Elvira, mise en scène de Toni Servillo
Elvira, mise en scène de Toni Servillo, en italien surtitré.
«A chacun des mots que tu dis, il faut que tu sentes ce que tu dis, que tu sentes ce que cela représente…Si tu fais cet exercice en appelant en toi, à mesure que tu penses le mot, le sentiment que ce mot exprime, à un moment donné, les sentiments monteront en toi, au fur et à mesure, avec tant d’intensité que tu pourras presque jouer intérieurement le texte sans le dire, puis tu seras obligée de le dire. A ce moment-là, tu joueras le rôle. »
Louis Jouvet s’adresse ainsi à une de ses élèves du Conservatoire qui tente d’incarner le rôle d’Elvire dans un extrait du Dom Juan de Molière. Il y a trente ans, Philippe Clévenot et Maria de Medeiros nous avaient offert un moment de grâce sur ce même plateau, dans la mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman. Ces propos sur l’art de l’acteur résonnent aujourd’hui, en langue italienne, avec Toni Servillo.
Le magistral acteur, qui est aussi metteur en scène, a créé cette pièce au Piccolo Teatro de Milan, mais le chiffre 40 a disparu du titre. Il faisait référence à l’histoire de Claudia, cette élève de Louis Jouvet qui, après avoir reçu le prix de comédie et de tragédie au concours de sortie, fut dénoncée comme juive, et l’accès à la scène lui fut alors interdit. Louis Jouvet, lui, partit avec sa troupe en tournée en Amérique du Sud et cet exil volontaire dura toute la seconde guerre.
Dans cette version, on entend au lointain des discours fascistes qui évoquent l’occupation allemande. Deux chaises, une petite estrade, et trois marches qui mènent à une rangée de fauteuils rouges, reconstituent la salle de répétition du Conservatoire. Toni Servillo, entouré de trois artistes italiens, règne en maître sur la scène : figure professorale totalement habitée par son amour du théâtre, il initie ses élèves à l’art de l’acteur. Sa gestuelle et les expressions de son visage traduisent un état de concentration extrême, et il ne se détend qu’aux saluts, adressant un merveilleux sourire au public.
Au fil des tirades, on entre dans l’intime de la création. Une mise à nu du théâtre, magique et envoûtante. Voilà pourquoi, nous continuons de courir de salle en salle, au risque d’être déçus. Merci à Toni Servillo d’avoir, après Giorgio Strehler qui avait aussi monté ce texte en 1986, osé réveiller nos mémoires, tout en renouvelant l’image de Louis Jouvet, acteur mais surtout professeur, que beaucoup de jeunes comédiens d’aujourd’hui aimeraient rencontrer…
Jean Couturier
Le spectacle s’est joué au Théâtre Louis-Jouvet, Athénée, 7 Rue Boudreau, 75009 Paris. T : 01 53 05 19, du 12 au 21 janvier, dans le cadre du Festival Italien qui a lieu jusqu’au 29 janvier.