Tristan d’Eric Vigner
Tristan, texte et mise en scène d’Eric Vigner
Eric Vigner a actualisé ce Tristan légendaire et il voit en ce monstre du Moholt, par-delà les siècles, le groupe Boko Haram dont le rapt de deux cents dix-neuf lycéennes à Chibok au Nigéria en 2014 a saisit d’horreur tous les esprits. La trivialité du monde est évoquée avec des images en vrac qui ont marqué une actualité délétère : l’étudiant en chemise blanche sur la place de Tian’anmen (1989), la chute des Twin Towers (2001), la mort de Mohammed Merah (2012), les images sanglantes de guerre, venues d’Irak, Libye, Syrie…
Le cours de l’Histoire survolée est ici un peu aléatoire et désinvolte, même si temps lointains et temps actuels se rejoignent dans un même constat de violence. Tristan recouvre l’expérience de Tristan et Yseult, un duo mythique fondé sur la présence d’un tiers, Marc, l’époux d’Iseult. Que vaut l’amour de soi avec l’autre, dans une passion inscrite à l’intérieur d’une société dénaturée qui ne prend plus en compte les valeurs humaines collectives? Le seul recours possible de survie à travers la douleur et la mort incontournables? Tristan tue encore un dragon pour libérer l’Irlande et sa princesse Iseult la Blonde que l’on va marier à un imposteur qui se prétend victorieux du monstre. Le preux frôle la mort mais survivra grâce aux dons de guérisseuse d’Iseult qu’il est venu conquérir pour son oncle, le roi Marc.
Entre Tristan et Yseult, s’impose l’interdit du mariage, la loyauté du vassal au roi et le sentiment filial envers cet oncle. Malgré les lois, les jeunes gens sont pris dans un lien éternel qu’a filé patiemment le destin et, à leur retour à la cour du roi Marc, ils boivent le liquide magique: amour et mort. Le couple devient trio et la quête des amants clandestins, l’union avec l’Autre va s’accomplir quand ils déjoueront la jalousie du roi. Mais,quand ils ont rendez-vous à la fontaine, Marc les épie et les amants, mis au ban de la société, connaîtront un court exil dans le cercle enchanté d’une même solitude. Le roi les voit dans la forêt : l’épreuve de la séparation définitive les mènera à la mort.
Malgré un texte simplificateur et naïf, Eric Vigner égrène une succession soignée de tableaux plastiques : théâtre, musique, vidéo. Alternent, entre des scènes de fusion entre Tristan et Yseut, des moments de farce et de comédie, l’apparition de figures grotesques shakespeariennes à fraise blanche, des doubles de Rosencrantz et Guildenstern incitant Marc à punir Tristan. Musique baroque ou chansons d’aujourd’hui au micro, lumière du ciel ou celle, plus intime, d’alcôves, offrent un échantillon complet des sensations de vie : l’attention aux tragédies du monde ou à la gaieté d’un moment.
A la fin, rideaux et châssis s’ouvrent sur des paysages qui pourraient être ceux de tapisseries moyenâgeuses. La mer oriente ainsi le destin de Tristan d’un rivage à l’autre du monde celte, entre Cornouaille, Irlande et petite Bretagne. La question des origines du mythe de Tristan n’est pas tranchée, entre les tenants des sources celtes, persanes, arabes. La planète se partage ce beau jeune homme en tenue claire, rappel de l’étudiant chinois déjà cité mais terrassé. Echoué comme ces migrants arrivés sur nos plages, fuyant misère, terrorisme et guerres incessantes.
Les jeunes gens promis à la lumière et au soleil rejoignent trop vite l’ombre lunaire. Ont-ils pu connaître cette exaltation d’une vie partagée avec un autre soi-même ? Bénédicte Cerutti retient l’attention, narratrice à la belle voix acidulée. Enjoués et attachants: Zoé Schellenberg, Matthias Hejnar, Alexandre Ruby, Jules Sagot, Isaïe Sultan, Mathurin Voltz. Une tentative honnête, malgré ses maladresses, pour essayer de porter un tel mythe à la scène.
Véronique Hotte
T2G – l’Art comme expérience, Théâtre de Gennevilliers, C.D.N. de Création contemporaine (92), jusqu’au 26 février. T : 01 41 32 26 26.