Horace de Pierre Corneille

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Horace de Pierre Corneille, mise en espace de Renaud Marie Leblanc

 

L’histoire avait été contée par Tite-Live : les cités de Rome et d’Albe, en guerre, décident de confier leur sort à des hommes choisis au hasard: les trois frères Horace pour les Romains, et les trois frères Curiace pour les Albins. Mais catastrophe : les Curiaces  sont liés par l’amitié et les amours ! Horace le Romain aime Sabine l’Albaine, et Curiace, son frère aime Camille, la sœur d’Horace… qui choisit, lui, de défendre l’intérêt de sa patrie. Passion amoureuse contre raison d’Etat: le héros cornélien doit faire face à deux exigences morales inconciliables. Ainsi Camille est incapable de savoir si elle souhaite la victoire de Rome ou la mort de  Curiace: « Je verrai mon amant, mon plus unique bien/ Mourir pour son pays  ou détruire le mien ». Et Sabine n’est pas mieux lotie: « Aimer un bras souillé du sang de tous mes frère!/N’aimer pas un mari qui finit nos misères! Sire, délivrez-moi par un heureux trépas/Des crimes de l’aimer ou de ne l’aimer pas. »

Les trois Curiace  seront gravement blessés, mais deux des frères Horace seront tués et le dernier des trois tuera les deux Curiace. Horace devra affronter sa sœur Camille qui pleure son Curiace assassiné!  Ce qu’il ne supporte pas: il tuera Camille  devenant ainsi à ses propres yeux un héros digne d’aller au paradis. Les femmes s’indignent de ce cette situation qui leur est imposée où elles vont perdre soit un mari soit un frère. Ici, comme dans beaucoup de tragédies, c’est donc la passion amoureuse contre l’honneur, la trop fameuse gloire c’est à dire entre autres, la plus belle occasion de se faire admirer et la raison d’Etat. Tout cela fournit une bonne (?) raison d’accomplir sa vie, au besoin dans la mort au combat! considérée alors comme un idéal d’héroïsme propre à éblouir les jeunes générations! Ce qui peut rappeler certaines dérives actuelles…

Les hommes semblent en effet accepter facilement ce destin, mais les femmes, qui ont toutes les trois un beau rôle dans cette pièce, refusent ce combat  aussi rare que cruel. « Le théâtre de Corneille, dit Renaud Marie Leblanc, qui ne cesse de d’écrire l’essence du héros et de l’héroïsme produit un écho étrange en résurgence sur la figure des jeunes enrôlés pour le Djihad ». Sans aller jusque là, c’est bien ici toute la question: à vingt et quelque années, quel sens peut-on donner à sa vie ?

Oui, mais voilà, les alexandrins à l’inimitable saveur, de la pièce écrite en 1642 par Pierre Corneille se méritent: il y faut, pour les dire correctement, un rythme toujours juste, une diction et des respirations impeccables, si l’on veut entendre la musique, la vie, bref toute la poésie d’un texte qui, quatre siècles après sa création, garde une dimension sidérante de modernité… Et c’est tout un  travail d’une grande discipline, de répétitions et de plateau. Ce que l’on voit justement chez Brigitte Jaques, chaque fois qu’elle monte un Corneille (voir Le Théâtre du Blog).
Mais malheureusement pas ici, sauf à de rares moments et sur la fin de cette « mise en espace », qui n’est donc pas une mise en scène, si l’on se fie aux mots! Et, semble-t-il, tout un travail d’appréhension du texte n’a justement pas été fait, ou trop vite, et les comédiens jouent le plus souvent petit, quotidien, comme si on avait affaire à l’adaptation d’un fait divers pour une série télévisée… Alors que rappelons-le, cette partie finale d’une guerre se joue quand même à un autre niveau et il s’agit  d’une affaire entre Etats voisins !

