Kant de Jon Fosse

Kant de Jon Fosse, traduction de Terje Sindig,  mise en scène d’Émilie Anna Maillet création virtuelle de Judith Guez

 constellation-com-960x820Aux saluts, ils sont une quinzaine, alors que, pendant une heure, un seul acteur tient la scène, avec deux assistants en coulisses. Les autres sont les hologrammes de l’équipe constituée par le compagnie Ex voto à la lune pour réaliser ce monologue de l’écrivain norvégien, destiné au jeune public. Emilie Anna Maillet a imaginé un dispositif scénique qui mêle jeu direct et vidéo en 3 D. Réel et virtuel cohabitent, grâce à l‘utilisation des nouvelles technologies et d’installations interactives dans le théâtre.

 Le texte de Jon Fosse, d’une grande simplicité, tient en quelques répliques : les questions que Kristoffer, huit ans, ressasse ad libitum dans son lit, cherchant le sommeil. « L’univers a-t-il des limites, ou est il infini ?  Comment peut-il être infini car tout a une fin ? Qu’est ce qu’il y a après l’endroit où ça finit ? Rien ? (…) Je comprends pas et je pense tout le temps à l’univers. Ça me fait peur. Et si l’univers a une fin, il y a peut-être un géant qui vit derrière ? (…)  Et si on existait que dans les rêves du géant ? Et si le géant se réveillait, qu’y aurait il ? Rien ?» Plus Kristoffer pense à l’univers, plus il a peur. Pas facile de dormir, même quand son papa vient le rassurer. S’il était lui aussi dans les rêves du géant ? Bien qu’il lise beaucoup de livres, même ceux de Kant, son père n’a pas réponse à tout. Kant, en norvégien signifie bord !

 Kristoffer et son double projeté apparaissent dès le début, dans un jeu de cache-cache entre réel et virtuel. Comme pour le décor : le lit réel disparait et réapparait en image… L’illusion est permanente. S’y ajoutent des effets plus poétiques : l’enfant secoue sa couette dont les plumes volent en flocons d’étoiles lumineuses, jusqu’à envahir la chambre. Les planètes tournent dans l’espace et les signes du Zodiaque s’y inscrivent.

Régis Royer en pyjama rouge, dans le rôle de Kristoffer, se fond dans ce décor mobile, et joue aussi bien avec les hologrammes qu’avec quelques objets réels : un ballon rouge, un petit avion orange, parfois remplacés par des images flottantes. La magie de la technologie n’a rien de gratuit ni de superflu ici. Le lourd dispositif-mais invisible-réussit à nous entraîner vers un monde onirique léger. Dans le rêve du géant ?

 Selon la même démarche, on peut s’inviter dans la chambre de Kristoffer, avant ou après le spectacle, à condition d’avoir pris rendez-vous à l’avance (nombre de places limité). Là, on vous installe devant les yeux, un casque immersif Oculus Rift qui vous plonge dans un voyage virtuel: objets, meubles et jouets se mettent à flotter et l’on se retrouve immergé dans un ciel étoilé… On éprouve un léger vertige comme l’enfant dans la pièce de Jon Fosse.

Plus pédagogique, un parcours Q R Code très instructif. Muni d’une tablette tactile, vous parcourez le hall du théâtre et téléchargez à chaque étape, à partir de petits carrés dessinés au sol, des documents relatifs aux origines du monde : conférence d’un astrophysicien, cosmogonie illustrée de l’Egypte antique, références cinématographiques, points de vue philosophiques…) tous documents que l’on peut consulter sur le site de la compagnie.

 Qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous ? Le spectacle et ses à-côtés font le tour de la question.  Sans, bien sûr, y répondre complètement. Mais, comme le dit Kristoffer : «Je comprends pourquoi je ne comprends rien à l’univers. Parce que nous les hommes, ne pouvons pas tout comprendre avec notre manière de penser.»

Mireille Davidovici

Théâtre Paris-Villette 211 Avenue Jean Jaurès, 75019 Paris T. 01 40 03 72 23 jusqu’au 28 février, programmé en partenariat avec le Théâtre de la Ville de Paris  

L’Estran Guidek (56) le 7 mars ; Le Grand Bleu à Lille du 16 au 18 mars; Espace Legendre à Compiègne, les 30 et 31 mars

La pièce est publiée par L’Arche éditeur.

www.exvotolalune.com

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Archive pour 17 février, 2017

Antoine m’a vendu son destin/Sony chez les chiens

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© Christophe Raynaud de Lage

Antoine m’a vendu son destin / Sony chez les chiens, textes de Sony Labou Tansi et Dieudonné Niangouna,mise en scène de Dieudonné Niangouna

  »J’ai dit à Sony Labou Tansi : t’inquiète pas mon vieux, je fais mon œuvre mais je termine la tienne « , ainsi s’adresse  Dieudonné Niangouna, alias Dido, à son illustre prédécesseur, puis au personnage de sa pièce, Antoine, en mettant en jeu ses propres talents d’auteur, metteur en scène et comédien.     

 » Voilà vingt ans, écrit-il, que j’ai découvert ce magnifique texte de Sony Labou Tansi, et que je l’ai gardé en moi, attendant le temps de la maturité pour pouvoir le partager. « 

Le spectacle comporte en fait quatre pièces qui se répondent et s’entrelacent, pour un dialogue théâtral entre deux écrivains, l’un né près de Léopoldville en 1947 et mort à Brazzaville en 1995,  l’autre qui, une génération plus tard, ressuscite son maître :  Antoine chez les chiens répond post-mortem à Antoine m’a vendu son destin et Sony chez les chiens dit l’écrivain, dans son rôle face à l’Histoire.  S’y ajoute, en épilogue, Blues pour Sony.

