Lili, d’après Le désespoir tout blanc
Lili, d’après Le désespoir tout blanc, de Clarisse Nicoïdski, mise en scène de Daniel Mesguich
Qui est Lili ? Une « simple d’esprit », une attardée qui cependant ne perd pas son temps. Mise à l’écart, silencieusement rabrouée, elle voit, elle entend les autres. L’idiot comme le délirant, dit la vérité, simplement mais sans les grilles de lecture, sociales, morales des gens “normaux “ ou plutôt normés. Dans son silence, non qu’elle se taise mais du fait qu’elle n’est pas écoutée, Lili sait tout de la mort du père, de l’inceste, du suicide dans sa famille. Tout, c’est à dire l’essentiel : ce que ces instants ont de foudroyant. Et de drôle, aussi. Lili, un personnage tragique qui sait rire…
On n’en dira pas plus : il faut écouter Catherine Berriane porter ce texte, le planter fermement devant nous, se laisser traverser par lui sans flancher, le mâcher, le produire de tout son corps. Elle fait preuve d’une maturité, d’une force peu commune. Les comédiennes n’aiment pas qu’on les compare les unes aux autres, mais on dira quand même qu’elle est à la hauteur d’une Yolande Moreau dans Séraphine, le film de Martin Provost, d’une Michèle Gleizer dans Les Trompettes de la mort de Tilly -pour ceux qui s’en souviennent (c’était au Théâtre de la Colline il y a vingt ans. Mais, comme le disait Antoine Vitez, l’histoire du théâtre est dans la mémoire des spectateurs…).
Quant aux intentions sociales du metteur en scène, redonner une place, une visibilité aux handicapés mentaux, elles sont dépassées, pulvérisées par la présence évidente de Catherine Berriane accompagnée d’un double (Flore Zanni), ou plutôt dédoublée par une sorte d’elfe qui pourrait être une autre Lili, un papillon égaré né de cette tête opaque, du poids de ce corps.
Sarah Gabriel les a entourées d’un décor pas trop envahissant (tant mieux !) très “mesguichien“ : un miroir au fond, bien sûr, une baignoire qui évoque la noyade et les traitements de la folie, le cercueil verni du père, et quelques toiles d’araignée pour évoquer sans doute celle que Lili a au plafond… À vrai dire, , concentré sur la parole et la présence de Catherine Berriane, on en oublie un peu le décor. « It is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing ». (Une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. Shakespeare Macbeth
Ce soir là, le spectacle (une heure quinze) était suivi d’un débat, ou plutôt d’une conversation savante sur Psychanalyse et théâtre, que l’on sait proches parents (complexe d’Œdipe…) entre Daniel Mesguich et Hervé Castanet. Paroles brillantes, pleines d’humour et de savoir, affirmant qu’il ne faut pas « faire l’intelligent » ni oublier l’idiot qui est en nous… tout en faisant l’intelligent. Comme un second spectacle superposé au premier, et c’est presque dommage.
Donc un spectacle à voir, pour une rencontre exceptionnelle entre une comédienne et un texte.
Christine Friedel
Théâtre de l’Epée de Bois, Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 9 avril. T : 01 48 08 39 74.
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