Bérénice de Jean Racine, mise en scène de Jacques Osinski

Bérénice, de Jean Racine, mise en scène de Jacques Osinski

© Pierre Grosbois

© Pierre Grosbois

« Invitus invitam dimisit », trois mots. « Il la renvoya, malgré lui, malgré elle » : Racine pouvait s’enorgueillir de la simplicité de sa pièce et de son argument. Titus, nouvel empereur de Rome à la mort de son père, renvoie en sa Palestine, la femme qu’il aime d’un amour partagé depuis cinq ans, la reine Bérénice. Antiochus, roi de Comagène, ami de l’un, éperdument amoureux de l’autre,assiste, désolé, à cette séparation, et ajoute même peut-être du sel sur la plaie. Il a cru un instant  pouvoir être le consolateur de Bérénice, et mal lui en prit :  il clôt la pièce avec un ultime-mais non dernier- soupir, avec ce seul mot : « Hélas ».

Jacques Osinski relève le défi de Racine, en sa « langue absolue », dit-il, celle d’une tragédie sans action, sinon celle, puissante, des sentiments. Comme  en duel, Titus et Bérénice se tiennent face à face, immobiles et vibrants, surtout la très sensible Maud Le Grevellec. Stanislas Stanic lui oppose un Titus raidi par son combat intérieur. Non entre l’amour et le devoir  puisqu’il ne lâchera ni l’un ni l’autre. Mais pour trouver la force de les assumer tous les deux à l’extrême.
À côté, toujours dans le malentendu, toujours intempestif, le malheureux Antiochus ne trouve jamais sa place. Pour cela sans doute, le metteur en scène en a-t-il confié le rôle à Grétel Delattre, sobre et convaincante en jeune garçon, face à la virilité de Titus. Hors jeu :  Antiocgus est débordé par ses sentiments, alors que Bérénice et Titus, avec toute la violence de la passion et du désespoir, les tiennent, s’en construisent, non sans mal, et grandissent. Pour rien, pour leur gloire. Leur amour, qu’ils ne peuvent vivre, est ainsi immortalisé. Le doute est dénoué à la fin de la pièce, avec une souffrance intacte, peut-être plus grande encore, mais la certitude de l’amour est bien là.

Bérénice annonce dans le tragique, l’irrémédiable, la question qui enflamme avec plus de légèreté, le théâtre de Marivaux : suis-je réellement aimé ? Et celle d’Antiochus : quand, comment lui dire que je l’aime ? Il y répond avec tant de maladresse que le personnage fait parfois sourire, même dans la version si profondément sérieuse et respectueuse des personnages de Jacques Osinski.

Sa dramaturgie ne cherche pas le pourquoi de cette séparation et c’est assez dit : une affaire d’État, d ‘honneur, de “gloire »: soit ce que l’on se doit à soi-même. Il ne fait pas de la pièce une lecture analytique, comme  Antoine Vitez  pour qui Bérénice était une initiatrice plus âgée dont Titus, pleinement adulte à la mort de son père, n’aurait plus besoin ; ni une lecture historique, même si Racine truffe la pièce d’allusions aux amours de Louis XIV. Il prend la pièce dans son implacable unité de temps: deux heures. Où sont passés les cinq ans d’amour ? Écrasés dans l’instant de la décision. Où se perd le futur : « Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, /Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?» Pilonné par la séparation inéluctable.

Arsace, avec des mots presque semblables, essaie de donner espoir à Antiochus, sèchement renvoyé par Bérénice : «Laissez à ce torrent, le temps de s’écouler/ Dans huit jours, dans un mois, n’importe, il faut qu’il passe… ». Espoir absurde : l’avenir sera fait de trois solitudes.  «Je l’aime, je le fuis, Titus m’aime, il me quitte… ». C’est fini, « pour jamais ». En deux heures, la tragédie intime a été résolue, et le public a suspendu son souffle. C’est très beau.

Christine Friedel

 

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©Pierre Grosbois

©Pierre Grosbo


Bérénice (1670) suit une progression continuelle sans retour en arrière:  le type même d’une pièce sans péripétie ni reconnaissance, et l’art de l’auteur se réduit humblement à faire, comme il dit, «quelque chose de rien». Ce rien, estime Jacques Osinski, n’est rien d’autre que l’amour. Bérénice aime Titus qui l’aime et Antiochus aime Bérénice qui ne l’aime pas.

A la mort de son père Vespasien, Titus lui a succédé à la tête de l’Empire romain mais doit renoncer à celle qu’il aime, puisque Rome n’accepte pas les reines étrangères : « Etrangère dans Rome, inconnue à la cour, Elle passe ses jours, Paulin, sans rien prétendre/Que quelque heure à me voir, et le reste à m’attendre.»Titus est lucide sur l’impossible conciliation de la réalité avec ses sentiments. Il aime Bérénice et le sait. Mais Roland Barthes pensait que ce jeune empereur n’a pas la volonté de répudier une amante qu’il n’aime pas vraiment et n’a aucune envie de sacrifier son trône impérial.Des forces invisibles oppressent en fait Titus : le monde, la Cour de Rome, ses institutions, son peuple et ses Dieux. En se séparant de Bérénice, l’empereur se sépare de la vie : «Je sens bien que sans vous, je ne saurais plus vivre …/ Mais il ne s’agit plus de vivre, il faut régner.»