 «Sony m’a tout pris. Comment ? Bah ! Il m’a vendu son destin. Et Dieudonné est mort. Reste Dido qui se rapproche petit à petit de la sueur du maître, la sueur du combat. » Dans une scène d’exposition, Dido (Niangouna) s’adresse à Sony, puis interpelle Antoine, tandis que Diarétou Keita tient les rôles féminins de la mère et de la femme d’Antoine. L’intrigue de cette pièce politique est simple mais, ici, difficilement lisible pour qui ne connaît pas l’œuvre de Sony Labou Tansi.

Le président Antoine, avec l’aide de ses lieutenants, simule un coup d’état pour démasquer ses ennemis. Enfermé « pour de faux » en prison, il doit y demeurer plus longtemps que prévu, suite aux entourloupes de ses opposants, puis décide d’y rester, malgré les injonctions de sa femme, de sa maîtresse et de ses partisans, réunis en un chœur de voix enregistrées. On retrouve ensuite Antoine/Sony, sous la plume de Dieudonné Niangouna, chez les chiens.

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© Christophe Raynaud de Lage

 

Difficile de s’y retrouver dans ce dédale textuel où s’entrecroisent, dans une langue prolixe, charriant les paroles de ces écrivains, en vagues de dialogues, d’invectives, de diatribes… Sur le plateau nu, les acteurs trimbalent un chariot encombré d’objets hétéroclites, à la fois loge, réserve d’accessoires et masques;  il en émerge aussi un squelette miniature et, au début de la pièce, ce capharnaüm est le mausolée d’Antoine, représenté par un mannequin d’homme blanc grandeur nature. L’effigie sera déplacée pour les besoins du récit sur un praticable figurant la prison,  puis servira de support aux dialogues d’Antoine a vendu mon destin. Enfin, elle sera pendue aux cintres …

Quel symbole faut-il y lire autre que le destin sanglant de l’Afrique ? Cet artefact muet et raide sert sans doute à mettre à distance le personnage d’Antoine, dans son ambiguïté ; « Antoine le grand silence national ( …).  Antoine est le grand feu flambant, l’espoir de l’avenir » .

 En guise d’épilogue, les comédiens danseront sur des rythmes africains  parmi tous les accessoires qu’ils ont dispersés sur le sol, oripeaux d’un théâtre qui s’interroge sur lui-même, tout au long du face à face Sony/Dido, tandis qu’une voix off égrène des phrases à n’en plus finir, un requiem dans la pure prose de Dieudonné Niangouna, forte et imagée :   »Sony a un cheval, c’est une grosse tête qui galope, qui galope, qui galope, c’est une grosse bête, il en parle d’ailleurs dans les yeux du volcan, la bête du colosse, et je redis à ma sauce « fashion » : “Chassez le Sony, cent mille reviennent sur leurs mustangs“. Des types comme Sony simulent la mort.   »

Mais, dommage, cette résurrection du grand auteur congolais n’a pas bénéficié d’une mise en scène limpide, ce qui aurait notamment permis un plus grand partage avec le public. Rien ici n’éclaire vraiment cette œuvre de Sony Labou Tansi, peu montée depuis sa création, en 1986, au festival des Francophonies de Limoges, par le Rocado Zulu Théâtre, dans une mise en scène de l’auteur et de Daniel Mesguich.

 Le spectacle apparaît comme un grand puzzle d’une heure trente qu’il faut déchiffrer, sans en avoir toutes les clefs. Malgré le dispositif tri-frontal qui induit une proximité avec le public, on a du mal à entrer dans ce jeu de miroir entre deux auteurs, deux époques et deux styles. L’émotion arrive dans la dernière ligne droite, quand Dido, joué avec justesse par Diarétou Keita, évoque sa rencontre avec la figure tutélaire de son père spirituel, son mentor en écriture. L’actrice apporte une autre tonalité, comme en contrepoint, à cette pièce.

 Pourtant, on a l’impression que tout est là, dans un bel exercice d’admiration, tentative de réinterroger le présent et, grâce à une écriture incisive, d’inclure un Sony vivant, dans une réflexion à la fois poétique et théâtrale sur le Congo d’aujourd’hui.  «L’Afrique deviendra de plus en plus un cas de conscience pour l’Humanité entière », écrivait Sony Labou Tansi.

Sur ses traces, et en digne héritier, Dieudonné Niangouna a adressé une lettre à Denis Sassou Nguesso et à ses alliés,  Nous ne sommes pas tous Néron : «Monsieur le Président, je m’insurge. Ne pas s’insurger serait cautionner la grande tragédie qui se prépare et à laquelle personne d’entre nous n’échappera à moins d’en être le bourreau. C’est la mort du sens qui commence. L’esclavage du peuple congolais à l’état d’effacement total. Monsieur le président, vous voulez effacer la personnalité du peuple. (…) Ce que je combats, avec et par le théâtre, m’oblige aujourd’hui comme hier à m’insurger contre cette politique que vous tenez tant à faire. »

Dieudonné Niangouna nous le dit, il aime son pays. Les difficultés à y exercer son métier ne l’empêchent pas, spectacle après spectacle et avec son festival international Mantsina-sur-scène à Brazzaville, de poursuivre une démarche artistique indissociable de son engagement politique. Il faut aller l’entendre mais aussi le lire.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 14 février à Bonlieu/Scène nationale d’Annecy. Théâtre de la Colline 15 rue Malte Brun Paris XX ème du 21 février au 18 mars T : 01 44 62 52 52

Sony chez les chiens, suivi de Blues pour Sony, et Antoine m’a vendu son destin sont publiées aux Éditions Acoria

 

 

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