La Gentillesse, dramaturgie et mise en scène de Christelle Harbonn

©Ronald Reyes

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La Gentillesse, digression autour de L’Idiot de Fiodor Dostoïevski et La Conjuration des Imbéciles de John Kennedy Toole, dramaturgie et mise en scène de Christelle Harbonn

 Qu’est-ce que la gentillesse ? L’abdication des faibles, selon la malicieuse Blandine, l’une des figures énigmatiques à l’attitude un rien étonnée et souriante, avec une voix d’enfant moqueuse de la dernière création de Christelle Harbonn. Attitude charmante, gestes délicats, regard plaisant, à la morale généreuse  qui pourrait paraître superficielle, telle s’impose la Gentille. La sœur aînée de Blandine, Solenne, lui proposera à la fin d’« apprivoiser » encore et toujours la gentillesse : «Plutôt crever ! », lui répond-t-elle.

 En effet La Gentillesse, loin de douceurs attendues ou choses spirituelles et habiles, pencherait plutôt  vers l’ironie voltairienne, avec des traits méchants, injures et mauvais traitements imposés aux autres et au monde. Le constat que l’on peut faire sur nos sociétés occidentales n’est certes guère engageant, mais quand on regarde au-delà de notre seul monde, on n’est guère non plus davantage consolé. Grossièreté, rudesse, dureté et méchanceté semblent s’imposer d’un côté comme de l’autre de l’hémisphère. Mais un autre personnage, Gilbert, refusera  ainsi à entrer dans ce jeu-là. Au sens propre, puisque l’acteur désentrave un fouillis de fils colorés suspendus entre scène et salle, mais il dénoue aussi les fils emmêlés de notre vie à tous inscrite dans des relations socio-politiques, confuses et brouillées, livrées depuis longtemps à l’anarchie des seules données capitalistes de l’économie sauvage de marché.

 La mère, Marianne, déplore tout autant l’échec du communisme, comme la prétendue valeur d’une laïcité, décrite comme trop sûre d’elle, totalitaire et activiste. En guise de métaphore d’un monde pressenti comme perdu, est suspendue au-dessus du plateau, une installation singulière et menaçante qui déverse déchets de plastique, détritus, gravats légers et fragments de  porcelaine blanche, dans la poussière irisée d’un nuage âcre, une scénographie lumineuse éloquente de Laurent Le Bourhis.

Les  personnages, comme par exemple Adrien qui vient de l’extérieur, sont en décalage avec les normes imposées par la société : des « hors venus » à la Jules Supervielle, et des réconciliateurs,  comme on en trouve dans La Conjuration des imbéciles de John Kennedy  Toole  et L’Idiot de Dostoïevski, des enfants ou des fous. Des êtres si inconséquents que leur résistance aux attentes paraît naturelle. Christelle Harbonn offre ici au public un voyage initiatique et poétique, aux rêves et images mythiques entêtantes, dans «la nuit obscure des âmes », comme une quête existentielle qui rayonne autour de l’identité…

 Les personnages se dénudent pudiquement : le dernier arrivé pourrait incarner un Christ déposé , étendu  sur un ancien canapé… Autour de lui, des figures maternelles le protègent mais  dans une nuit dantesque, des monstres boucs, chèvres et chimères aux bois saillants, errent. On a affaire ici à un méli-mélo énigmatique d’étranges images de rêve dont le leitmotiv serait l’humilité et l’attention accordée à l’autre, avec des interprètes habités comme Adrien Guiraud, Marianne Houspie, Solenne Keravis, Blandine Madec et Gilbert Traïna qui, à un moment ou à un autre, ont tous échangé un long baiser mystérieux : une belle leçon de savoir vivre…

Véronique Hotte

Théâtre de L’Échangeur  à Bagnolet (92), jusqu’au 27 février. T: 01 43 62 71 20.

 

 

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Archive pour 25 février, 2017

Benjamin Walter texte et mise en scène de Frédéric Sonntag

© Gaelic.fr

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Benjamin Walter texte et mise en scène de Frédéric Sonntag

La critique pourrait bien être contaminée par la méthode même du spectacle : essais et erreurs, pistes trouvées et reperdues, fragments juxtaposés, révélations décevantes; nous essayerons de nous en tenir au récit d’une pièce consistant en récits interrompus,  puis retrouvés.
Un jeune homme part à la recherche d’un écrivain disparu et est prêt à sonner à sa porte, mais… non : un groupe d’acteurs s’apprête à écrire collectivement sur le plateau, l’histoire d’un jeune homme parti à la recherche d’un écrivain disparu… Non : un groupe d’acteurs renonce à un projet collectif sur un écrivain qui aurait renoncé à écrire… Non, restons-en à ce qui se passe sur le plateau.

