’affût d’un feu d’artifice éclatant de surprises. Les soprano Anne-Emmanuelle Davy, Marion Sicre et Marie-Bénédicte Souquet sont vocalement et gestuellement excellentes. Et les chanteurs et instrumentistes sont tous talentueux, dont le haute-contre Léo-Antonin Lutinier.

Véronique Hotte

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Dans un charmant cadre champêtre, pays des nymphes, des dryades, des dieux et des demi-dieux  l’Arcadie? puis aux enfers, se déroule le drame d’Orphée et Eurydice, souvent chanté, notamment par Ovide dans Les Métamorphoses, dont semble s’être inspiré le librettiste, Alessandro Striggio. Le sous-titre énigmatique de ce spectacle  Je suis mort en Arcadie, renvoie à la locution latine Et in Arcadia ego (Moi aussi, je vivais en Arcadie), sous-entendant que, même dans un pays idéal, la mort rôde : ici, sous la forme du serpent qui mordit à la cheville la jeune épouse d’Orphée.

Orféo /Favola in musica (fable musicale) en cinq actes, créé en 1607 au carnaval de Mantoue, est considéré comme le premier opéra. Caludio Monterverdi (1567-1643) inventait, avec le genre dramma per musica, une théâtralité de la musique, en assignant des rôles spécifiques aux instruments qui accompagnent le jeu des chanteurs.
Samuel Achache et de Jeanne Candel ont pris au mot la nouveauté du genre et ont adapté l’œuvre en revisitant musique et dramaturgie d’origine, tout en respectant leur liberté de ton. Les musiciens, tous aussi chanteurs et acteurs, avec, pour consigne, d’improviser sur la partition et la fable, ont développé certains  moments du drame, inventant des digressions, voire des gags… qui ne plaisent pas à tout le monde.

Comme ce ne sont pas des  dramaturges, le spectacle s’égare souvent dans des saynettes peu réussies, notamment dans le trop long premier acte où il est question des noces d’Orphée et d’Eurydice… Comme le dialogue, aussi beaucoup trop long entre Cerbère et Charon dans la deuxième partie. Il manque vraiment ici une plume qui aurait affiné  un texte souvent indigent…

Mais le travail musical est remarquable. La partie écrite ancienne et les parties improvisées se répondent. Sous la direction de Florent Hubert, les arrangements proposés par les musiciens, issus pour la plupart du jazz, respectent le principe de la «monodie accompagnée», où le chant est soutenu par une basse continue.

La partition vocale est adaptée à la tessiture des interprètes appelés à jouer et chanter plusieurs rôles. Des chœurs ponctuent agréablement le spectacle, et il y a de jolies trouvailles comme ce piano baladeur sans pieds, aux accents de clavecin, monté sur un chariot et les cuivres qui prennent des allures de fanfare. Et une belle idée : pour rendre la voix basse et caverneuse de Pluton, chanter tout en soufflant dans une clarinette basse,  accompagné par deux flûtes qui jouent plongées dans l’eau.

La scénographie de Lisa Navarro apporte une cohésion bienvenue. L’élément eau y est omniprésent : celle des larmes (dont on nous révèle la composition), mais surtout celle des marécages des enfers aux trois derniers actes. Dans les deux premiers actes, les personnages évoluent sur un plateau savonneux où il est dangereux de s’aventurer. Puis, sur le sol des enfers, plus lisse (les comédiens ont longuement épongé la scène) mais plus sombre et impénétrable, glisse la barque de Charon… Les vitres de la grande serre, elles aussi nettoyées, révèlent un monde parallèle inquiétant.

 Cet opéra loufoque et débridé, répond, en partie du moins, au pari que s’est donné l’équipe de création, grâce surtout au travail musical et au grand talent des interprètes. En cela, même s’il ne fait pas l’unanimité, ce spectacle vaut le détour.

