Nachlass / pièces sans personnes par le Collectif Rimini Protokoll
Nachlass / pièces sans personnes par le Collectif Rimini Protokoll
Stefan Kaegi, Suisse d’origine, a fondé Rimini Protokoll avec Helgard Haug et Daniel Wetzel à Berlin. Depuis, il pratique un théâtre documentaire hors-normes et souvent hors-les-murs, toujours en prise sur le réel, donnant la parole à des « experts du quotidien ». Il les interroge, les invite à jouer leurs propres rôles, souvent sur le plateau, et invente à partir d’eux, des dispositifs généralement immersifs interrogeant les réalités sociales ou politiques de notre temps. Officiant souvent dans son pays natal, Stefan Kaegi y a réalisé Nachlass au théâtre Vidy-Lausanne. Après Deadline, qui donnait la parole à des spécialistes et experts de la mort, il aborde encore ce thème, mais cette fois-ci du point de vue de ceux qui vont bientôt mourir. Mais rien de sinistre dans cette démarche, au contraire…
Fidèle à la méthode de son Collectif, le metteur en scène à choisi huit personnes en fin de vie, soigneusement sélectionnées, parmi de nombreux volontaires auditionnés. En allemand »Nachlass“ de »nach » : après, et de « lassen » : laisser, désigne l’ensemble des biens matériels et immatériels que laisse un défunt derrière lui. Que laisse-t-on après sa mort ? Le spectacle s’est construit à partir de cette question. » Il nous intéressait, explique Stefan Kaegi, d’investir l’ensemble des lettres, œuvres, documents qui dessinent le corpus de leur existence, bien loin des questions d’héritage. Capter des fragments de vie, explorer leurs désirs pour les offrir plus tard au public, quand ces êtres auront peut-être disparu. »
Nachlass est une installation scénique où les spectateurs circulent. Par petits groupes, ils vont pénétrer dans une succession de pièces inhabitées, disposées autour d’une salle d’attente, accueillis par la voix et les images de personnes défuntes à ce jour.
Dominic Huber a construit huit espaces sur mesure, conformément aux vœux des mourants, contenant des restes les symbolisant. Nadine, une française venue en Suisse pour bénéficier de l’assistance au suicide, aurait aimé devenir chanteuse. Toute sa vie secrétaire dans une entreprise d’automobiles, elle n’a pu réaliser ce vœu. Face à un théâtre miniature dont le rideau blanc ne se lèvera plus, on entend la chanson de son enfance qu’elle a enregistrée pour ce spectacle. Son rêve se réalise enfin mais post mortem et cela nous émeut aux larmes.
Plus loin, c’est Michel, un adepte du parachute qui nous entraîne à sauter avec lui, avec une caméra embarquée. Pour lui, « le saut, c’est vivre au présent, même si je sais que je peux mourir. Sauter égale exit ! »
Jeanne, quatre-vingt onze ans, nous suggère de regarder des photos qu’elle a prises elle-même, témoignages d’une vie ordinaire avec ses joies et ses peines. Elle travaillait dans une usine de réveils et nous demande de régler deux exemplaires de sa production pour minuter son temps de parole. À nous tous, les heures sont comptées, se dit-on…
Gabrielle nous lègue des monceaux de cartons bourrés de documents qu’on peut compulser. Elle nous parle de sa fondation, destinée à aider les artistes africains qu’elle a côtoyés, lors de ses missions d’ambassadrice européenne : » Cette chambre transmettra mon message et rendra mon départ plus facile . » Une vie bien remplie comme cette habitacle réduit où s’entassent ses dossiers.
Rien de morbide dans ce parcours. Au-delà d’un documentaire brut, se jouent huit petits théâtres intimes, testaments ordonnancés de leur vivant par des personnes sans doute disparues, à l’intention d’autres vivants. « Les personnes en fin de vie, précise Stefan Kaegi, ont un vif désir de témoigner, contrairement à leur entourage, souvent très peiné. »
Dire que l’on sort joyeux de cette expérience, serait exagéré. Un spectacle troublant, bouleversant, parfois on sourit même quand l’un des protagonistes nous propose un verre d’eau, puis nous demande de bien vouloir jeter le gobelet usagé, avant de quitter sa chambre.
Si cette création a été élaborée à Lausanne, rien d’étonnant : » Observer la mort en Suisse, dit Stefan Kaegi, c’est un peu comme faire un voyage vers le futur, les avancées technologiques sont stupéfiantes. ( …) En parallèle, il est désormais possible de décider de sa propre mort, grâce aux organismes d’assistance au suicide. La Suisse expérimente des projets avant-gardistes dont on discute actuellement dans toute l’ Europe. (…) Nachlass interroge des thèmes comme la médecine du futur, la mémoire, l’héritage immatériel. »
Mais loin de s’arrêter à un sujet de société, ou à une expérience macabre, ce memento mori, partagé collectivement, dans une grande proximité avec les autres spectateurs, et grâce à une mise en scène distanciée, reste avant tout réconfortant. Il nous invite à regarder la mort, donc la vie en face. À voir…
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 26 mars, à Bonlieu/ Scène nationale d’Annecy (74).
Théâtre Vidy-Lausanne du 31 mars au 4 avril.
Festival Théâtre en mai, à Dijon, du 20 au 27 mai;
Le Maillon, à Strasbourg, du 1er au 11 juin ; Staatsschauspiel de Dresde du 16 au 24 juin.
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