Donnez-moi donc un corps
Donnez-moi donc un corps, d’après Ovide, Rainer Maria Rilke, Georges Rodenbach, Fernando Pessoa, Franz Kafka, Gwenaëlle Aubry… mise en scène de Sarah Oppenheim
La metteuse en scène s’était déjà fait connaître, notamment avec Saisir d’Henri Michaux et La Voix dans le débarras de Robert Federman (voir Le Théâtre du Blog). Ce nouveau spectacle se veut une libre rêverie “sur le sentiment étrange d’habiter son corps, dit Sarah Oppenheim, et sur nos désirs et peurs de métamorphoses. Il y a ceux qui ne se reconnaissent pas dans la glace et qui aimeraient se faire autre. Il y a ceux qui ont perdu leur reflet et qui aimeraient juste être quelqu’un. Il y a ceux qui se sentent trop à l’étroit dans un seul corps et qui aimeraient être plusieurs … Et il y en a tant d’autres encore !”
Sur le plateau, une belle installation plastique avec une grande branche dans le fond, plusieurs bassines en zinc, et à cour, une grande table avec neuf miroirs rectangulaires posés dessus et devant, qui seront ensuite disposés en ligne sur la scène mais à l’envers. Tout se passe dans une lumière crépusculaire qui ne variera guère. Avec trois personnages: un jeune homme aux longs cheveux en slip noir et grosses chaussettes de laine, se lave très lentement dans une cuvette, une jeune femme habillée de la même façon en fait autant. Et, d’abord assis à la table, un homme plus âgé, mange une pomme très lentement; plus tard, nu, il traversera la scène.
Si on bien compris, tout se passe surtout autour des trois corps de ces personnages solitaires qui n’ont pas grand chose à voir entre eux, sous une pluie qui tombe des cintres sur un grand châssis de verre et qui envahit le plateau sous un magistral tonnerre. L’élément eau semblant être un des thèmes favoris de la créatrice. On reconnaît mais on n’entend pas très bien des bribes de textes d’auteurs comme ceux de Rainer-Maria Rilke, Fernando Pessoa, Franz Kafka
Comme dans Saisir, aucun doute là-dessus, Sarah Oppenheim sait créer un univers plastique comme ici, avec la collaboration d’Aurélie Thomas et Louise Dumas.,Aux meilleurs moments, cela rappelle ceux de Meredith Monk, Bob Wilson ou Tadeusz Kantor. Oui, mais voilà, Sarah Oppenheim semble avoir eu du mal à diriger correctement ses acteurs Jonathan Genet, Fany Mary, Jean-Christophe Quenon à la diction approximative, ce qui est plutôt ennuyeux quand on veut mettre en valeur quelques phrases poétiques. On saisit quand même l’histoire de deux jeunes filles élevées par leur père… Mais Sarah Oppenheim, elle, a commis une autre erreur en imposant en permanence une lumière crépusculaire, et du coup, le spectacle qui ne dure pourtant qu’une heure… paraît bien long!
Dans Saisir, le texte d’Henri Michaux porté par Yann Colette s’avérait trop envahissant par rapport à des images d’une grande beauté. Cette fois, c’est plutôt le contraire, et on aurait aimé que ces bribes de texte prennent tout leur sens dans un univers visuel aussi imposant. Dans un théâtre minimal et intimiste qui se rapproche de la performance, l’équilibre n’est certes pas des plus faciles à trouver- Claude Régy, grand maître dans ce genre d’exercices, n’y a pas toujours réussi- Sarah Oppenheim devrait y arriver; mais, malgré encore une fois de très grandes qualités plastiques, ce petit spectacle nous a laissé sur notre faim…
Philippe du Vignal
Petite salle du Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 5 février. T : 06 65 25 58 60.
Et Musée du Louvre à Lens, le 18 mars.
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