Mais la vidéo-insupportable-même avec parfois de belles images, parasite constamment les scènes, et cela dès le début. Sur un grand écran en bandeau au dessus du plateau, deux yeux nous regardent puis on a droit, en très gros plan, à un visage d’homme qui se rase, si bien que les personnages, souvent très peu éclairés, perdent, bien entendu, de leur importance. Désolé, mais il est un peu naïf de penser que la tragédie cornélienne ou racinienne aurait, pour continuer à exister, absolument besoin d’accessoires de notre vie quotidienne comme entre autres, un réfrigérateur, un matelas, un lavabo, ou d’images vidéo-béquilles appartenant à notre monde contemporain! Une longue table où sont disposées des coupes de fruits, et quelques sièges, cela suffit amplement à Brigitte Jaques…

Et cela continue de façon pléonastique, presque caricaturale, comme on l’a vu, depuis au moins quinze ans, sur nombre de plateaux: quand on annonce un personnage, on le voit descendre un escalier aux murs bariolés de graffitis, avant d’entrer en scène ! Et, au cas où nous aurions du mal à comprendre, au moment où la tension grandit, on nous offre un paysage hivernal de grands arbres noirs dénudés ! Quand Horace tue sa sœur d’un coup de revolver, une grande tache de sang se répand sur l’écran… Et sur le plan sonore, quand le texte évoque l’orage, on entend l’orage en bande-son… Tous aux abris !

Cette vidéo se répand dans tous les sens en messages visuels-qui ne sont pas tous analogiques-et le pauvre spectateur est obligé de faire la synthèse entre différents types d’image : celle des corps, même peu visibles, des acteurs sur la scène, celle-souvent des plus intenses-que proposent les séquences de mots, dont certains obscurs pour le public actuel de ce texte formidable, celles de la scénographie, comme ces éclairages rasants sur des rideaux de lames de plastique comme on en voit partout,  et enfin les images sur écran, avec tous les cas possibles d’intersection, de surimpression, voire de combinaison entre visuel et verbal. Cela fait beaucoup, et à force de multiplier les signes, on ne peut avoir une attention au texte qui, au début, n’est pas la clarté même, comme le remarquait une jeune spectatrice. Et le metteur en scène doit-il encore pouvoir maîtriser l’interaction codique entre perception des images et proposition orale.On peut concevoir qu’un message visuel puisse jouer un rôle, en accompagnant une tirade de théâtre classique déjà riche en images-mais cela reste à prouver…

DSC06063A quoi peut bien servir cette obscénité (au sens étymologique du terme) permanente de l’image, mais aussi quelle est aussi, dans ce cas de figure, la place du spectateur dans le tourbillon qu’on lui impose deux heures et demi durant sans entracte, alors que la pièce est déjà longuette et enfin comment cette « mise en espace » assez statique peut favoriser l’émergence de la tragédie.

Pari toujours risqué quand on veut jouer sur l’action de personnages en général tragiques (mais curieusement jamais comiques !) en regard d’images vidéo bien construites mais stéréotypées, et, on se demande bien pourquoi, parfois agrémentées de fumigènes…

Dans le dernier acte, il y a-malgré, ou plutôt grâce à un décalage qui se révèle être assez futé- l’arrivée d’une chanteuse de music-hall en robe longue en lamé bleu. Et alors qu’on ne sentait pas vraiment concerné jusque là pour les raisons indiquées plus haut, les choses tout d’un coup ou presque, se mettent à changer, et les comédiens s’emparent alors du plateau, physiquement, mentalement. Un superbe et vrai climat tragique, sur fond de folie et de désespoir amoureux, s’installe alors. Mieux vaut tard que jamais, et il aura fallu mériter ces quelques minutes intenses.

Un moyen de faire déjà progresser les choses? Aller demander à Macha Makeieff, la directrice de la Criée à Marseille les coordonnées de la  spécialiste qui avait cornaqué ses comédiens pour la diction-impeccable-des alexandrins dans ses Femmes savantes. On a le droit,  pour Molière comme pour Pierre Corneille, à un haut degré d’exigence. Cela irait en effet déjà beaucoup mieux pour ce spectacle intéressant mais qui mangue singulièrement de fluidité, s’il y avait un véritable respect des alexandrins! Et il y a aussi une certaine confusion entre le sens du texte et une communication non verbale intrusive qui casse le rythme. Imaginons un instant cet Horace sans vidéo… qui fascine toujours les jeunes et moins jeunes metteurs en scène…

Cela dit,  il n’y a pas eu de défections dans ce public aixois, pas très jeune mais enthousiaste, qui a beaucoup applaudi les acteurs.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 25 mars, créé du 21 au 25 de ce même mois, au Théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence.

