Ce qu’on a de meilleur
Ce qu’on a de meilleur, texte et mise en scène Ludovic Pouzerate
Il était une fois une forêt millénaire, où vivait simplement, dans une ferme partagée, un groupe d’hommes et de femmes. Ce n’est pas le début d’un conte : ça se passe aujourd’hui, dans un forêt menacée d’être déchirée par une inutile autoroute. Une ZAD, et sur un champ de bataille entre le consensus d’un progrès du toujours plus et la dissidence de quelques « décroissants », qui ont réfléchi sur la valeur de la vie.
C’est vraiment la guerre, avec ses victimes : un jeune homme tabassé à mort par les nervis des grands groupes intéressés à l’affaire, ou peut-être même par la face cachée d’une police dévoyée. La menace monte, l’inquiétude aussi, dans cette petite communauté qui devient nerveuse. Evidemment, on pense à Notre-Dame des Landes, au barrage de Sivens et aux «terroristes» du groupe Tarmac. Ou au documentaire d’Olivier Azam La Cigale, le corbeau et les poulets.
«Dans des bouts de campagne qui mélangent autochtones gens de passage et nouveaux arrivants, j’ai rencontré, dit Ludovic Pouzerate, des hommes et des femmes libres qui inventent concrètement leurs vies, dégagés des injonctions du libéralisme contemporain (…) Une autre approche de l’existence que la lutte solitaire pour la reconnaissance sociale, l’enrichissement matériel et l’exercice d’un pouvoir.
L’auteur contourne ce que le thème pouvait avoir de tragique –il y a mort d’homme-, ou de trop unilatéralement militant, d’abord par la complexité de l’écriture, qui fait parfois se chevaucher en simultané plusieurs pensées, plusieurs niveaux d’échanges. Les didascalies, écrites comme dans un scénario : “extérieur nuit“, “la cuisine“-, sont aussi une évocation poétique de la forêt, de ce monde à l’écart du monde. Dans son dispositif dramatique, « la plus libre des radios libres » est partie prenante du groupe et en même temps, en donne le commentaire et en crée la légende. Une astucieuse mise à distance qui ne casse pas la fiction.
Plus important encore, essentiel, le choix de production du spectacle. Comment parler de ce qui émerge, de ce qui vit, avec des moyens anciens, hors d’usage ? Chiche, utilisons ce qu’on a de meilleur. On ne tombera pas dans le piège, comme le paysan ligoté par l’endettement dès la première aide reçue. On fera avec les moyens du bord : deux tables de bois, des chaises récupérées, un vieux canapé (même si c’est celui du bureau de Travaux 12), une machine à fumée dérisoire et à vue.
Mais précisément ce pari instaure un rapport direct et réel aux choses et au propos de la pièce. Libre. Oui, la nature des objets, leur vérité fait partie de la pensée du spectacle. Et cela, sur le fond d’une band-son sobre et précise, dope le jeu des comédiens, excellents. Mélina Bomal, Stéphane Brouleaux, Antoine Brugière, Frédéric Fachena, Elsa Hourcade, Etienne Parc, Bryan Polach ont mis leurs forces en jeu : tous jouent dans des productions plus « riches », et ont accepté un salaire au ras des pâquerettes parce qu’ils croient à la cohérence du projet qui donne au spectacle sa qualité : le public ne s’y trompe pas qui retient son souffle avant d’applaudir avec jubilation.
Un spectacle radical dans sa fabrication, convivial et généreux, qui pose des questions d’actualité pas gaies, mais avec une joyeuse énergie. Heureux hasard de l’actualité : Ce que nous avons de meilleur s’est joué en même temps qu’à la maison des Métallos : L’Avaleur, présenté par les Tréteaux de France (voir Le Théâtre du blog), portrait sans concession (et drôle) de l’ennemi numéro-un, la finance incarnée. En deux volets, le public a une image forte de la réalité de monde. Et il n’attend que ça, et ne demande pas qu’on lui bande les yeux. Mesdames et messieurs les directeurs de salle, vous voyez ce qu’il vous reste à faire.
Christine Friedel
Collectif 12 à Mantes-la-Jolie jusqu’au 4 février- T : 01 30 33 22 65
contact@collectif12.org
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