Comédia infantil,d’après le roman d’Henning Mankell
Comédia Infantil, d’après le roman d’Henning Mankell, traduction d’Agneta Ségol et Pascale Brick-Aïda, mise en scène de Françoise Lepoix et Nicolas Fleury
Vous avez devant vous une femme qui vous dit : je m’appelle José Antonio Maria Vaz, je suis boulanger: le début d’un récit, et le début du théâtre, d’un jeu de vérité : on sait où on est, et l’imaginaire peut prendre toute sa place. Ce que raconte Henning Mankell, en revanche, n’a rien d’imaginaire quand il évoque la guerre civile entre le FRELIMO (Front de libération du Mozambique) et le RENAMO, parti d’opposition soutenu par ses voisins inquiets, Rhodésie et Afrique du Sud sous l’apartheid contre un Mozambique socialiste. Et il rappelle le souvenir d’un miracle, la création, dans l’illusion lyrique de la libération du pays, du Teatro Avenida.
Henning Mankell a bien connu celle qui le dirigeait, Manuela Soeiro, une révolutionnaire héroïque qui n’a voulu qu’une chose, une fois du côté du pouvoir : bâtir un théâtre, celui où il a lui-même œuvré. Il s’est inspiré d’elle pour créer le personnage de Dona Esmeralda, qui construit obstinément son théâtre, et le finance en y intégrant une boulangerie. La culture, pain de l’âme…
Ce soir là, donc, le boulanger raconte. Un soir, stupéfait, il a trouvé au milieu de la scène un enfant blessé de deux balles, qui ne lui a demandé qu’une chose : qu’il l’emmène sur le toit du théâtre, pour y respirer. Et là, neuf nuits durant, le boulanger écoute le récit de l’enfant, jusqu’à ce que… Cela ressemble à un conte où il y aurait des innocents lumineux comme le petit Nelio, ce gavroche d’Afrique de l’Est, face aux ogres et aux balles perdues.
Ce qui pourrait n’être qu’un récit, s’édifie peu à peu en théâtre. D’abord, par le biais de ce récit à étages, avec une première pierre posée par la façon dont Françoise Lepoix se campe sur scène. Elle affirme sans le dire : ma légitimité à raconter cette histoire, c’est mon désir de le faire. Et Bertrand Binet, guitariste et acteur, sans bouger de son coin, et le plus souvent sans rien dire, dialogue, intimement ou de très loin, avec l’actrice, créant un espace qui élargit le cercle de lumière du conteur.
La lumière et le travail du son achèvent de construire l’édifice. En un fondu enchaîné imaginaire, on glisse de la salle d’Aubervilliers au théâtre de Maputo. Voilà un spectacle simple et fin qui vous emmène loin dans l’émotion et la tendresse, avec une grande inquiétude pour ce monde décidément incapable de se guérir.
Christine Friedel
Théâtre de la Commune, 2 rue Edouard Poisson, 93300 Aubervilliers. T: 01 48 33 16 16 jusqu’au 10 mars.
Le roman d’Henning Mankell est publié aux éditions de l’Arche.