Métamorphoses, d’après Les Métamorphoses d’Ovide et Les Contes d’Ovide, de Ted Hughes, traduction française de Patrick Reumaux, mise en scène d’Aurélie Van Den Daele
Sur le plateau, un grand écran où défile un paysage mouvant de nuages dans un bruit d’ouragan, et où s’inscrit Prologue : chaos; Ted Hughes narre en vers la création du monde en une langue fulgurante de beauté, incisive. Ce grand poète anglais (1930-1998) est surtout connu en France, à travers le destin tragique de sa femme, la poétesse Sylvia Plath, dont le suicide le hanta jusqu’à sa mort, d’autant que les féministes américaines s’emparèrent de ce personnage pour vouer son conjoint aux gémonies.
Publiés peu avant sa mort dans son pays, et parus en France en 2002, Les Lettres d’anniversaire, adressées toute sa vie à la défunte et Les Contes d’Ovide rencontrent aujourd’hui le théâtre*. « Les Métamorphoses, dit Aurélie Van Den Daele, me poursuivent depuis l’enfance, et je rêvais souvent de dieux démoniaques, d’êtres mi-hommes, mi-animaux, et de ces paysages menacés par le chaos.» Au cours de ses recherches, elle découvre Les Contes d’Ovide : «Voilà l’univers qui s’ouvre devant moi, une langue puissante, évocatrice, contemporaine… Je suis tombée amoureuse de ce geste poétique. »
Pour transposer les textes d’Ovide et Ted Hughes, elle a choisi une scénographie minimaliste qui nous plonge dans un quotidien contemporain. Une vidéo abstraite, ancrée dans le cosmique, est projetée avant, après et, pour masquer les changements de décor, entre les trois contes proposés. Le titre du premier: Térée /Si le ciel ne me tombe pas sur la tête, s’inscrit sur l’écran. Dans une salle des fêtes, on célèbre les noces de Térée et Procné, fille de Pandion, roi d’Athènes. Les époux dansent au rythme d’une guitare et d’une batterie, et on chante des chansons mièvres d’aujourd’hui, comme : Et si tu n’existais pas de Joe Dassin. Mais la mariée est en noir et, dans ce décor banal, s’ourdit la pire des vengeances. Bientôt Procné va donner naissance à un fils. Envoyé à Athènes quérir Philomène la sœur de Procné, Térée va la violer, puis lui couper la langue puis il l’enfermera dans une forêt profonde… Mais les deux sœurs se retrouvent, et Procné fait dévorer son propre fils à Philomène: «La vengeance avait avalé tout son être». Au terme de ce festin cannibale, les protagonistes sont transformés en oiseaux : Térée « était devenu une huppe/ Philomène/ Un rossignol sanglotant dans la forêt/ Procné, une hirondelle se lamentant/ Tout autour du palais. »
Moins long, l’épisode de Phaéton, fils du Soleil, n’en est pas moins tragique. Mais on assiste surtout à l’accouchement de sa mère, à l’orée d’un feu d’artifice de 14 juillet, puis aux tentatives de l’enfant pour retrouver son père, monter jusqu’à lui et chevaucher son char céleste… Phaéton finit dans des crépitements d’éclairs et un écran de fumée, foudroyé par Jupiter…
Troisième tableau : Erysichton, où on prépare le vernissage d’une installation, Une nature morte constituée d’un arbre maigrelet, au pied duquel les artistes apportent une tête de sanglier et une peau de renard aplatie au fer à repasser. Parodie efficace qui décale l’horreur de la punition infligée à Erychton par la déesse Cérès. Elle l’a condamné, pour avoir coupé un de ses arbres sacrés, à une faim intarissable, jusqu’à se qu’il se dévore lui-même. La mise en scène suggère seulement son supplice.
Les Quatre Âges de Ted Hughes, en forme d’apocalypse, clôt le spectacle.
Nous avions beaucoup apprécié Peggy Pickit voit la face de Dieu de Roland Schimmelpfennig (voir Le Théâtre du blog) présenté en novembre 2014 par Aurélie Van Den Daele. Nous avons été moins convaincus par son Angels in America malgré l’intelligence de la mise en scène. Ici, nous restons ici encore sur notre faim. Même si la direction d’acteurs, efficace, radicalise le propos, et la transposition dans le contemporain contribue aussi à vivifier cette mythologie. Les images, les confrontations corporelles apportent une tension dramatique, parfois parasitée par un sous-texte issu d’une «écriture de plateau».
Dans cet ensemble inégal, la première séquence occupe plus de la moitié des cent-dix minutes de la soirée. Les nombreuses entrées et sorties des personnages rompent le rythme et l’intensité tragique. Phaéton peine à trouver sa traduction scénique. Seul, le dernier tableau semble vraiment en accord avec le projet. Par ailleurs, le son tonitruant (que ce soit volontaire ou non), de la musique et des voix off, dilue aussi la force des situations.
Mais ce spectacle nous invite à faire connaissance avec l’œuvre de Ted Hughes dont on peut apprécier la texture dans le prologue et l’épilogue comme dans les quelques vers projetés sur le mur qui décrivent l’action. Ce poète, à la langue âpre des paysans du Yorkshire, parle d’une nature féroce où renard, corbeau ou brochet rendent compte du désastre des humains. Il aborde aussi sous l’angle de la violence, les vingt-quatre épisodes qu’il a tirés des Métamorphoses. Inspiré par l’aspect apocalyptique du poème d’Ovide, plus que par son côté bucolique ou sacré, c’est à la «la fin d’une époque», la nôtre, qu’il nous renvoie… Grâce à quoi ce spectacle nous plonge dans le tragique contemporain, la catastrophe écologique programmée, et une ère où l’individu s’annonce dévoré par sa colère contre lui-même…
Mireille Davidovici
Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes. T. 01 43 74 99 61, jusqu’au 26 mars
Les Contes d’Ovide traduit par Patrick Reumaux est publié aux éditions Phébus
* La création prochaine de Never never never de Dorothée Zumstein mettra en présence Sylvia Plath, Ted Hughes et sa maîtresse Assia Wevill ( voir bientôt dans Le Théâtre du Blog).