Le Vol du Rempart

 

Le Vol du Rempart, de et avec Vincent Martinez, Katell Boisneau, Moïse Bernier et Nicolas Bachet, mise en scène de Pierre Tallaron, musique et textes de Nicolas Bachet

Ils sont quatre acrobates au mât chinois mais Katell Boisneau est aussi harpiste, Nicolas Bachet, musicien, compositeur et slameur, Moïse Bernier, clown et musicien, et Vincent Martinez, danseur: cette petite compagnie de cirque n’imagine pas l’acrobatie sans musique en direct. Cela commence avec un un texte médiocre et mal dit, mais heureusement les choses s’éclairent avec la montée à un mât chinois traditionnel et des acrobaties à son sommet. C’est déjà impressionnant et sublime de virtuosité, notamment, après son complice qui descend très vite, et Katell Boisneau qui le fait lentement, tête en avant…

Mais les quatre complices ont imaginé aussi un nouveau dispositif: un autre mât chinois mais culbuto d’environ quatre mètres, c’est à dire monté sur un support base d’une demi-boule lestée qui va servir de contre-poids.Comment dire les choses de façon plus précise…  Ils vont s’en servir à tour de rôle ou à plusieurs. Et ils glissent dessus, s’envolent tout au bout de la perche avec facilité, grâce à ce contrepoids qui restitue toute l’énergie capable de les faire s’envoler comme par miracle, puis retombent sur le sol, quand même veillés de près par les autres. Cela suppose en effet, bien entendu, un énorme travail de précision et de solidarité, pour arriver, ce qui n’est pas incompatible, à cette grande élégance acrobatique. Ou ils tournent autour, et passent, méprisant le danger, en dessous du socle qui oscille sans cesse…puis sautent dessus parfois à trois en même temps

Tous encore plus impressionnants de force et de virtuosité qu’au mât fixe. Il y a ici, au delà même de ce travail physique, quelque chose de métaphysique dans ce déséquilibre permanent, l’image même de la condition humaine. Soutenue par le merveilleux grincement amplifié de la demi-sphère, et par la harpe, la guitare électrique et le violon. Et, dernière vision d’une intense poésie,  on retrouve les acrobates en équilibre, accroupis sur une perche souple oblique, accrochée au sol…

La mise en scène, un peu hésitante, manque de rythme, surtout au début; mais qu’importe, Le Vol du rempart, est un spectacle remarquable de sensibilité, et on ne cesse d’admirer l’énergie de ces corps en mouvement qui s’approprient avec une certaine espièglerie l’espace aérien. On ne saurait trop conseiller à M. Laurent Wauquiez, président la région Rhône-Alpes-Auvergne, (ce monsieur n’aime guère les écoles de cirque, selon lui trop coûteuses!), de prendre le temps d’aller voir la compagnie du Mauvais coton sous ce petit chapiteau…Le public, lui, l’a applaudie chaleureusement.

Philippe du Vignal

Espace Cirque d’Antony, rue Georges Suant, 92160 Antony. T. : 01 41 87 20 84, jusqu’au 26 mars


Archive pour 6 mars, 2017

Timon d’Athènes de William Shakespeare

©Antonia Bozzi

©Antonia Bozzi

 

Timon d’Athènes de William Shakespeare, texte français de Jean-Claude Carrière, mise en scène de Cyril Le Grix

On connaît mal l’histoire de Timon d’Athènes, une pièce rarement jouée, et la mise en scène de Peter Brook (1975) l’avait peut-être éclairée d’un jour trop tendre. Tendre, l’affaire ne l’est pas. Celle d’un richissime viveur qui se croit désintéressé parce qu’il ignore la source de sa fortune, et généreux parce qu’il la dilapide auprès de courtisans intéressés. Nous sommes tous frères ! Ce que je vous donne, vous me le rendrez au besoin ! Point : le besoin arrive, tous se dérobent et de façon fort peu élégante, se préparent à rattraper le coup au cas où la ruine de leur «ami» n’aurait été qu’un jeu, qu’une ruse.

