We call it love de Felwine Sarr

 

We call it love de Felwine Sarr, mise en scène de Carole Karamera et Denis Mpunga

IMG_0545Ce spectacle rwandais a été programmé au festival Scènes d’Europe à Reims. Carole Karemera, 41 ans, actrice, danseuse et saxophoniste belge d’origine rwandaise n’est pas une inconnue. Formée au Conservatoire Royal de musique de Mons puis de Bruxelles où elle a obtenu le premier prix d’art dramatique et de déclamation, elle a joué notamment dans Rwanda 94 et Anathème, mises en scène par Jacques Delcuvellerie et a  dansé avec le chorégraphe Wim Vandekeybus. Elle  jouera bientôt, à Reims, dans Battlefield de Peter Brook. En 2006, elle créé à Kigali, l’Ishyo Arts Centre,  un centre culturel qui forme des artistes locaux et organise des spectacles et festivals. L’ouverture d’un tel lieu n’a pas été facile dans un pays encore marqué par le génocide et qui n’a pas mis la culture au centre du processus de reconstruction…

We call it love est joué dans le même dispositif bi-frontal qu’au festival de Tunis 2016 (voir Le Théâtre du Blog) : le public est assis sur deux rangs, de part et d’autre d’un mince couloir réservé aux comédiens qui jouent une mère et son fils qui a été massacrée; cette mère va se trouve confrontée à son bourreau, dernière personne à avoir vu son fils. Le tueur raconte, d’abord fier, puis de plus en plus honteux, cette mise à mort, imposée son clan. Ces êtres que tout oppose vont réussir à dialoguer : la mère veut comprendre  et le tueur va découvrir la souffrance de la femme et la vie brisée par son geste. Le chemin de la mère s’achève là où celui du garçon commence. Sur une proposition inimaginable : elle veut adopter le bourreau de son enfant,  pour qu’il devienne son «fils en humanité».

 L’espace scénique symbolise la traversée, le long cheminement du pardon et de l’apaisement. De part et d’autre, le public figure les deux communautés, face à face,  séparées par une étroite frontière. Musique et sons jaillissent de tous côtés et, derrière nous, on entend des coups portés, les mouches voler et des chants religieux. Carole Karemera, qui se sentait trop proche de ces événements, a demandé à Felwine Sarr, philosophe et musicien sénégalais, de transcrire cette histoire qui a été créée à partir de recherches documentaires et d’interviews sur le thème des Droits de l’homme et de la mémoire des génocides.

Le spectacle aborde le thème de la reconstruction d’une nation, mais aussi du pardon nécessaire pour que le pays ne s’écroule pas. Au Rwanda, les Gacaca, tribunaux de village, ont fait, pour accélérer le processus judiciaire, se confronter parents des victimes et bourreaux. «Seul, l’impardonnable est pardonnable», dit cette mère dont la parole prend tout son sens dans ce beau pays d’Afrique, où, chaque année, début avril, on commémore le génocide et où on ne confond pas oubli et pardon!

Carole Karemera interprète une mère droite et humaine, face à ce tueur (Michael Sengaz), qui, hésitant, entame son processus de contrition. Et le musicien Hervé Twahirwa apporte ici  une touche sonore très imagée. Un spectacle d’une grande justesse, sans concession, simple et bouleversant.

 Julien Barsan

Spectacle vu à la Comédie de Reims, dans le cadre du festival Reims-Scènes d’Europe. Maison des Métallos 94 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris. T. 01 47 00 25 20, du 13 au 18 mars.

 


Archive pour 8 février, 2017

Vertiges, texte et mise en scène de Nasser Djemaï

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Vertiges, texte et mise en scène de Nasser Djemaï

 

D’abord, se souvenir. La Z.U.P. fut un havre de paix… autrefois. Avant la paupérisation des «quartiers», avant que les faits-divers ne les stigmatisent, surtout en période pré-électorale. En novembre dernier, une rencontre-lecture organisée par Théâtres en Dracénie nous faisait découvrir Nasser Djemaï, un des rares auteurs dramatiques qui s’intéressent à l’évolution de ces «kystes urbains», appellation dont on fustige parfois l’architecture et les habitants.

