Michael Kohlhaas, l’homme révolté d’Henrich von Kleist, adaptation de Marco Bellani et Remo Rostagno, traduction d’Olivier Favier
Le remarquable écrivain allemand né en 1777, qui s’est suicidé trente quatre ans plus tard, n’a été connu en France que tardivement. Mais surtout après que Jean Vilar ait monté Le Prince de Hombourg. Depuis Eric Rohmer mit en scène La Petite Catherine de Heilbronn qui avait déjà été adaptée par Jean Anouilh mais en fit aussi un téléfilm, et on joua aussi un peu partout La Cruche cassée, et Penthésilée. Le fameux texte théorique, Essai sur les théâtre de marionnettes fait maintenant partie des classiques dans toutes les écoles de théâtre. Et le même Eric Rohmer adapta une nouvelle comme La Marquise d’O. Mais aussi des cinéastes s’intéressèrent aussi à l’œuvre d’Henrich von Kleist comme Volker Schlöndorff ou Marco Bellochio qui fit une adaptation de Mickael Kohlhaas, mais bien après qu’une version théâtrale en ait été jouée en France dès les années 80…
Henrich von Kleist y raconte la tragédie d’un marchand de chevaux aisé qui doit conduire à pied une centaine de chevaux avec un serviteur pour les vendre à la foire de Dresde. Mais un noble châtelain va exiger un laisser-passer sur sa route, et retiendra en gage le serviteur et deux superbes bêtes auxquelles le marchand tenait beaucoup. Quand il reviendra de la foire trois semaines plus tard, il retrouvera son serviteur très malade et les deux chevaux maigres, épuisés et blessés par des journées de labour. Il portera plainte mais le noble est puissant et influent et il n’obtiendra donc rien. Lisette, la femme de Michel Kolhlhaas, venue présenter une requête à l’Empereur se blessera mortellement en tombant.
Bref, dans une situation sans issue, Michael Kohlhaas, honnête marchand et père de famille, révolté et de plus en plus obsédé par la grave injustice dont il est l’objet, même si on lui répète qu’il ne s’agit après tout que de deux chevaux, va se transformer en terrible criminel. Avec une bande de serviteurs armés, puis ensuite aussi de volontaires, il va rechercher en vain ce châtelain qui s’est enfui successivement dans plusieurs villes pour lui échapper. Michel Kohlhaas incendie les maisons de tous ceux qu’il soupçonne d’avoir protégé la fuite du noble, et les fait tuer sans aucun état d’âme… « En un mot, le monde aurait béni sa mémoire, dit Henrich von Kleist, sans les circonstances qui l’amenèrent à pousser à l’excès, une seule vertu, le sentiment de la justice, et en firent un brigand et un meurtrier. »
L’empereur de Prusse voyant que la révolte personnelle de cet homme furieux d’avoir été bafoué devient dangereuse, le fera pendre au motif que son attitude exigeante risque de mettre en cause son pouvoir impérial, et celui de son armée… donc la bonne marche et l’identité du pays tout entier. Ou comment le vol de deux chevaux qui aurait pu n’être qu’un simple fait divers, va, à cause d’un très mauvais fonctionnement de la justice, finalement enflammer un pays tout entier quand un groupe social s’estime avec raison, et sur des preuves réelles être la proie d’un mépris évident par le pouvoir en place. Cela rappelle, bien entendu, les récentes violences policières en France…
Gilbert Ponté, seul en scène, raconte cette tragédie sur le modèle italien du théâtre-narration et, à le voir, on pense tout de suite au grand maître Dario Fo dont il a un peu l’allure physique. Voix chaleureuse et diction impeccable, Gilbert Ponté est un conteur né, et raconte cette histoire comme s’il l’inventait, au fur et à mesure que progresse le récit. On VOIT vraiment les scènes qui se succèdent dans les différents lieux : la route, le tribunal, le château puis les villes attaquées. Mais l’acteur qui est ans doute aussi son propre metteur en scène, ce qui n’est jamais l’idéal, maîtrise moins bien sa gestuelle qui, déjà trop souvent pléonastique et répétitive, est trop invasive, puisque on se trouve à peine à quelques mètres de lui !
Et il suffisait de fermer les yeux un moment, comme si on l’écoutait à la radio, pour que cette aventure prenne tout à coup une autre dimension, et que l’on sente tout le souffle épique de cette histoire que le conteur réussit sans peine à transmettre.
Mais cette cave aux beaux murs de pierre taillée blanche, trop petite et peu pratique avec ses deux gros piliers, convient mal à ce type de théâtre-récit et de toute façon, à tout spectacle de théâtre. On souhaite à Gilbert Ponté de trouver un plateau parisien plus grand et donc mieux adapté… Il le mérite amplement.
Philippe du Vignal
Théâtre Essaïon, 6 Rue Pierre au Lard, 75004 Paris. T : 01 42 78 46 42, les seuls lundi et mardi à 19h45, jusqu’au 27 juin.
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