Déception et rage de celui qui se croyait au cœur d’une fraternité. Il va, tel «une post-vibration du Roi Lear» selon Douglas Brown, se réfugier sur une lande, au bord de la mer, vivant de racines, et maudissant tout le genre humain. Excessif dans le dénuement, comme il l’avait été dans la richesse vaine. Et, à force de creuser la terre, il va trouver un trésor qu’il utilisera à pervertir autant que possible, ceux qui auraient la mauvaise idée de venir le voir.

Entre temps, la même ingratitude a été manifestée au général Alcibiade par les mêmes notables, si bien que, par représailles, il menacera les murs et le peuple d’Athènes. Lui, contrairement à Timon, prendra le temps de trier les bons et les méchants, pour sauver une ville qui abrite au moins un juste, l’intendant Flavius, honnête, actif et utile, qui sait faire de l’argent autre chose qu’un bain stérile à la Picsou.

William Shakespeare et Jean-Claude Carrière n’y vont pas avec le dos de la cuillère, et on est frappé par la cruelle rencontre entre l’époque élisabéthaine et la nôtre, quant aux affaires d’argent et de corruption. Les formules font mouche et on croirait qu’elles ont été écrites pour les clients des paradis fiscaux, ou pour nos élections présidentielles… Évidemment, on rit, comme chaque fois qu’une vérité se dévoile avec brutalité, et on épouse la hargne de Timon : elle nous venge.

On aime bien Flavius, mais la fidélité et le bon sens manquent d’attrait. La mise en scène a cette énergie directe, comme Patrick Catalifo (Timon), pas très à l’aise dans une première partie riche en moments parodiques avec des notables corrompus et lâches à souhait mais encombrée d’un numéro de danseuses sexy (?) sans grâce et longuet. Mais dans la seconde partie, en misanthrope absolu, l’acteur est puissant, souple comme une lame et il n’y a pas un mot qu’il ne retourne aussitôt à son adversaire. Il ne voit en autrui qu’un ennemi, avec une efficacité sanglante, augmentée d’une bonne dose d’humour. Ne vous attendez pas à une analyse intellectuelle de la pièce : la mise en scène ne fait pas de chichis. D’aucuns diront, pas assez ! Un parti pris qui  se discute…  Cyril Le Grix va droit au but, prend l’affaire à bras le corps et la fait soutenir par la musique d’un beau trio de jazz qui impulse les scènes.

Pas d’analyse, pas de commentaire mais, avec une scénographie juste et commode, ce spectacle est avant tout défoulatoire. Le public endosse un moment la colère de Timon, pour se souvenir de la sienne. Cela ne fait pas de ce Timon d’Athènes, un spectacle populiste : on ne sort pas de là, renforcé dans la conviction du «tous pourris», mais bien étrillé par la gigantesque révolte de Timon. Un spectacle efficace, donc, et ce n’est pas un vilain mot.

Christine Friedel 

Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 2 avril. T. : 01 43 28 36 36

 

 

Détruire d’après Détruire dit-elle de Marguerite Duras

 

Détruire d’après Détruire dit-elle de Marguerite Duras, adaptation et mise en scène de Jean-Luc Vincent

 

(C)JOSSELYN LAMBERT

(C)JOSSELYN LAMBERT

Maurice Blanchot considère Détruire dit-elle comme la description d’un possible film fantastique où les personnages posent leur énigme : «Qui sont-ils ? Certes des êtres comme nous : il n’en est pas d’autres en ce monde. Mais, en effet, des êtres déjà radicalement détruits (d’où l’allusion au judaïsme) … »

 Lente érosion et dévastation, mouvement intérieur de mort qui mène à la douceur, attention à l’autre, amour non possessif : «Détruire dit-elle, et muter. Les événements de mai 68 résonnent ici dans cette volonté idéalisée et obstinée de tout anéantir et raser, pour pouvoir enfin recommencer et initier à nouveau des lendemains qui chantent.  Sur le film Détruire dit-elle (1969), Marguerite Duras écrivait : «J’essaie de situer le changement de l’homme, enfin le stade révolutionnaire au niveau de la vie intérieure. Je crois que si on ne fait pas ce pas intérieur, si l’homme ne change pas dans sa solitude, rien n’est possible… »