On a dit réel ? Tout ici est réel, et insaisissable, comme le mystérieux Benjamin Walter. Et revoilà le récit. Il s’agit d’une enquête : troublé par un jeu de masques (ça commence par un bal masqué), Frédéric, joué successivement par différents comédiens-donc pas d’identification possible-part en quête d’indices, l’absence même d’indices étant le premier indice… Ils apparaissent là où on les attend le moins, mais, suivant un fil qui nous conduit de la Finlande au Danemark de Brecht et Walter Benjamin, de Berlin à Prague, de Prague en Bosnie, par des gares sans nom, postes de polices et autres frontières. Ces indices arrivent par SMS, mail ou autres moyens électroniques, au groupe d’acteurs toujours au travail, en l’absence productive de leur  chef. Ou encore par télépathie, avec les fantômes géants de Charles Baudelaire ou du 2666, le roman de Roberto Bolano dans sa fascinante plongée à la recherche de l’écrivain perdu.

Ce jeu de poupées russes a aussi un côté satirique : quelle compagnie de théâtre précaire, n’a pas connu un directeur de théâtre-producteur débordé qui se dérobe, une salle de répétition loin de tout et sans chauffage, ou des discussions sans fin, truffées de citations de Gilles Deleuze ou de Jean Baudrillard, cela joué devant nous en vraie grandeur ? En profondeur aussi dans ce théâtre en abyme mais aussi tricoté, tissé à l’infini, juxtaposant différentes temporalités, sons, images projetées, avec bien sûr, toujours là, les acteurs.

Qu’est-ce qui est réel ? De quoi sommes-nous faits ? De l’étoffe des rêves, William Shakespeare l’a dit. Mais, de quoi sont faits nos rêves ? De tout cela : images furtives (d’une vertigineuse beauté), textes, bribes de littérature, dont le montage donne une matière vivante, sans limite. Et induit une pensée philosophique: nous sommes structurés et destructurés, qu’on le veuille ou non, en rhizomes. L’être, perméable au monde, forme provisoire qui se défait en pixels quand on l’approche de trop près, n’a pas de limites…

Benjamin Walter est la seconde pièce de la trilogie de Frédéric Sonntag sur les identités incertaines, dont la troisième aura pour thème B.Traven, du nom d’un auteur à succès qui a réussi à échapper presque complètement à la notoriété! La première, George Kaplan,  (voir Le Théâtre du Blog) jouait déjà de façon étourdissante, sur une identité fuyante : « zadiste » ? Concept publicitaire? Nom de code d’un réseau secret de super-puissants? Ici, l’affaire prend une dimension nouvelle et cette écriture au scanner traverse toutes les couches de réalité et les rend visibles. L’emblème ? Cet être étrange inventé par Franz Kafka : Odradek, pelote de fils usés et hétéroclites qui vit de sa propre vie…

Scénographie, comme il se doit, très mobile qui se solidifie au cours du spectacle, avec un mur qui ressemble à celui des enquêtes policières des séries télévisées. Les acteurs sont justes dans leurs diverses fonctions, même au cours d’inutiles vraies-fausses interruptions du spectacle. On rit souvent et l’on suit l’affaire avec passion, l’intellect en éveil, jusqu’à ce que… Le tout étant logiquement et par définition, in-terminable (voir ci-dessus), cela devient… interminable. Trop long, ce spectacle de trois heures finit par s’embrouiller et se répéter  sans raison (car il y a eu d’heureuses répétitions) et perdre de son vertige dans la démonstration. Un entracte inutile-fatigue des comédiens ?-fige et appesantit le propos.

On peut être sévère avec un spectacle aussi passionnant : allez-y pourtant. Lestés de ces quelques reproches, vous serez, pour le reste, «déçus en bien», comme disent les Suisses.