Reste à  Titus, le suicide s’il abdique pour l’amour, ou un «long bannissement» existentiel,  une sorte de mort morale, s’il règne sans cet amour. Antiochus aime en vain Bérénice, mais observe depuis la Cour ceux qui s’aiment. Messager royal, témoin clairvoyant et acteur, il passera de l’espoir à l’amertume. S’ils vivent encore, ces trois amoureux éperdus devront faire le deuil de leur passion. Face à la grandeur de Titus qui lui offre sa mort, Bérénice consent à disparaître: «Je connais mon erreur, et vous m’aimez toujours…/Je vivrai, je suivrai vos ordres absolus./Adieu, Seigneur. Régnez : je ne vous verrai plus. »

Jacques Osinski a situé l’action entre l’appartement de Titus et celui de Bérénice, entre l’espace du règne et celui de l’amour, dans les lignes épurées, imaginées par Christophe Ouvrard. Soit un espace confidentiel avec une plage de sable blond et, au lointain la perspective lumineuse d’une longue fenêtre étroite.  Une ouverture sur le monde fermée par des voilages qui laissent deviner les bruits de la ville. Entre les actes et au gré des échanges, ce rideau frémit et se soulève  au vent, se colorant de tons pastel. La tension se concentre alors à l’extrême sur les paroles échangées dans le beau verbe racinien : «Un trouble assez cruel m’agite et me dévore», dit Titus. Le  metteur en scène dessine d’un trait vif les enjeux implicites de Bérénice : d’abord la résonance de ces âmes élevées qui aiment et s’aiment au-delà des interdits romains quant à l’identité orientale de la reine Bérénice. Mais aussi les trajets de l’abdication de soi. Les personnages restent ici à quelque distance les unes des autres, sans jamais se frôler.

Les confidents: Arsace, Phénice et Paulin ont toute la retenue et la force exigées par leur rôle, remarquablement servis par Arnaud Simon, Alice Le Strat et Clément Clavel. Grétel Delattre est un Antiochus douloureux et déchiré jusqu’à l’intime et Stanislas Stanic, un Titus discret, plein d’humanité aux sentiments intenses, jusqu’à consentir au pire. Maud Le Grévellec incarne le rôle-titre; attentive,  elle restera sensuelle mais digne jusqu’au bout, depuis sa croyance erronée au mariage promis par Titus jusqu’à sa décision finale de partir. De la souffrance à la délivrance, elle accepte de ne plus vivre son amour et comme l’écrit Richard Parish, elle détruit, comme femme et étrangère, «les passions viriles romaines, l’héroïsme, la glorification de soi, l’impérialisme, bref, le fanatisme.»

Véronique Hotte

Théâtre Jean Vilar, 16 Place Stalingrad, Suresnes (Hauts-de-Seine) T. :01 46 97 98 10, jusqu’au 28 février. Puis en tournée.

 

 

 


Archive pour 28 février, 2017

A nos enfants,(train fantôme)

A nos enfants, (train fantôme), écriture collective, conception et mise en scène de Nicolas Struve

La compagnie créée en 1999 pour la création d’Une aventure de Svetlana Alexievitch, avait monté Ensorcelés par la mort et De la montagne et de la fin d’après la correspondance de Marina Tsvétaeva. Ici, deux familles en vacances au bord de la mer, deux couples : Junon et Massi, Daisy et René. Junon,elle préfère regarder des films plutôt que d’aller à la plage. On assiste à un drôle d’accouchement, avec un commentaire : « Il est devenu tout à fait irresponsable d’avoir des enfants ! ». Mais sur la table de travail, ça pisse le sang partout, l’accouchée demande un cigarette, et fume avec la sage-femme.

 

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© David Gouhier

Le  bébé, enfin né, sert de ballon et se casse en morceaux. On appelle Merveille et Anadyomède pour  aller à la plage. Sur l’écran, on voit une petite fille laper du fromage blanc…Des rapports de plus en plus étranges ont lieu entre les deux couples : «J’arrête mon travail, je pars dans la Creuse. Tu vas faire quoi, chanteur ! Je prépare un disque… les personnages parlent de fins de mois difficiles, d’espoirs, de sexualité mais aussi d’éducation. Puis ils décident de faire un spectacle pour la fête du village.

« À nos enfants s’est construit collectivement, dit Nicolas Struve, et comme une fête parfois loufoque, parfois cruelle. Les séquences s’y succèdent, jouées, filmées, chantées…Très vite, est venu le désir que le spectacle soit le constat, quelque peu comique, de la difficulté d’être père et mère mais aussi, formellement, qu’il soit ce «train fantôme» où entreraient en collision séquences, genres et disciplines (théâtre, films, chansons), une façon de rendre compte des difficultés, fractures, doutes,  inquiétudes, joies et parfois drames de quatre adultes aux prises avec eux-mêmes, leurs enfants, le monde, sa crise et, in fine , avec la complexité de leur âme. De faire théâtre de notre situation de parents, un état à la fois quasi universel, et très solitaire derrière lequel peut se lire la question de notre avenir. »

Ils énumèrent les courses en rigolant, balancent des cartons. Ils répètent aussi Tartuffe. «Si je ne me regarde pas dans une glace, j’ai l’impression d’avoir vingt-cinq ans (… ) Tu m’aimes, mais de toutes façons, les enfants prendront la dureté du monde dans la figure (…) Me manquent les orangs-outans, les loups, les singes, les perroquets et les éléphants !».

Cette bizarre vie de famille en vacances, bien jouée par Farid Bouzenad, Adama Diop, Philippe Frecon, Gaëlle le Courtois, Dominique Parent et Stéphanie Schwarzbrod, nous captive étrangement, mais, au soir de la première, un rodage s’imposait encore…

Edith Rappoport

Théâtre Gérard Philipe/Centre Dramatique national, 59 Boulevard Jules Guesde, 93200 Saint-Denis jusqu’au 12 mars. T: 01 48 13 70 00
http://www.theatregerardphilipe.com

 

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