Mireille Davidovici

Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis Boulevard de la Chapelle, 75010 Paris.T : 01 46 07 34 50,  du  jusqu’au 5 février.
:www.bouffesdunord.com et www.theatredelaville-paris.com

Pôle culturel d’Alfortville, le 23 février; Théâtre national de Toulouse, du 2 au 4 mars; Théâtre de Lorient, les 8 et 9 mars ; Le Cadran, Evreux/Louviers, le 14 mars; L’Apostrophe Cergy-Pontoise, le 24 mars; Domaine d’O à Montpellier, les 17 et 18 mars.

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Archive pour 22 janvier, 2017

Elvira, mise en scène de Toni Servillo

©FabioEsposito_PiccoloTeatroMilano

©FabioEsposito_PiccoloTeatroMilano

 

Elvira, mise en scène de Toni Servillo, en italien surtitré.

 

«A chacun des mots que tu dis, il faut que tu sentes ce que tu dis, que tu sentes ce que cela représente…Si tu fais cet exercice en appelant en toi, à mesure que tu penses le mot, le sentiment que ce mot exprime, à un moment donné, les sentiments monteront en toi, au fur et à mesure, avec tant d’intensité que tu pourras presque jouer intérieurement le texte sans le dire, puis tu seras obligée de le dire. A ce moment-là, tu joueras le rôle. »

Louis Jouvet s’adresse ainsi à une de ses élèves du Conservatoire qui tente d’incarner le rôle d’Elvire dans un extrait du Dom Juan de Molière. Il y a trente ans, Philippe Clévenot et Maria de Medeiros nous avaient offert un moment de grâce sur ce même plateau, dans la mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman. Ces propos sur l’art de l’acteur résonnent aujourd’hui, en langue italienne, avec Toni Servillo.

 Le magistral acteur, qui est aussi metteur en scène, a créé cette pièce au Piccolo Teatro de Milan,  mais le chiffre 40 a disparu du titre. Il faisait référence à l’histoire de Claudia, cette élève de Louis Jouvet qui, après avoir reçu le prix de comédie et de tragédie au concours de sortie, fut dénoncée comme juive, et l’accès à la scène lui fut alors interdit. Louis Jouvet, lui, partit avec sa troupe en tournée en Amérique du Sud et cet exil volontaire  dura toute la seconde guerre.

 

Dans cette version, on entend au lointain des discours fascistes qui évoquent l’occupation allemande. Deux chaises, une petite estrade, et trois marches qui mènent à une rangée de fauteuils rouges, reconstituent la salle de répétition du Conservatoire. Toni Servillo, entouré de trois artistes italiens, règne en maître sur la scène : figure professorale totalement habitée par son amour du théâtre, il initie ses élèves à l’art de l’acteur. Sa gestuelle et les expressions de son visage traduisent un état de concentration extrême, et il ne se détend qu’aux saluts, adressant un merveilleux sourire au public.

Au fil des tirades, on entre dans l’intime de la création. Une mise à nu du théâtre, magique et envoûtante. Voilà pourquoi, nous continuons de courir de salle en salle, au risque d’être déçus. Merci à Toni Servillo d’avoir, après Giorgio Strehler qui avait aussi monté ce texte en 1986, osé réveiller nos mémoires, tout en renouvelant l’image de Louis Jouvet, acteur mais surtout professeur, que beaucoup de jeunes comédiens d’aujourd’hui aimeraient rencontrer…

Jean Couturier

 

Le spectacle s’est joué au Théâtre Louis-Jouvet, Athénée, 7 Rue Boudreau, 75009 Paris. T : 01 53 05 19, du 12 au 21 janvier,  dans le cadre du Festival Italien qui a lieu jusqu’au 29 janvier.