 

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Archive pour 28 mars, 2017

Horace de Pierre Corneille

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Horace de Pierre Corneille, mise en espace de Renaud Marie Leblanc

 

L’histoire avait été contée par Tite-Live : les cités de Rome et d’Albe, en guerre, décident de confier leur sort à des hommes choisis au hasard: les trois frères Horace pour les Romains, et les trois frères Curiace pour les Albins. Mais catastrophe : les Curiaces  sont liés par l’amitié et les amours ! Horace le Romain aime Sabine l’Albaine, et Curiace, son frère aime Camille, la sœur d’Horace… qui choisit, lui, de défendre l’intérêt de sa patrie. Passion amoureuse contre raison d’Etat: le héros cornélien doit faire face à deux exigences morales inconciliables. Ainsi Camille est incapable de savoir si elle souhaite la victoire de Rome ou la mort de  Curiace: « Je verrai mon amant, mon plus unique bien/ Mourir pour son pays  ou détruire le mien ». Et Sabine n’est pas mieux lotie: « Aimer un bras souillé du sang de tous mes frère!/N’aimer pas un mari qui finit nos misères! Sire, délivrez-moi par un heureux trépas/Des crimes de l’aimer ou de ne l’aimer pas. »

Les trois Curiace  seront gravement blessés, mais deux des frères Horace seront tués et le dernier des trois tuera les deux Curiace. Horace devra affronter sa sœur Camille qui pleure son Curiace assassiné!  Ce qu’il ne supporte pas: il tuera Camille  devenant ainsi à ses propres yeux un héros digne d’aller au paradis. Les femmes s’indignent de ce cette situation qui leur est imposée où elles vont perdre soit un mari soit un frère. Ici, comme dans beaucoup de tragédies, c’est donc la passion amoureuse contre l’honneur, la trop fameuse gloire c’est à dire entre autres, la plus belle occasion de se faire admirer et la raison d’Etat. Tout cela fournit une bonne (?) raison d’accomplir sa vie, au besoin dans la mort au combat! considérée alors comme un idéal d’héroïsme propre à éblouir les jeunes générations! Ce qui peut rappeler certaines dérives actuelles…

Les hommes semblent en effet accepter facilement ce destin, mais les femmes, qui ont toutes les trois un beau rôle dans cette pièce, refusent ce combat  aussi rare que cruel. « Le théâtre de Corneille, dit Renaud Marie Leblanc, qui ne cesse de d’écrire l’essence du héros et de l’héroïsme produit un écho étrange en résurgence sur la figure des jeunes enrôlés pour le Djihad ». Sans aller jusque là, c’est bien ici toute la question: à vingt et quelque années, quel sens peut-on donner à sa vie ?

Oui, mais voilà, les alexandrins à l’inimitable saveur, de la pièce écrite en 1642 par Pierre Corneille se méritent: il y faut, pour les dire correctement, un rythme toujours juste, une diction et des respirations impeccables, si l’on veut entendre la musique, la vie, bref toute la poésie d’un texte qui, quatre siècles après sa création, garde une dimension sidérante de modernité… Et c’est tout un  travail d’une grande discipline, de répétitions et de plateau. Ce que l’on voit justement chez Brigitte Jaques, chaque fois qu’elle monte un Corneille (voir Le Théâtre du Blog).
Mais malheureusement pas ici, sauf à de rares moments et sur la fin de cette « mise en espace », qui n’est donc pas une mise en scène, si l’on se fie aux mots! Et, semble-t-il, tout un travail d’appréhension du texte n’a justement pas été fait, ou trop vite, et les comédiens jouent le plus souvent petit, quotidien, comme si on avait affaire à l’adaptation d’un fait divers pour une série télévisée… Alors que rappelons-le, cette partie finale d’une guerre se joue quand même à un autre niveau et il s’agit  d’une affaire entre Etats voisins !

