Le Cas Sneijder
Le Cas Sneijder, d’après le roman Le Cas Sneijder de Jean-Paul Dubois, mise en scène de Didier Bezace
Seul survivant des cinq passagers, Paul Sneijder est la victime rare d’un terrible accident d’ascenseur qui lui a fait perdre sa fille. L’image d’effroi, le souvenir mortifère de la chute dans le vide de cet espace confiné ne peut s’effacer d’une mémoire à vif. Il ne cesse, compulsivement, de remonter le fil macabre de cet événement d’une horreur totale.
Drôle de cas: cet homme blessé ne porte en effet aucune attention au monde alentour, épouse, enfants et activité professionnelle. Il réalise dans une vision obsessionnelle, d’obscurs calculs scientifiques, avec schémas et graphiques à l’appui, figeant ainsi sur les murs le dessin de la course tragique des câbles hissant ou abaissant l’engin fatal dont la chute n’était pas programmée. Les calculs de probabilité montrent d’ailleurs l’impossibilité de cet accident… qui a pourtant bien eu lieu!
L’ingénieur Scneijder a décidé de ne plus faire partie des battants ni des conquérants, hommes enclins à la position verticale qui s’ offrent à l’admiration de leurs subalternes. Bannie ainsi les éléments discutables de la réussite et de la gloire: postes à responsabilités, rémunération élevée, vie aisée et confortable. Car il n’est pas de champ d’honneur où se déploie une victoire inique et déconsidérant les moins chanceux.
Paul revendique ainsi la place de ceux que l’on moque, les laissés pour compte, les marginaux, et le voilà embauché comme promeneur de chiens… Avec la nature canadienne rues, sentiers et chemins comme espace d’ouverture et d’espoir, au lieu des quelques mètres de survie dans un ascenseur.
La mise en scène de Didier Bezace est précise, efficace, comme coupée au cordeau. La brume envahit l’obscurité du plateau quand le protagoniste malheureux se replie sur lui-même et sur ses pensées: des paroles intérieures fortes que des micros HF projettent dans la salle. Ainsi, Paul nous est ainsi un peu plus proche, et nous avons tous un peu de ce cas Scneijder en nous qui nous reconnaissons dans cette amertume ou ce mécontentement proférés que pourtant, nous gardons celés par bienséance.
Répertoriés dans le cahier de doléances personnel de l’anti-héros : le rejet d’une épouse qui ment et qui, satisfaite de sa position sociale, a un amant, le mépris de ses fils jumeaux toujours absents qui s’adressent à leur père avec condescendance et seulement au téléphone, la libre volonté de ne pas porter plainte contre la société des ascenseurs., parce que l’avocat de la société «responsable» lui est sympathique…Didier Bezace a dans ce rôle a toute la faconde requise et le plaisir d’être lui-même. Thierry Gibault en éleveur populaire de chiens donne des ordres, en les aboyant. Sylvie Debrun joue les épouses indifférentes et distantes. Morgane Fourcault (la fille aimée de Scneijder) est joyeuse et pleine de vie. Et Pierre Arditi incarne Scneijder ; il en a la dégaine, l’esprit, et le désenchantement pesant; toujours pessimiste ou mélancolique, moqueur et ironique à souhait, il est éternellement déçu.
L’humanité, sensibilité et esprit, semble déserter un monde qui ne plaide que pour la réussite, le succès, les honneurs et la gloire : une vraie levée d’armes de pacotille, alors qu’il suffirait parfois de faire une pause dans une course folle, pour un retour à soi, bienfaisant et salvateur…
Véronique Hotte
Théâtre de l’Atelier, Place Charles Dullin Paris 18ème. T: 01 46 06 49 24 jusqu’au 22 avril.
Le texte est publié aux éditions de l’Olivier et aux Editions Points.