 Sa voix sensible, nourrie par l’expérience, évoque le temps où cet habitat collectif était synonyme de confort, de « vivre ensemble », et progrès pour des travailleurs, immigrés ou non, qui, jusque là, logeaient dans des zones souvent insalubres et éloignées de la ville. Dans une langue tout en pudeur, il fait aussi sonner avec férocité  le désenchantement et la trahison, les frustrations et les colères légitimes. On entend enfin les mots poignants des pères bafoués, espérant que leurs enfants ne subissent pas l’exploitation, et ceux des fils déchirés.

En écho, était projeté le beau documentaire de Marie-Catherine Delacroix et Laurence Bazin Ils ont filmé les grands ensembles, un montage d’images privées tournées dans les années 60-70. La patte du super-8, les cadrages amateurs et le regard nostalgique des témoins: tout y réactive l’espoir dont ces cités étaient porteuses. Nous étions donc impatients de découvrir la dernière création de Nasser Djemaï. Mêlant travail de plateau et écriture documentaire, cette pièce clôt  sa trilogie théâtrale, sous le signe de la difficile construction identitaire dans les familles immigrées. Une étoile pour Noël ou L’Ignominie de la bonté donnait la parole à un enfant en quête d’intégration, sommé gentiment et perfidement de faire disparaître son prénom et sa culture. Du vécu ! Dans Invisibles, multi-nommé aux Molières 2014 (voir Le Théâtre du Blog) il s’agissait d’entendre les « chibanis » (cheveux blancs), ces immigrés du Maghreb souffrant du manque de reconnaissance  qu’il subissent en France comme dans leur pays. Nabil, le fils, personnage qui se débat avec ses contradictions, n’est pas loin de Nasser Djemaï. Il chercher sa place, tiraillé entre la volonté de rendre hommage au combat du père et la nécessité de trouver sa place. Voyage, filiation, dépassement de la prédestination… on sent le souffle de la tragédie grecque. Vertiges aurait aussi pu être nommé vestiges, tant l’époque bénie a laissé place à des ruines. Les logements comme leurs habitants ont été abandonnés, les religieux extrémistes les hantent et les mœurs ont changé. Nasser Djemaï sait finement décrire de l’intérieur, l’incompréhension et les tensions familiales. Par la fenêtre, on devine les jeunes mecs désœuvrés qui tiennent les murs,et  les filles qui essaient de trouver de l’oxygène ailleurs. Braises de Catherine Verlaguet offre aussi ce regard sur des êtres déchirés entre leurs désirs et la culture familiale : la mise en scène sobre et poignante de Philippe Boronad crée un espace mental où flottent, comme des spectres, les femmes victimes de traditions machistes. Nasser Djemaï  a choisi, lui,  une  scénographie hyperréaliste qui reproduit un appartement d’H.L.M. : babioles sur un buffet en stratifié, table dépareillée de bois foncé, coussins colorés sur un canapé défraîchi…  Mais les mots juste, chargés d’émotion qui nous avait touchés  à la lecture par l’auteur, sonnent ici avec moins de force. Pendant la première heure, on n’y croit guère: les acteurs ont beau avoir une culture franco-maghrébine, les langues, les rires et les emportements se juxtaposent, peu nuancés, comme automatisés… On ne croit pas plus à ces gestes du quotidien : rangement du linge et réparation de la chaudière, qui semblent artificiels dans ce décor si réaliste. Tout est trop explicite. Il y a l’aveuglement tragique des parents, la fille bordélique à la gaieté teintée d’hystérie, le fils chômeur assez  indolent. Et un autre fils, prodigue, obsessionnel, qui voudrait bien mettre de l’ordre, alors qu’il est bousculé par son divorce en cours. Chacun joue une partition un peu caricaturale. Et c’est un peu longuet. Puis soudain, la scénographie évolue et le spectacle sort de la tranche de vie. Le point de bascule se fait lors de la prise de conscience de l’impossible retour au pays natal. Comment sortir de l’appartement, de la cité, de la condition de dominés  jointe à une assignation implicite à résidence ? Comment oser affronter l’extérieur ? Où trouver sa place (juste par exemple pour un simple pique-nique en plein air) ? Questions matérialisées par un buffet qui s’émancipe et devient le lieu de projections. Comme un appel du grand large : barres d’immeuble comme unique ligne de vision, fantasmes d’ascension sociale et flots marins. Avec le décor qui se délite, l’atmosphère, de plus en plus chargée de symboles et onirique, fait davantage confiance au spectateur. Les comédiens portent alors avec force, les défis de leurs personnages. Les dernières images se gravent dans la rétine et le cœur : quelle émouvante réappropriation du rituel mortuaire ! On reste suspendu à cette vision de vêtements qui gouttent, à cette superbe pietà inversée. Le Styx et la mer Méditerranée se rejoignent dans le même lit. Autre grande réussite, elle aussi liée à la métaphore de l’eau purificatrice, une voisine omniprésente qui hante l’appartement familial. Comme dans Elle brûle où la metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen faisait apparaître épisodiquement un énigmatique bibendum dans l’intérieur naturaliste d’Emma B, on retrouve ici  l’idée du personnage-symptôme. Cet oiseau de mauvais augure, cette mouche exaspérante, entre folie et culpabilité, incarne l’infiltration du malheur.