Christine Friedel

Théâtre de la Cité Internationale, Boulevard Jourdan Paris XIVème jusqu’au 7 mars. T  01 43 13 50 60

Benjamin Walter et George Kaplan sont publiés aux Editions Théâtrales

Abigail’s party de Mike Leigh

 Abigail’s party de Mike Leigh, adaptation de Gérald Sibleyras, mise en scène de Thierry Harcourt

Ambiance musicale d’époque pour cette tragi-comédie qui, dès sa création à Londres en 1977, rencontra le succès… Un couple, Peter et Beverly reçoit quelques amis, et, en même temps, Abigail, une adolescente, fille de Susan, leur voisine divorcée, organise une fête. Tant qu’à faire, faisons du bruit au même moment, pour éviter les ennuis !  Jeunes d’un côté, et adultes (pas encore vieux) de l’autre, dans le salon avec bar du pavillon de Peter et Beverly. La soirée donnée par Abigail, juste évoquée par le son lointain de la musique et des rires reste pour ces jeunes une chasse gardée, un monde à part avec ses codes, secrets, joies et chagrins.

Pour Peter, Beverly et Susan mais aussi pour l’autre couple invité, Antony et Angela, pourtant un peu plus jeune et qui vient d’emménager, ce monde est celui des souvenirs et de la nostalgie, pour ne pas dire des frustrations. Et c’est ici l’occasion d’une mise à nu des personnages… Le dramaturge (74 ans) et cinéaste (Palmes d’or et Oscars  pour Secrets et mensonges, Naked, Turner), entrelace ici avec brio, farce et drame tragique. Avec  Ken Loach et les frères Dardenne, il a renouvelé un certain cinéma social.

Thierry Harcourt a su rendre sensible cette tension entre rires et larmes qui parcourt la pièce et a fait un bon choix  parmi les musiques de l’époque. «De Demis Roussos à Earth Wind and Fire, l’esprit «party » est de rigueur, dit le metteur en scène; alcool à l’appui, les langues se délient, les couples partagent peut-être trop en public leur intimité. » Dans cette pièce où la parole qui ne veut rien dire, mène la danse, l’auteur porte un regard amer et sans concession sur la société de consommation des années 70, toujours présente aujourd’hui dans le monde occidental.

Décor, costumes et musiques sont ici des reproductions pur jus de cette période réputée socialement heureuse: ce choix  aide à préserver la profondeur dramatique et le comique de la pièce. On se dit, en sortant, que rien n’a vraiment changé et, qu’au contraire, tout s’est accentué. Seule nouveauté aujourd’hui: l’omniprésence des nouvelles technologies, autre tyrannie commerciale pour fuir le vide et la mort.

Les modes changent mais si les réseaux sociaux ont pris une place considérable, le fond demeure ! «Qui pouvait penser, dit Thierry Harcourt, qu’une invitation à un cocktail ferait vriller les choses à ce point? Nous sommes ici dans le triomphe du paraître, dans une grande hystérie collective d’exhibitionnisme fondé sur le vide. (…) La seule chose  différente aujourd’hui serait peut-être le sujet des conversations qui prendraient un tour plus politique ». 

Un moment de théâtre bien rythmé, mené sur le fil du rasoir par d’excellents comédiens… mais la ravissante Alexie Ribes enferme le personnage d’Angela dans un jeu caricatural et répétitif qui devient lassant. Un spectacle d’une grande actualité, cruel mais aussi très drôle…

 Elisabeth Naud

 Théâtre de Poche, 75 Boulevard du Montparnasse, 75006 Paris. T : 01 45 44 50 21

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Traversées du monde arabe: GaliléE

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Traversées du monde arabe :

 GaliléE, extraits de La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, traduction d’Eloi Recoing, adaptation de Frédéric Maragnani et Boutaïna El Fekkak, mise en scène de Frédéric Maragnani, (en français et en arabe)

Pendant un mois, on pourra voir à Paris, une dizaine de spectacles constitués de regards croisés entre artistes arabes et  occidentaux: Syrie, Algérie, Maroc, Liban et Belgique, Québec, France, Roumanie… Du théâtre surtout mais aussi de la danse avec Fatmeh d’Ali Chahrour, un chorégraphe libanais qui y aborde la condition des femmes, en revenant aux sources de l’imaginaire islamique et en puisant dans ses références culturelles anciennes et contemporaines « pour faire surgir le mouvement » (voir Le Théâtre du Blog) .

