L’Histoire d’une femme, texte et mise en scène de Pierre Notte
L’Histoire d’une femme, texte et mise en scène de Pierre Notte
Pas de scène dans la petite salle du sous-sol du Théâtre de Poche, avec des banquettes pour soixante-dix places, et c’est bien ainsi: juste une chaise et une tablette noire où sont disposés un verre, une bouteille d’eau et une serviette. Muriel Gaudin est là, debout, très proche des spectateurs et lance les imprécations de Pierre Notte : «J’ai voulu, dit-il, écrire l’histoire d’une femme qui n’en peut plus d’avoir à supporter une société d’hommes».
Et cette jeune femme, incarnée avec une impeccable diction et une grande sensibilité, une grande justesse par la comédienne, n’a même pas de nom. Elle a sans doute une petite quarantaine d’années et doit subir au quotidien, dans la rue, le métro ou dans son entreprise, des petites phrases perfides, voire des insultes des hommes, ou des attouchements, ou encore claques sur les fesses. Constat évident : la société française contemporaine est encore très phallocratique, quel que soit l’interlocuteur de la jeune femme : son père, son patron, un médecin, un passant qu’elle ne connaît pas… Aucun ne rattrape l’autre ! Et la jeune femme doit subir au quotidien, humiliations et brimades sexistes, avec l’intime et insupportable conviction qu’on s’en prend à son identité la plus profonde. Jusqu’à ne plus avoir envie de dialoguer avec un homme…
Muriel Gaudin joue ce remarquable récit/monologue avec une superbe maîtrise, et cela dès le début de la représentation, en incarnant avec fluidité-dans ces petites scènes qui s’enchaînent-quelque trente personnages, avec des mots parfois crus mais qui correspondent bien aux situations de soumission exigées, au moins mal: paternalistes et d’un autre âge, au pire: méprisantes et misogynes, vécues dans un monde machiste impossible à vivre, et cela quel que soit le milieu social: « ça se passe n’importe où, dit-elle, dans une rue à l’extérieur je tombe je suis tombée un type est passé à vélo devant moi juste là je traversais il a fait ça en passant il a claqué sa main il a, comment je peux dire ça il m’a claquée là, sur les fesses en passant à vélo et il a ri fort très fort il a claqué très fort et il a ri très fort aussi et il est parti et je suis tombée, voilà comment je suis tombée je suis à terre et je ne réponds plus (…).
Bref, il y a un manque total de communication entre les deux sexes, encore au XXIème siècle…Y compris à l’Assemblée Nationale où il y a cinq ans, la ministre Cécile Duflot se faisait chahuter par certains députés parce qu’elle était en robe… Chapeau ! Rappelons que la France est au 34ème rang en matière de femmes élues au Parlement (27%) entre l’Afghanistan et la Tunisie!
Côté mise en scène, la direction d’acteurs est encore un peu brute de décoffrage et on se demande bien pourquoi Pierre Notte a demandé à Muriel Gaudin de boire sans arrêt un verre d’eau, ou de s’éponger le visage avec une serviette : cette gestuelle inutile parasite le jeu de cette jeune actrice qui dit avec précision et magnifiquement son texte. Avec une belle voix grave et une intelligence du propos qu’on n’entend pas tous les jours. Une belle leçon de théâtre.
A voir donc pour le jeu remarquable de Muriel Gaudin qui passe par tous les registres : drôlerie, émotion, ironie, douleur contenue.. pour dire, avec toute l’intensité nécessaire, ce beau texte qui va faire un tabac auprès des apprenties-comédiennes quand elles le découvriront.
Philippe du Vignal
Théâtre de Poche-Montparnasse 75 boulevard du Montparnasse, 75006 Paris. T. : 01 45 44 50 21 jusqu’au 17 mai.
Théâtre des Trois Soleils, Festival d’Avignon, du 7 au 30 juillet.