Une Saison en enfer d’Arthur Rimbaud


Une Saison en enfer d’Arthur Rimbaud, mise en scène d’Ulysse Di Grégorio

jean-quentin-chatelain«Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. -Et je l’ai trouvée amère. -Et je l’ai injuriée.(…)»  Ainsi commence ce long récit daté d’avril-août 1873, écrit par Arthur Rimbaud, en partie après sa querelle avec Paul Verlaine, à Bruxelles en juillet de la même année. Deux coups de feu tirés par l’amant sur le jeune homme, blessure et hôpital pour l’un, prison pour Verlaine.

Le jeune Rimbaud de dix-neuf ans se réfugie chez sa mère et, enfermé dans le grenier, abattu, gémissant, fulminant, il écrit ces cinquante-trois pages qu’il fera imprimer à compte d’auteur.

On a beaucoup glosé sur l’enfant prodige de la littérature, et nous avons tous en mémoire des lambeaux de poèmes appris à l’école, avec des fulgurances inouïes, tirées notamment de cette Saison, comme la couleur des voyelles.

Mais tous ces commentaires, qualifiant d’opaque ce récit composite, n’en ont-ils pas occulté la perception, brouillé l’écoute, et biaisé l’interprétation ? Rares sont ceux qui s’en sont emparé avec bonheur*. Jean-Quentin Châtelain nous invite à pénétrer avec une oreille neuve, dans les méandres de cette descente aux enfers. Il n’interprète pas, il dit, profère, se lamente ou éructe, selon les humeurs qui se dégagent des différents chapitres du récit (huit au total avec le prologue non titré). Immobile pendant plus d’une heure, il avance dans la matière même du texte, qu’il traverse avec une énergie forcenée, rendant aux mots leur essence, aux phrases, leur sens, et au poème, ses pleins et ses silences.

Il décrypte, nous n’avons plus qu’à nous laisser guider. D’abord dans l’obscurité, puis éclairé par un projecteur tombant à la verticale, il entre lentement dans ce magma sonore comme dans une nuit épaisse. Les rougeoiements de l’enfer jaillissent de cette langue volcanique. Puis l’humour parfois s’en dégage.

Dans Délires I, c’est Paul Verlaine («La vierge folle») qui fait le récit de sa vie commune avec Arthur Rimbaud («l’époux infernal»). Enfin, sortant de ce bouillonnement démoniaque, le damné revient à la raison dans les quatre derniers mouvements, et explique avec L’Adieu, qu’il ne lui reste plus qu’à partir. Au terme de ce chemin fou : «Je  me vantais de posséder tous les paysages possibles, je croyais à tous les enchantements, j’écrivais des silences, je fixais des vertiges ». Il laisse derrière lui cette vie délétère («les souvenirs immondes s’effacent») et la poésie illusoire : «La vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe», pour une vie de travail avec «la réalité rugueuse à étreindre».

Et la boucle est bouclée. On connaît le destin du poète par la suite… Ce spectacle radical nous restitue la «prose de diamant» saluée par Paul Verlaine.

.Mireille Davidovici

Théâtre du Lucernaire, 54 rue Notre-Dame-des-Champs Paris VIème jusqu’au 6 mai.

Théâtre Montansier, Versailles, le 9 mai.

*Léo Ferré a mis en musique et chanté l’intégralité du poème dans Une Saison en enfer (1991).

  

 


Archive pour 12 mars, 2017

Une Saison en enfer d’Arthur Rimbaud


Une Saison en enfer d’Arthur Rimbaud, mise en scène d’Ulysse Di Grégorio

jean-quentin-chatelain«Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. -Et je l’ai trouvée amère. -Et je l’ai injuriée.(…)»  Ainsi commence ce long récit daté d’avril-août 1873, écrit par Arthur Rimbaud, en partie après sa querelle avec Paul Verlaine, à Bruxelles en juillet de la même année. Deux coups de feu tirés par l’amant sur le jeune homme, blessure et hôpital pour l’un, prison pour Verlaine.

Le jeune Rimbaud de dix-neuf ans se réfugie chez sa mère et, enfermé dans le grenier, abattu, gémissant, fulminant, il écrit ces cinquante-trois pages qu’il fera imprimer à compte d’auteur.

On a beaucoup glosé sur l’enfant prodige de la littérature, et nous avons tous en mémoire des lambeaux de poèmes appris à l’école, avec des fulgurances inouïes, tirées notamment de cette Saison, comme la couleur des voyelles.

Mais tous ces commentaires, qualifiant d’opaque ce récit composite, n’en ont-ils pas occulté la perception, brouillé l’écoute, et biaisé l’interprétation ? Rares sont ceux qui s’en sont emparé avec bonheur*. Jean-Quentin Châtelain nous invite à pénétrer avec une oreille neuve, dans les méandres de cette descente aux enfers. Il n’interprète pas, il dit, profère, se lamente ou éructe, selon les humeurs qui se dégagent des différents chapitres du récit (huit au total avec le prologue non titré). Immobile pendant plus d’une heure, il avance dans la matière même du texte, qu’il traverse avec une énergie forcenée, rendant aux mots leur essence, aux phrases, leur sens, et au poème, ses pleins et ses silences.

Il décrypte, nous n’avons plus qu’à nous laisser guider. D’abord dans l’obscurité, puis éclairé par un projecteur tombant à la verticale, il entre lentement dans ce magma sonore comme dans une nuit épaisse. Les rougeoiements de l’enfer jaillissent de cette langue volcanique. Puis l’humour parfois s’en dégage.

Dans Délires I, c’est Paul Verlaine («La vierge folle») qui fait le récit de sa vie commune avec Arthur Rimbaud («l’époux infernal»). Enfin, sortant de ce bouillonnement démoniaque, le damné revient à la raison dans les quatre derniers mouvements, et explique avec L’Adieu, qu’il ne lui reste plus qu’à partir. Au terme de ce chemin fou : «Je  me vantais de posséder tous les paysages possibles, je croyais à tous les enchantements, j’écrivais des silences, je fixais des vertiges ». Il laisse derrière lui cette vie délétère («les souvenirs immondes s’effacent») et la poésie illusoire : «La vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe», pour une vie de travail avec «la réalité rugueuse à étreindre».

Et la boucle est bouclée. On connaît le destin du poète par la suite… Ce spectacle radical nous restitue la «prose de diamant» saluée par Paul Verlaine.

.Mireille Davidovici

Théâtre du Lucernaire, 54 rue Notre-Dame-des-Champs Paris VIème jusqu’au 6 mai.

Théâtre Montansier, Versailles, le 9 mai.

*Léo Ferré a mis en musique et chanté l’intégralité du poème dans Une Saison en enfer (1991).

  

 

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