Timon d’Athènes de William Shakespeare

©Antonia Bozzi

©Antonia Bozzi

 

Timon d’Athènes de William Shakespeare, texte français de Jean-Claude Carrière, mise en scène de Cyril Le Grix

On connaît mal l’histoire de Timon d’Athènes, une pièce rarement jouée, et la mise en scène de Peter Brook (1975) l’avait peut-être éclairée d’un jour trop tendre. Tendre, l’affaire ne l’est pas. Celle d’un richissime viveur qui se croit désintéressé parce qu’il ignore la source de sa fortune, et généreux parce qu’il la dilapide auprès de courtisans intéressés. Nous sommes tous frères ! Ce que je vous donne, vous me le rendrez au besoin ! Point : le besoin arrive, tous se dérobent et de façon fort peu élégante, se préparent à rattraper le coup au cas où la ruine de leur «ami» n’aurait été qu’un jeu, qu’une ruse.

Déception et rage de celui qui se croyait au cœur d’une fraternité. Il va, tel «une post-vibration du Roi Lear» selon Douglas Brown, se réfugier sur une lande, au bord de la mer, vivant de racines, et maudissant tout le genre humain. Excessif dans le dénuement, comme il l’avait été dans la richesse vaine. Et, à force de creuser la terre, il va trouver un trésor qu’il utilisera à pervertir autant que possible, ceux qui auraient la mauvaise idée de venir le voir.

Entre temps, la même ingratitude a été manifestée au général Alcibiade par les mêmes notables, si bien que, par représailles, il menacera les murs et le peuple d’Athènes. Lui, contrairement à Timon, prendra le temps de trier les bons et les méchants, pour sauver une ville qui abrite au moins un juste, l’intendant Flavius, honnête, actif et utile, qui sait faire de l’argent autre chose qu’un bain stérile à la Picsou.

William Shakespeare et Jean-Claude Carrière n’y vont pas avec le dos de la cuillère, et on est frappé par la cruelle rencontre entre l’époque élisabéthaine et la nôtre, quant aux affaires d’argent et de corruption. Les formules font mouche et on croirait qu’elles ont été écrites pour les clients des paradis fiscaux, ou pour nos élections présidentielles… Évidemment, on rit, comme chaque fois qu’une vérité se dévoile avec brutalité, et on épouse la hargne de Timon : elle nous venge.

On aime bien Flavius, mais la fidélité et le bon sens manquent d’attrait. La mise en scène a cette énergie directe, comme Patrick Catalifo (Timon), pas très à l’aise dans une première partie riche en moments parodiques avec des notables corrompus et lâches à souhait mais encombrée d’un numéro de danseuses sexy (?) sans grâce et longuet. Mais dans la seconde partie, en misanthrope absolu, l’acteur est puissant, souple comme une lame et il n’y a pas un mot qu’il ne retourne aussitôt à son adversaire. Il ne voit en autrui qu’un ennemi, avec une efficacité sanglante, augmentée d’une bonne dose d’humour. Ne vous attendez pas à une analyse intellectuelle de la pièce : la mise en scène ne fait pas de chichis. D’aucuns diront, pas assez ! Un parti pris qui  se discute…  Cyril Le Grix va droit au but, prend l’affaire à bras le corps et la fait soutenir par la musique d’un beau trio de jazz qui impulse les scènes.

Pas d’analyse, pas de commentaire mais, avec une scénographie juste et commode, ce spectacle est avant tout défoulatoire. Le public endosse un moment la colère de Timon, pour se souvenir de la sienne. Cela ne fait pas de ce Timon d’Athènes, un spectacle populiste : on ne sort pas de là, renforcé dans la conviction du «tous pourris», mais bien étrillé par la gigantesque révolte de Timon. Un spectacle efficace, donc, et ce n’est pas un vilain mot.

Christine Friedel 

Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 2 avril. T. : 01 43 28 36 36

 

 

 

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