Athenee-theatre.com

          

Des Roses et du jasmin

 

Des Roses et du jasmin, texte et mise en scène d’Adel Hakim, spectacle en arabe, sur-titré en français

 

©Nabil Boutros

©Nabil Boutros

Le spectacle a été créé en juin 2015 au Théâtre National Palestinien à Jérusalem et au Théâtre Al Quassaba à Ramallah. L’action, inscrite sur le territoire palestino-israélien, se déploie sur trois générations de 1944 à 1988. Avec la collaboration du dramaturge Mohamed Kacimi, les événements se succèdent ici, selon un fil historique très tendu, depuis l’explosion, sous le mandat la Grande-Bretagne, de son quartier général à l’Hôtel King David à Jérusalem, un attentat perpétré par l’Irgoun, une organisation secrète de lutte pour la création de l’Etat d’Israël,  jusqu’au retrait des Anglais, de la Palestine en 1948. La pièce se poursuit, de la Guerre des six Jours  en 1967 et la résistance instituée par l’Organisation de Libération de la Palestine,  jusqu’à la première Intifada en 1988.

 Il ne saurait y avoir de grande Histoire sans les petits arrangements existentiels qui font éclore la sphère intime et familiale, une respiration salvatrice et un accomplissement de soi au cœur de la société. Mais, sous le poids du passé, la liberté individuelle est encore à conquérir, à l’infini. Des Roses et du Jasmin relate l’entremêlement identitaire, religieux et culturel d’une famille où se croisent destins juifs et palestiniens… Juive venue de Berlin et épouse d’un officier anglais, Miriam met au monde Léa qui, dans les années soixante,  sera amoureuse du palestinien Mohsen. Elle aura deux filles, Yasmine, qui deviendra vingt ans plus tard une militante palestinienne, et Rose qui choisit, elle, d’être une soldate israélienne: ce sont les figures emblématiques  du spectacle.

 A la façon d’une tragédie antique selon la formule chère à Ariane Mnouchkine,  Des Roses et du Jasmin ouvre une brèche significative : observation des événements et évocation des faits objectifs, suivis de leurs conséquences fatales, montrés ici dans une perspective historique. Les morts s’accumulent et le sang coule, comme, paradoxalement, de façon naturelle, mettant à mal ces personnages très entiers et habités par leurs convictions. Amour, amitié, liens familiaux : la force des sentiments fait qu’aucun d’eux ne peut trouver la paix intérieure.

Et, pour que ne pèsent pas trop sur nous ces événements tragiques, Adel Hakim a réalisé une mise en scène qui va aussi vers la comédie et la farce, grâce au jeu burlesque des comédiens, présentateurs amusés et interprètes qui jouent le chœur. Cette assemblée des citoyens commente les actes décisifs des protagonistes et les encadre, jouant sur l’humour : «Une fête, c’est la vie…. Alors, que la fête commence !» Deux entraîneuses de cabaret, enjouées et pleines de facétie, donnent la réplique à deux clowns scintillants dont un Monsieur Loyal : la roue tourne ainsi sous l’impulsion de cette parole malicieuse. Mais ces jeunes femmes deviendront plus tard des combattantes rudes et déterminées…

Scénographie et lumières d’Yves Collet offrent à  cet esprit festif inscrit au milieu de la mort, un espace radieux où se réfugient ces personnages tragiques. Avec, dans une lumière blanche éclatante, des châssis transparents obliques, défunts gardiens qui assistent les vivants  au cœur se souvient. Saluons les acteurs palestiniens, à la gestuelle et à la voix remarquables : Hussam Abu Eisheh, Alaa Abu Gharbieh, Kamel El Basha, Yasmin Hamaar, Faten Khoury, Sami Metwasi, Lama Namneh, Shaden Salim, Daoud Toutah.

Il y a, dans Des Roses et du jasmin, l’éclat circonstancié et dialectique d’un conflit obscur qui semble ne jamais pouvoir trouver sa fin…

Véronique Hotte

Théâtre des Qurtiers d’Ivry-Centre Dramatique National du Val-de-Marne, Manufacture des Œillets, 1 place Pierre Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine. T : 01 43 90 11 11,  jusqu’au 5 février.

Le texte de la pièce est publié aux Editions L’Avant-Scène Théâtre.

 

 

 

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