Oncle Vania d’Anton Tchekhov
Oncle Vania d’Anton Tchekhov, mise en scène de Philippe Nicaud
La pièce, écrite en 1897 mais jouée deux ans plus tard, a précédé Les Trois sœurs et La Cerisaie donc sept ans avant la mort d’Anton Tchekhov ; les quatre actes, sans indication de scène, racontent la fin du séjour l’été, d’un professeur à la retraite, Sérébriakov et de son épouse Eléna (27 ans) dans la propriété agricole de Sonia, la nièce du professeur où vit aussi leur beau-frère Vania qui a travaillé toute sa vie dans ce domaine dont elle a hérité de sa mère, pour aider financièrement Sérébriakov. Vania, lui, a perdu ses illusions sur celui qu’il prenait pour un génie et lui en veut. Et, comme il est amoureux d’Eléna, cela n’arrange pas ses rapports avec son mari qui se plaint tout le temps et supporte mal de se voir vieillir …
Quant à la belle Elena qui admirait aussi le professeur et en était amoureuse, elle avait fini par se marier avec lui. Désabusée, elle n’est plus amoureuse de cet insomniaque qui exaspère tout le monde avec ses prétendues maladies et qui voudrait imposer son rythme de vie aux autres Elle s’ennuie et se laisserait bien séduire par Astrov, le médecin de campagne qui, fasciné par elle, vient souvent au domaine pour la voir. Il en a assez de courir chez ses patients, pense qu’il n’est plus utile et, visionnaire respectueux de la Nature, s’inquiète du sort de sa région dévastée par les coupes de bois. Mais il noie son mal de vivre dans la vodka…
Sonia, elle, profondément seule, est aussi amoureuse folle de ce très beau et séduisant Astrov mais, en larmes, finira par comprendre que c’est sans espoir. Sérébriakov voudrait vendre le domaine pour réaliser une opération soi-disant juteuse; bien entendu, Vania n’accepte pas et une violente dispute va les opposer. Sérébriakov et Elena, après une réconciliation de façade, partiront à jamais… laissant Sonia désespérée, Astrov encore plus amer et Vania accablé de tristesse, enfin débarrassés du professeur mais tous encore plus seuls avec eux-même.
La pièce, admirablement construite, comprend en plus des cinq personnages cités plus haut, Maria, la grand-mère de Sonia et mère de Vania et de la première femme de Sérébriakov, Téléguine, un propriétaire ruiné qui vit là, aux crochets de Sonia et Vania, Marina, la vieille nourrice, et un valet. Bref, une communauté de gens qui se sont toujours connus et qui vivent étroitement les uns avec les autres, maîtres et domestiques, dans un microcosme coupé du monde, surtout pendant les longs hivers russes. Sur fond de tristesse et de solitude mais aussi de moments joyeux comme Anton Tchekhov tenait à le souligner.
Philippe Nicaud a éliminé tout folklore du genre : samovar, costumes d’époque et neige qui tombe, et a donc éliminé les autres personnages secondaires et a recentré la pièce sur les cinq principaux, sans doute pour des raisons financières. Oncle Vania y perd de ce côté grande famille qui est un peu la marque de la fabrique Tchekhov mais y gagne sans doute en intimité. Sur le petit plateau de la cave voûtée de l’Essaïon, juste une table de bois, quelques tabourets, une étagère avec quelques assiettes, des bouteilles de vin et de vodka, une cafetière électrique qui répand son fumet, et dans le fond, une autre table pleine des papiers et livres en fouillis du professeur. Et quelques lampes de chevet. Sur des cintres accrochés au mur, trois robes d’Eléna. Et les cinq personnages tous présents sur scène restent discrets, quand il ne jouent pas dans une scène. «J’ai voulu cela, dit Philippe Nicaud, pour recréer cette atmosphère étouffante». En fait, cela ne fonctionne pas très bien et fait convention post-brechtienne des années 70 et le début a un peu de mal à se mettre en place. Mais qu’importe ces réserves, rien de grave.
Oncle Vania a souvent été montée ces dernières années, notamment par Eric Lacascade, Pierre Pradinas, Christian Benedetti, Jacques Livchine et Hervée de Lafond qui l’avaient joué en plein air et l’une des meilleures mises en scène que nous avions toutes vues, et il y a deux mois par Julie Deliquet (voir Le Théâtre du Blog). Mais ce spectacle bien rodé, est à la fois simple, (pas de criailleries, de micros HF, d’effets inutiles, pas non plus de grossissement vidéos, pas de musique, sinon quelques airs à la guitare chantés par Astrov) mais exigeant, avec un grand respect du texte, même s’il a été élagué, et une bonne direction d’acteurs. Tous les personnages sont très crédibles, que ce soit Céline Spang (Eléna) (photo plus haut), Bernard Starck (le professeur) et Philippe Nicaud (Astrov) mais surtout Fabrice Merlo (Vania) et Marie Hasse (Sonia). Tous les deux exceptionnels et sublimes de justesse (photo ci-dessus). La grande classe…
Quand les choses s’accélèrent vers la fin, et qu’Astrov et Eléna échangent de longs baisers, juste au moment où arrive le pauvre Vania avec son bouquet de roses ! Quand, désespérée, la pauvre Sonia voit son bel amour s’écrouler et sanglote… On a beau en avoir vu des scènes de Tchekhov fortes et pathétiques mais là, et croyez-nous-et c’est vraiment rare dans une vie de critique-on en a plus que les larmes aux yeux. Une absence de prétention, une très bonne diction, et un travail approfondi de Philippe Nicaud et de ses acteurs sur les personnages aux costumes simples mais justes! Résultat: une vérité et une émotion palpable devenus rares dans le théâtre contemporain!
Cette compagnie joue seulement certains jours! Sans doute une histoire de finances, mais si vous le pouvez, allez-y, vous ne regretterez pas cet Oncle Vania qui ira aussi comme l’an passé, à Avignon où nous n’avions pu le voir. Le public a applaudi longuement et avec raison cette mise en scène. Reste aux directeurs-des grands et moins grands-théâtres parisiens à accueillir ce remarquable spectacle sur le vrai plateau d’une petite salle. Des noms, du Vignal ? Allez en vrac : Le Théâtre des Abbesses, le Théâtre de Paris, le Paris-Villette, le Théâtre de Belleville, le Grand Parquet, le Théâtre de la Tempête…Ne répondez pas tous en même temps!
Mais ce serait en effet dommage que ce formidable spectacle ne soit pas plus largement vu…il le mérite vraiment.
Philippe du Vignal
Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre au Lard. T: 01 43 78 46 42 jusqu’au 19 mars, attention: seulement le jeudi à 19h 30, et le dimanche à 19h,et en juillet, au Festival d’Avignon.
Enregistrer
Enregistrer