Un spectacle atypique, Kamyon de Michael De Cock, a lieu dans un semi-remorque place de la Réunion, dans le XX ème arrondissement à Paris :un  émouvant voyage clandestin raconté par une petite fille en exil. Créé en turc à Istanbul en 2015, il a ensuite sillonné l’Europe. Joué en slovène en Slovénie, en néerlandais en Belgique et en français dans plusieurs villes de l’hexagone (voir Le Théâtre du Blog). Des expositions de photos permettront voir le travail d’artistes qui continuent à créer dans l’adversité et qui, transcendant les frontières, attirent  le regard sur notre monde en plein bouleversement …

 «GaliléE sera une femme, on partira de la femme que je suis, pour créer la fiction d’une chercheuse contemporaine, dit Boutaïna El Fekkak à qui le metteur en scène a confié le rôle-titre. La difficulté a été de dépasser les tics de l’actrice et d’aller du côté de la puissance d’une chercheuse politicienne, d’une femme tribun, tantôt lyrique tantôt froide.»
Nous l’avions remarquée dans Elle brûle, mise en scène par Caroline Guiela Nguyen. Elle joue ici, avec naturel,non le grand savant italien persécuté par l’Inquisition mais une Marocaine, en but aux instances religieuses de son pays. Avec toute la distanciation que cela implique,  nous recevons le message cinq sur cinq : la liberté d’opinion et d’expression reste à défendre aujourd’hui comme hier, pour ceux qui ne craignent pas la vérité. Et les femmes payent à présent un lourd tribu à cette lutte. L’adaptation de la pièce de Bertolt Brecht, conçue pour cinq comédiens, va droit au but et est bouclée en une heure et demi. Loin des trois heures de la récente mise en scène de Jean-François Sivadier avec Nicolas Bouchaud (voir Le Théâtre du Blog). On connaît l’histoire: mathématicien et physicien, Galilée construisit, en décembre 1609, un télescope grossissant vingt fois, et il découvre ainsi les montagnes et cratères de la lune,  la voie lactée composée d’étoiles et les quatre plus grands satellites de Jupiter. Fort de sa nouvelle réputation, il quitta Venise et l’université de Padoue pour la Cour de Florence et consacra son temps à la recherche et à l’écriture.

En décembre 1610, il observa les phases de Vénus, ce qui entrait en contradiction avec l’astronomie de Ptolémée et cela le conforta dans sa préférence pour le système copernicien. Avec ses découvertes, il ébranla les dogmes en cours, fondés sur Aristote et Ptolémée mais sera arrêté et, forcé à se taire, il finit par abjurer. «E pur si muove» (Et pourtant elle tourne), auront été ses derniers mots. Puis il continua à travailler mais en secret..

Ici, Bertolt Brecht ne s’attarde pas sur les méandres des disputes métaphysiques ni sur la complexité du personnage et  ses états d’âme quand il se soumet. On reste sur les faits, rien que les faits. Le personnage apparaît comme un pédagogue. Et l’auteur n’a pas lésiné sur les explications et les démonstrations de Galilée, pour exposer ses découvertes. Ici, un ballon, une balle et une cuillère suffisent au scientifique à enseigner et à exposer ses théories à son assistant Andrea. Ce personnage, joué par Joseph Bourillon, seul Français de la distribution, concentre ici les rôles de tous les défenseurs du savant.

Les acteurs ponctuent leurs interventions avec des mots arabes et cela donne ainsi une tonalité particulière à la pièce, sans toutefois arriver à nous convaincre, malgré l’efficacité de l’adaptation et une scénographie réduite à quelques accessoires. Mais il faut replacer GaliléE dans son contexte : sous l’égide de l’Institut Français de Marrakech, il a été pensé comme un spectacle tout terrain et destiné à être joué au Maroc. Il a la simplicité d’un théâtre d’intervention, direct et sans fioritures.
Confier le rôle a une femme était aussi une gageure réussie. Les lycéens qui assistaient nombreux à cette représentation, ont pu voir la pièce de Bertolt Brecht dans une version simplifiée, sans que soient sacrifiées la structure narrative et didactique du texte et ses vertus pédagogiques. Ils en retiendront peut-être la leçon…

Mireille Davidovici

Le Tarmac, 159 avenue Gambetta, Paris (XX ème). T : 01 43 64 80 80, jusqu’au 25 février.

Traversées du monde arabe du 21 février au 31 mars.

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