La Bonne éducation : La Fille bien gardée et Maman Sabouleux
La Bonne éducation : La Fille bien gardée et Maman Sabouleux d’Eugène Labiche et Marc-Michel
Photo Arthur Péquin
Dans Les Animals, (voir Le Théâtre du Blog), Jean Boillot avait mis en scène avec bonheur La Dame au petit chien et Un Mouton à l’entresol, du même Eugène Labiche, où des bourgeois ont bien du mal à gérer leurs relations de couple. Jean Boillot persiste et signe avec un second volet en deux pièces, sous le titre ironique: La Bonne Education. Dans La Fille bien gardée, une petite fille,Berthe, assez capricieuse, est laissée par sa mère qui va s’amuser dehors, aux bons soins d’une femme de chambre et d’un valet; malins et sans scrupule, ils ont vite compris qu’ils pouvaient profiter, et sans trop de risques-si du moins si tout allait bien-de la situation… Elle, prélève ce dont elle a besoin, dans les produits de beauté de sa patronne, et lui, s’abreuve des liqueurs du salon. Et ils n’hésitent pas à emmener Berthe, au bal Mabille. Et, comme eux, la petite fille en reviendra alcoolisée ! Alors qu’ils rentrent tous les trois, arrivera évidemment en même temps, la mère de Berthe…
Dans Maman Sabouleux, il s’agit aussi du sort d’une petite fille ; les époux Claquepont qui ont mis en garde leur bébé chez une nourrice de la campagne sous un prétexte :« L’air de Paris, dit le père qui se justifie de façon grotesque, ne vaut rien pour les enfants: il manque d’oxygène ». La mère elle, avoue quand même, mais très vite: « J’ai comme un remords… rester huit ans sans la voir! Mais ce bébé a bien grandi et a acquis, à huit ans, une véritable autonomie. Bref, le couple Claquepont, côté éducation des enfants, a tout faux…
Il s’agit là aussi du sort d’une petite fille pas très facile qui a appris à se construire elle-même et Eugène Labiche montre bien ici que l’enfant, rarement voulu à l’époque, n’a pas une grande valeur affective et en est souvent presque réduit à n’être qu’une sorte d’objet un peu encombrant. Autant dire qu’encore plus que dans ses autres pièces, il a une vision assez pessimiste de cette société, fondée sur l’égoïsme et des rapports de classe très durs, et où l’argent est roi!
Dans le même décor qu’Animals, mais Jean Boillot a préféré ignorer ou presque, les longues didascalies où Eugène Labiche décrit un intérieur de pauvre ferme. Et il a sans doute eu raison. C’est une drôle de construction assez surréaliste, bien vue, signée Laurence Villerot, avec différents niveaux; cette très efficace machine à jouer, les acteurs vont eux-mêmes la transformer pour la seconde pièce. Et Jean Boillot a remarquablement dirigé avec une grande maîtrise du plateau ses acteurs qui savent aussi chanter les quelques couplets de la pièce…
Ici, mènent la danse, deux comédiennes de grande envergure : Isabelle Ronayette qui rend tout à fait crédible Berthe, cette insupportable gamine qui arrive à faire ce qu’elle veut des domestiques: elle a vite compris qu’elle pouvait tout obtenir d’eux, si elle se mettait à pleurer ! Et Nathalie Lacroix qui incarne avec solidité d’abord la femme de chambre, puis la grande bourgeoise Madame de Claquepont, assez cynique :«Nous ne sommes pas ici, dit-elle, pour faire du sentiment ! », quand elle voit, éberluée, que son bébé, devenu une petite fille sauvage, se moque, juste retour des choses, de ces grands bourgeois qui ne lui ont jusque là, guère manifesté d’affection et qui veut rester avec sa maman/papa de substitution.
Il y a ici un excellent rythme, une réelle unité de jeu, ce qui n’est pas si fréquent, grâce aussi à Philippe Lardaud qui joue les mères en travesti, à David Maïsse, Régis Laroche et Guillaume Fafiotte : pas loin de Buster Keaton et des comiques américains, du côté acrobaties ils en connaissent un rayon. Ils sautent, courent ou se laissent glisser sur un petit escalier : ce qui redonne un bel élan à ces piécettes qui, malgré leur cruauté, traînent en longueur au début et qui ne sont sans doute pas du même niveau que les deux précédentes. Qu’importe, on rit souvent… Que demande le peuple?
C’est un travail intelligent et d’une rare acuité scénique. S’il passe près de chez vous, n’hésitez pas.
Philippe du Vignal
Spectacle créé au Nest de Thionville,15 Route de Manom, 57100 Thionville. T: 03 82 82 14 92, et vu à la Scène nationale de Blois, le 7 janvier.