Mais la vidéo-insupportable-même avec parfois de belles images, parasite constamment les scènes, et cela dès le début. Sur un grand écran en bandeau au dessus du plateau, deux yeux nous regardent puis on a droit, en très gros plan, à un visage d’homme qui se rase, si bien que les personnages, souvent très peu éclairés, perdent, bien entendu, de leur importance. Désolé, mais il est un peu naïf de penser que la tragédie cornélienne ou racinienne aurait, pour continuer à exister, absolument besoin d’accessoires de notre vie quotidienne comme entre autres, un réfrigérateur, un matelas, un lavabo, ou d’images vidéo-béquilles appartenant à notre monde contemporain! Une longue table où sont disposées des coupes de fruits, et quelques sièges, cela suffit amplement à Brigitte Jaques…

Et cela continue de façon pléonastique, presque caricaturale, comme on l’a vu, depuis au moins quinze ans, sur nombre de plateaux: quand on annonce un personnage, on le voit descendre un escalier aux murs bariolés de graffitis, avant d’entrer en scène ! Et, au cas où nous aurions du mal à comprendre, au moment où la tension grandit, on nous offre un paysage hivernal de grands arbres noirs dénudés ! Quand Horace tue sa sœur d’un coup de revolver, une grande tache de sang se répand sur l’écran… Et sur le plan sonore, quand le texte évoque l’orage, on entend l’orage en bande-son… Tous aux abris !

Cette vidéo se répand dans tous les sens en messages visuels-qui ne sont pas tous analogiques-et le pauvre spectateur est obligé de faire la synthèse entre différents types d’image : celle des corps, même peu visibles, des acteurs sur la scène, celle-souvent des plus intenses-que proposent les séquences de mots, dont certains obscurs pour le public actuel de ce texte formidable, celles de la scénographie, comme ces éclairages rasants sur des rideaux de lames de plastique comme on en voit partout,  et enfin les images sur écran, avec tous les cas possibles d’intersection, de surimpression, voire de combinaison entre visuel et verbal. Cela fait beaucoup, et à force de multiplier les signes, on ne peut avoir une attention au texte qui, au début, n’est pas la clarté même, comme le remarquait une jeune spectatrice. Et le metteur en scène doit-il encore pouvoir maîtriser l’interaction codique entre perception des images et proposition orale.On peut concevoir qu’un message visuel puisse jouer un rôle, en accompagnant une tirade de théâtre classique déjà riche en images-mais cela reste à prouver…

DSC06063A quoi peut bien servir cette obscénité (au sens étymologique du terme) permanente de l’image, mais aussi quelle est aussi, dans ce cas de figure, la place du spectateur dans le tourbillon qu’on lui impose deux heures et demi durant sans entracte, alors que la pièce est déjà longuette et enfin comment cette « mise en espace » assez statique peut favoriser l’émergence de la tragédie.

Pari toujours risqué quand on veut jouer sur l’action de personnages en général tragiques (mais curieusement jamais comiques !) en regard d’images vidéo bien construites mais stéréotypées, et, on se demande bien pourquoi, parfois agrémentées de fumigènes…

Dans le dernier acte, il y a-malgré, ou plutôt grâce à un décalage qui se révèle être assez futé- l’arrivée d’une chanteuse de music-hall en robe longue en lamé bleu. Et alors qu’on ne sentait pas vraiment concerné jusque là pour les raisons indiquées plus haut, les choses tout d’un coup ou presque, se mettent à changer, et les comédiens s’emparent alors du plateau, physiquement, mentalement. Un superbe et vrai climat tragique, sur fond de folie et de désespoir amoureux, s’installe alors. Mieux vaut tard que jamais, et il aura fallu mériter ces quelques minutes intenses.

Un moyen de faire déjà progresser les choses? Aller demander à Macha Makeieff, la directrice de la Criée à Marseille les coordonnées de la  spécialiste qui avait cornaqué ses comédiens pour la diction-impeccable-des alexandrins dans ses Femmes savantes. On a le droit,  pour Molière comme pour Pierre Corneille, à un haut degré d’exigence. Cela irait en effet déjà beaucoup mieux pour ce spectacle intéressant mais qui mangue singulièrement de fluidité, s’il y avait un véritable respect des alexandrins! Et il y a aussi une certaine confusion entre le sens du texte et une communication non verbale intrusive qui casse le rythme. Imaginons un instant cet Horace sans vidéo… qui fascine toujours les jeunes et moins jeunes metteurs en scène…

Cela dit,  il n’y a pas eu de défections dans ce public aixois, pas très jeune mais enthousiaste, qui a beaucoup applaudi les acteurs.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 25 mars, créé du 21 au 25 de ce même mois, au Théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence.

 

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