Le Nouveau monde, une histoire générale et poétique
Deuxième biennale des Arts du Cirque de Marseille Creac Archaos :
Le Nouveau monde, une histoire générale et poétique de Gilles Cailleau
Gilles Cailleau avec sa compagnie Attention Fragile, a été en résidence à Gap puis à la Gare Franche à Marseille, lieu fondé en 2001 par le merveilleux Wladyslaw Znorko, disparu il y a déjà trois ans (voir Le Théâtre du Blog). Il y a aussi présenté un ancien spectacle Gilles et Bérénice et y répété Le Nouveau Monde, qu’il vient de créer à l’Ecole fragile, un lieu d’enseignement des techniques circassiennes (cela fera plaisir à M. Laurent Wauquiez!!!) à La Valette-du-Var, avec un beau chapiteau, et tout autour, des caravanes pour une dizaine de personnes (cuisine/salle à manger, chambres et douche). Rien de luxueux mais un outil simple et efficace…
Gilles Cailleau élabore une histoire générale et poétique du XXIe siècle, dans une sorte de voyage poétique très personnel, pour dire à la fois le monde actuel et imaginer le suivant. Comme à tout le monde, cela lui fait sans doute fait toujours un peu drôle, quand on dit : «Au siècle dernier », et qu’on évoque des événements situés, au maximum, il y a une quinzaine d’années… Mais ainsi va la vie!
«C’est, dit-il, un spectacle d’enfant qui ne comprend pas le monde et joue à la poupée pour essayer de se dépatouiller de ce qui lui tombe dessus. Il joue aux marionnettes, aux petits avions, il fabrique des bateaux en papier. Il cloue des planches, il les attache avec des ficelles, il joue avec des couteaux, il se déguise, il essaye, il tombe, il réessaye, il fait des échasses, il fait de la magie, il veut épater ses parents, ses copains, ses copines. Il fait semblant d’être mort, d’être un héros, d’être une star, il aime les berceuses, danser, chanter à tue-tête, c’est un garçon il aime les drapeaux, compter, écrire des poésies. Quand il tombe devant les autres il est vexé comme un pou, des fois aussi, il s’en fout. »
A mi-chemin entre entre le cirque avec sa piste et son chapiteau qui imposent d’autres règles de mise en scène à cet acrobate devenu aussi acteur, qui dit justement devoir trouver un autre langage que celui habituel du théâtre pour donner corps à ses inquiétudes métaphysiques devant le monde compliqué où il n’a pas d’autre choix que de vivre avec ses petites illusions mais aussi avec ses petites richesses personnelles. Allez, on va encore vous ressortir ces vers fameux de l’immense Eschyle: «Jouissez chaque jour des joies que la vie vous apporte car la richesse est vaine chez les morts », règle que Gilles Cailleau semble s’être imposée, quand il s’agit pour lui de dire le monde dans un cirque.
Il parle longuement de la planète qui suffoque à cause de la folie des hommes qui mangent trop, qui veulent toujours plus de plaisir immédiat, qui voyagent trop en avion, au mépris de la Nature qui n’en peut plus de leurs déchets. Il accuse aussi l’Occident de n’être pas lucide, alors qu’il commence à payer-et cher-la dette qu’il a contractée depuis longtemps avec les pays pauvres. Gilles Cailleau raconte notre époque à sa manière. Il jette horizontalement de très longs couteaux, se coupe en deux avec une scie musicale, puis fait écrouler les deux trop fameuses tours new yorkaises, de façon la plus poétique qui soit et réussit-on se demande encore comment-à se maintenir en équilibre un moment sur une des deux piles faites de feuilles de contre-plaqué; deux avions de papier se mettent alors à vriller en flammes.
Images à la fois toutes simples, presque « naïves » mais, cela se sent, longuement concoctées, brillantes d’intelligence et de sensibilité. Il y a aussi toute une longue mais fabuleuse installation entre deux chaises, d’une mince planche qu’il peint en bleu pour figurer la mer et où il installe, avec l’aide d‘une jeune spectatrice, des marionnettes à gaine, figurant des gendarmes qui surveillent les côtes où va venir s’échouer un petit bateau chargé d’autres marionnettes, des migrants, qui va flamber. Il va lui-même aller d’un côté à l’autre de cette planche en pin souple mais prête à craquer. Image qui va servir de caisse de résonance à la première. Le tout dans une vague de brouhaha insupportable, comme l’est la situation de ces désespérés. Il dit aussi, à la fin, avec un mégaphone, toute l’instabilité du monde sur des chaises empilées, coiffé d’une dérisoire couronne royale en carton pour nous inviter à inventer la fin du siècle.
Ce «déséquilibriste» comme il se nomme joliment lui-même, qui est surtout un faiseur de déséquilibre physique, a une belle approche clownesque et donc philosophique des événements qui façonnent notre monde. On repense aux mots fameux de Léonard de Vinci : « La pittura é cosa mentale ». Il prépare longuement ses images de toute beauté avec le public, ne craint pas les ratés ou les approximations : avec lui, c’est à prendre ou à laisser. Nous, on prend… mais le spectacle encore un peu brut de décoffrage-ces deux heures patinent sur la fin et Gilles Cailleau parle trop-devrait être absolument resserré et le metteur en scène aurait pu épargner à l’interprète, une fausse fin, après cette merveilleuse image quand il perché sur les chaises empilées; elle précède une participation, sans grand intérêt, des spectateurs auxquels il demande de s’armer de leur téléphone portable/émetteur de lumière. Malgré ces réserves, cette histoire générale poétique, aussi inquiétante que forcément inachevée du XXI ème siècle, avec toute sa fragilité et ses moyens dérisoires, loin des micros HF, loin aussi d’inutiles et encombrantes vidéos, et/ou de scénographies compliquées, a quelque chose d’aussi merveilleux qu’indispensable.
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 4 février au Pôle Jeune Public-Scène conventionnée. École Fragile, 1140 avenue Pablo Picasso, La Valette-du-Var. T. : 06 17 45 84 59.
Festival village de cirque, Paris du 6 au 25 octobre. Théâtre d’Arles scène conventionnée, Festival Les Indisplinés du 23 au 29 octobre. Théâtre de Grasse du 3 au 5 novembre et du 9 au 12 novembre.
Les Cahiers de l’Égaré éditeront le texte avec un cahier photos en juin prochain.
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