Détruire dit-elle participe de l’idée du bonheur mais aussi des rêves et espoirs trop souvent déçus, lentement corrodés par le temps, le désir et les passions inassouvies : ainsi parle Alissa (Edith Baldy) qui, avec le professeur Max Thor (Xavier Deranlot) et le juif Stein (Airy Routier), rencontrent dans le parc d’un hôtel, la mystérieuse Elisabeth Alione (la danseuse Isabelle Catalan) : «Sur la chaise longue, elle a bougé. Elle s’est retournée et s’est rendormie, les jambes étirées, disjointes, la tête prise dans son bras. » Max Thor passe devant elle furtivement et  sans lui parler.

 Ces êtres contemplateurs, s’immiscent dans sa vie, et la bouleversent.  Et l’action, à proprement parler, est absente de la scène, sinon par l’invasion chez eux d’une sensation tonique de cette conscience vivante et partagée, de la fin d’un monde. Le théâtre vient ici de la parole libérée de Stein, avec une impudeur affichée de dire, et de faire dire; et le spectacle se déroule alors comme un mystère à la Maurice Blanchot, dans une représentation inattendue, musicale, de la destruction.

Un désir absolu, loin de tout libertinage, circule alors d’une figure à l’autre, avec la flamme d’une passion partagée, au-delà de la morale, amorale enfin. Le «moi» n’existe plus, au profit de l’énergie d’un désir circulant de l’un à l’autre. Alissa, la jeune épouse de Max Thor, est attirée par Stein dans la complicité et la folie, et ces trois personnages abandonnent l’«avoir» pour l’«être», dans une attitude non sentimentale.

 L’ancien monde est révolu : plus d’Histoire (la matière enseignée par Max Thor), plus de références ni de mémoire, et elle fait place à la musique et l’art de la fugue. Une forêt profonde jouxte le parc de cet hôtel, et il y a comme une invitation à parcourir ensemble cet espace sauvage inconnu.

La mise en scène de Jean-Luc Vincent accroche l’œil, sous l’éclairage vif et précis de cette écriture durassienne, si reconnaissable, de cet esprit libre et ouvert à l’autre. Comme dans l’obscurité d’une salle de cinéma, brille tout à coup ici l’éclat de spots pour un tournage de film, sur une petite table de jardin; une femme et un homme boivent un verre. Ils parlent de la création littéraire, et on entend au loin le bruit régulier et sec des balles sur les raquettes de tennis. Villégiature estivale et repos…

 Anne-Elodie Sorlin est une Marguerite Duras espiègle, qui marche, puis fait quelques pas de danse sur une fugue de Jean-Sébastien Bach. Facétieuse, avec de grosses lunettes, en petite jupe d’été jaune paille, cigarette à la main et diction tout de suite identifiable, répétitive et saccadée. Une audace ludique et juste pour redonner vie à une écrivaine disparue en 1996, et nous nous amusons d’une telle pertinence… Julien Derivaz est l’homme au pull rouge, et Yann André, le compagnon de Marguerite avec qui elle commente ses choix de fiction. Le couple regarde autour de la table, ces personnages infiniment humains que rejoint l’époux d’Elisabeth Alione (Jean-Luc Vincent). Certains se délivrent parfois d’eux-mêmes en hurlant!

Un voyage au cœur de la création de Marguerite Duras à travers une belle transformation de la fiction romanesque en théâtre.

 Véronique Hotte

Studio-Théâtre de Vitry, 18 avenue de l’Insurrection, 94400 Vitry-sur-Seine. T: 01 46 81 75 50, jusqu’au 6 mars. Théâtre de Vanves, Festival Ardanthé, le 21 mars.

Théâtre Dijon-Bourgogne, Festival Théâtre en mai, les 21, 22 et 23 mai.

 

 

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