Mayday de Dorothée Zumstein, mise en scène de Julie Duclos
Mayday de Dorothée Zumstein, mise en scène de Julie Duclos
L’enfance moderne est une prouesse et une menace, un monde différent dont l’exploration se révèle à la fois passionnante dans le reflet parfois effrayant qu’elle renvoie de l’adulte à venir mais aussi de l’être en herbe déjà réalisé. Le mythe romantique d’une enfance enchantée laisse place ici à la désillusion manifestée par les enfants malfaisants ou criminels dénoncés par les classiques. L’innocence est un leurre, comme l’écrit Bertrand Blier: «L’enfant naît chargé comme une bombe à fragmentation. Toute la crapulerie des générations précédentes, il la transbahute dans ses bagages, comme autant de grenades dégoupillées».
L’enfant déplore l’héritage néfaste des générations successives. Emile Zola estimait que devenu adulte, il était piégé par l’hérédité, dans ses passions, préjugés et fureurs. Gitta Sereny, journaliste anglaise, après avoir assisté en 1968 au procès de Mary Bell, la meurtrière de deux petits garçons, écrit Meurtrière à onze ans. Trente ans plus tard, après avoir rencontré celle qui a expié et qui raconte son histoire, dix-sept ans après sa sortie de prison, la journaliste écrit Une si jolie petite fille.
Dorothée Zumstein s’en est inspirée pour écrire Mayday. Pour l’auteure de théâtre, ce fait divers extraordinaire n’obéit pas à un attrait pour le macabre mais à une fascination pour l’incompréhensible. Julie Duclos, elle, s’interroge d’abord sur les conséquences de la diabolisation d’une petite fille qui a accompli l’horreur, et sur les effets pour la société toute entière alentour. L’envie d’aller voir de plus près cette histoire revient à mieux la comprendre. Ainsi parle Mary adulte, la narratrice qui invite sur la scène trois générations : la fillette dans le temps maudit de son enfance, sa mère absente et sa grand-mère mutique, à la même époque.
Enterrer son enfance reste impossible, à moins de vivre sèchement coupé de tout. L’enfant qui a investi la mémoire de l’adulte, victime d’hallucinations répétées qui l’empêchent de vivre, revient hanter ses cauchemars. Se tient à la porte de son domicile, une fillette «dans son petit manteau rouge à six boutons et ceinture à boucle », restée inaccessible, puisque Mary adulte ne peut physiquement ouvrir. Elle est ce Petit Chaperon rouge qui n’a pas été mangé par le loup mais qui l’a mangé. «Il y a juste cette putain de poignée à tourner. Je peux pas, /Je suis glacée/Je suis glacée parce que je sais qu’Elle est là/…Dans la nuit-de l’autre côté. »
Pour se libérer de cette douleur au bras qui l’empêche de tourner cette poignée, revenue à une vie normale, elle doit accepter une interview qui la délivrera. Le rappel énigmatique de cette scène initiatrice à l’orée de la décision de parler à une journaliste, résonne étrangement à la fin du spectacle pour le dénouement final. Le mot Mayday sonne comme un écho au mois de mai, le mois de Marie de la religion catholique, celui aussi de l’anniversaire de la fillette et celui de ses méfaits; Mayday est aussi une sorte de traduction phonétique du «venez m’aider » d’un pilote français en détresse mal compris par un opérateur anglais. Ce Mayday est officiel et réglementaire depuis 1927 en radiophonie pour signaler qu’un avion ou qu’un bateau est en détresse et doit être répété trois fois : « Mayday, Mayday, Mayday. Mais La petite fille, jamais aimée par sa mère n’a jamais pu faire entendre ses Mayday à elle.
L’imposante scénographie d’Hélène Jourdan correspond bien à cette pièce fragmentée qui se situe dans un quartier défavorisé de Scotswood, une petite ville du nord de l’Angleterre. Et le crime a eu lieu dans une maison abandonnée aux murs démolis et parquets défoncés, envahie par les herbes folles, avec un premier étage dangereux comme celui des vieilles maisons promises à la démolition et devenues terrains de jeux à risques pour les enfants pauvres dont les pères miniers ont perdu leur emploi. La mise en scène est aussi faite d’instantanés et bribes de conversations filmés sur le plateau par un caméraman et un preneur de son, et on peut aussi voir sur grand écran les visages inquiets de femmes de trois générations.
Le spectacle comporte aussi des danses farouches sur tubes anglais, adresses malicieuses au public, pleurs insoutenables, longs silences lourds, non-dits pesants et fuites vers une petite guérite tenant lieu de cuisine, de compartiment d’un train qui file dans un bruit strident. La metteuse en scène a imaginé des scènes, avec portes ouvertes au vent laissant surgir ou se retirer les personnages malheureux de l’histoire. Une vision qui répond à l’impermanence de l’enfance, état instable de sensations dont la parole significative : cris, courses, gestes vifs n’est guère entendue.
Un spectacle tendu d’émotion et d’effroi qui porte un regard attentif et sans complaisance sur l’éternelle condition des femmes et des enfants malmenés, des présences/absences qui comptent souvent peu dans la sociétés des hommes… Maëlla Gentil, Vanessa Larré, Marie Matheron et Alix Riemer, elles, sont des femmes effectivement remarquables.
Véronique Hotte
Étrange, ce qui devait relever de l’effroi, le double crime d’une fillette de dix ans, noue emmène seulement à une attention polie. Mary, dite May, est devenue une ménagère britannique quelconque, discutant au téléphone d’une recette de cake pour la fête des écoles. Et puis le retour de l’indicible : on vient l’interviewer sur ce geste lointain et ineffaçable.
Réapparition de la petite fille, de sa mère, prostituée qui a abusé d‘elle, de la grand-mère, en l’absence des pères plus ou moins criminels… La chaîne des fatalités familiales ne suffit pas nécessairement à constituer la tragédie. D’autant que la scénographie écrase le propos au lieu de lui donner toute sa dimension : ce canapé au milieu du grand plateau, cet appareil d’interview laborieusement monté puis démonté…
On comprend l’idée, celle d’un théâtre de la confession, de la vérité qui fait à nouveau basculer une vie. Mais cela ne fonctionne pas. Le côté Jardin du plateau est encombré par une maison en ruine grandeur nature, le côté Cour, par une maisonnette où mère et fille en action sont captée par une vidéo projetée sur un écran mal proportionné. Cela n’aide pas les comédiennes (excellentes) à dépasser ce qui reste l’illustration pesante d’un récit qui, décidément, n’arrive pas à la tragédie.
Christine Friedel
Théâtre National de la Colline rue Malte-Brun Paris XXème jusqu’au 17 mars. T : 01 44 62 52 52.
Le texte de la pièce est édité aux éditions Quartett.