Pour penser l’identité multiculturelle de la France et, au-delà, les pièges de la famille et du labeur mortifère, l’écriture et la démarche artistique de Nasser Djemaï sont essentielles et nourricières. Souhaitons donc à ces voix rarement entendues sur scène, de se fortifier: elles méritent de circuler, pour que l’on entende le drame intime de ces arbres déracinés qui poussent tordus, mais vivaces.

Stéphanie Ruffier    

Spectacle vu le 3 février à Théâtres en Dracénie, à Draguignan

 Théâtre du Château Rouge Thonon, les 9 et 10 février.  Théâtre du Vellein – Villefontaine Annemasse, le 16 février.Théâtre des Quartiers d’Ivry Centre Dramatique National du Val-de-Marne, du 20 février au 12 mars. Le Granit, scène nationale/Belfort les 14 et 15 mars. Théâtre de Vesoul le 18 mars;  Le Bateau-Feu/scène nationale de Dunkerque le 21 mars; La Garance/Scène nationale de Cavaillon, le 31 mars. Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon du 4 au 8 avril ; Le Sémaphore à Cébazat le 11 avril. Théâtre des Salins, Martigues, le 27 avril. Centre Culturel des Portes de l’Essonne le 6 mai.

 

http://nasserdjemai.com

   
 
   
   
   
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Tree of Codes mise en scène et chorégraphie de Wayne McGregor

Tree of Codes, mise en scène et chorégraphie de Wayne McGregor

tree-of-codes-photo-joel-chester-fildesLe public a assisté le soir de cette première, à une  réelle communion entre les six danseurs de l’Opéra de Paris et les neuf de la compagnie anglaise. Ce ballet d’une heure vingt, créé au Manchester International Festival en juillet 2015, a transformé  la salle du Palais Garnier en boîte de nuit géante, aidé en cela par la musique électro pop du DJ Jamie X, et grâce à la scénographie originale d’Olafur Eliasson, associée à la réalisation-lumière de Rob Halliday.

Avec un subtil et double plan de miroirs qui occupe toute la scène, le chorégraphe sublime les corps de ses interprètes  grâce à des jeux d’une lumière toujours en mouvement qui,  parfois, se fait rasante,  ou se reflète dans les miroirs, laissant apparaître furtivement les visages des spectateurs, ou créant des images des danseurs qui se superposent.

 La lumière enveloppe chacun d’eux  et les  transforme en sculptures mouvantes  aux poses complexes rappelant  les dessins  d’Antoine Bourdelle  qu’il fit, en observant la danse très libre d’Isadora Duncan au début du vingtième siècle.  Que cela soit en solo, avec Marie-Agnès Gillot,  ou avec Jérémie Bélingard en duo ou en groupe, cette danse rapide et souvent surprenante,  faite de gaieté et de désespoir, de douceur et de violence, réalise une très belle calligraphie dans l’espace.

L’énergie et l’engagement physique de la compagnie Wayne McGregor entrent en résonance avec l’enthousiasme des danseurs de l’Opéra de Paris qui les accompagnent dans cette pièce envoûtante, pour la plus grande joie d’un public qui a  longuement applaudi  Tree of Codes.

Jean Couturier

Opéra de Paris, Palais Garnier  jusqu’au 23 février.

operadeparis.fr          


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