La Jeune Fille et la Mort, par Les Grands ballets canadiens de Montréal

 

(C)Jean Couturier

(C)Jean Couturier

La jeune fille et la mort, par les Grands ballets canadiens de Montréal

Pour sa première venue à Paris,  cette compagnie a beaucoup impressionné le public; en quatre vingt cinq minutes,  ses  danseurs doués d’ une énergie incroyable se livrent totalement. Sans aucune pause, les séries de pas-de-deux s’enchaînent.  Un homme vêtu de noir, sorte de Dom Juan moderne, personnifie la mort et séduit plusieurs femmes, interprétées par les jeunes danseuses de la troupe. Le chorégraphe Stephan Thoss, directeur artistique de la danse au Théâtre National de Manheim, envisage cette création comme un dialogue entre la vie et la mort. Les tableaux se succèdent, et l’attrait de la mort se révèle destructeur pour chacune de ses partenaires.

Mais le plateau est souvent encombré par des cadres de porte,  tables, ou chaises  souvent déplacés par les danseurs. Ce travail de régie, précis et inhabituel, brouille la lisibilité et le propos dramaturgique du chorégraphe. Les lumières, elles aussi mouvantes, mettent en valeur la qualité physique des danseurs aux gestes précis et justes, et la grâce habite les mouvements des danseuses. 

Ce tourbillon permanent, parfois excessif, empêche toute respiration. Parti-pris étonnant pour ce ballet de type néo-classique déstructuré, souvent inspiré de ses collaborations passées avec Mats Ek ou Jiri Kylian. Les musiques de Phil Glass et  Gustav Mahler accompagnent chaque tableau. Les Grands ballets canadiens de Montréal, fondés en 1957, accueillent depuis 1999, un directeur artistique charismatique, Gradimir Pankov, qui était présent ce soir de première, et auquel Didier Deschamps et Brigitte Lefèvre ont rendu hommage. Cette troupe est une belle découverte.

Jean Couturier

Théâtre National de la Danse de Chaillot 1 Place du Trocadéro, Paris XVIème jusqu’au 17 mars.

Théâtre-chaillot.fr

        


Archive pour mars, 2017

La Beauté intérieure, texte extrait du Trésor des humbles

 

DR

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La Beauté intérieure, texte extrait du Trésor des humbles de Maurice Maeterlinck, conception et mise en scène de Thomas Bouvet

 Le spectacle se donne pour objet de traquer la beauté de l’âme; la perception du monde, affaire de sensation tremblante et d’impression frémissante en soi, restant un vrai mystère… A l’artiste, via le verbe de Maurice Maeterlinck, de la saisir. Vaste aventure aléatoire qui pourrait faire sourire, si elle n’était juste. La beauté n’est pas rationnelle, pour qui se pique de contemplation ou de lyrisme : est-ce un idéal mystique, ou une transcendance qui mobilise implicitement chacun ?

Selon Marcel Proust dans la préface à La Bible d’Amiens de John Ruskin, elle doit être aimée pour elle-même, bien réelle et plus importante que la joie qu’elle donne. L’art : musique, littérature, spectacle, etc. produit plaisir esthétique et bonheur n’est pas le seul sanctuaire de la beauté, mais la nature aussi, lieu d’articulation entre création humaine, corps et âme d’abord, et création divine. L’aventure intérieure consistant à sentir, comprendre et aimer. «Le beau est plus dans l’âme, qu’il ne s’établit dans les règles », écrivait George Sand dans Histoire de ma vie, et pour Emile Zola, une chose est belle «parce qu’elle est vivante, parce qu’elle est humaine », hors de toute dimension physique ou métaphysique.

 Le Beau intérieur procède d’une nécessité profonde et ressentie comme absolue. La nature, la vie, la vérité, l’amour suscitent la satisfaction de l’âme, quand on contemple un bel objet avec la sensation aigüe d’une intense et consciente présence au monde… Sur scène, après un noir complet, surgissent furtivement dans la brume, Sophie Arama (soprano), Claude Brun (mezzo-soprano), Renaud Boutin (baryton) et Cyrille Laïk (basse. Ils n’émettent d’abord aucun son, et entourent le récitant (Thomas Bouvet). Apparition fantomatique, ces voix chantées se conjuguent ensuite à la parole, au silence des intervalles, à la brume et aux lumières diffractées.

Résonnent les anaphores chères à Maurice Maeterlinck, claires et entêtantes: «Rien au monde, rien au monde…», dans les nappes de vapeur blanche surgissant des ténèbres et diffusant une lumière pâle sur une musique sourde et grondante. Lointains rappels des installations de Romeo Castellucci… Une expérience passionnante où le metteur en scène recrée la grande beauté du verbe de Maurice Maeterlinck, entre voix célestes ou abyssales, et lumières énigmatiques.

Le public est fasciné, subjugué par cet être-là.

Véronique Hotte

T2G Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National de Création contemporaine, jusqu’au 17 mars. T: 01 41 32 26 26

 

 

 

Dieu, la sexualité, la violence et moi, conférence spectacle sur le rire

 

Dieu, la sexualité, la violence et moi, conférence-spectacle sur le rire, (en cours d’élaboration) de Pierre Trapet

Ce maître du rire est toujours au travail… Qui suis-je, d’où viens-je, où vais-je ?, ces questions  reviennent depuis une trentaine d’années dans les recherches de Pierre Trapet. Avec  ses complices, Cédrick Lanoë, Clémence Fougea et Hugues Bacigalupo, il  se lance une dans l’évocation du passé : «73 ans, une fratrie de six enfants, jusqu’au Christ et à l’origine du monde (…) Entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, nous allons parler du rire  et des sources du comique». Puis,  il chante une berceuse Y a pas de comique en soi , avec une voix perchée nasillarde; puis il grimace, et devient prétentieux, très autoritaire!
Tout y passe: rap, opérette, opéra, et, comme s’il avait un petit coup dans le nez, il entonne une chanson à boire qu’il fait aussi décliner à ses partenaires. Très délicat de faire rire tout en parlant du rire! Mais il évoque même Dieu: « Ce que j’en sais, ce qu’on m’en a dit (… ) Dieu tient son existence de lui-même et non d’un autre, c’est bien simple, tout est compliqué, on ne peut pas vivre sans croire !».

Il parle sexualité, jalousie et évoque aussi son enfance. «L’amour, dit-il, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas!» Ce voyage dans ses souvenirs, allègrement décliné avec ses complices, se termine par des disputes de couple et des claques… Sa recherche en cours sur  les sources du rire se poursuit. Pierrot n’en a pas fini, et c’est un vrai bonheur! Merci, Pierre Trapet…

Edith Rappoport

Spectacle vu au Théâtre de Ménilmontant, 20 rue du Retrait, Paris XX ème le 24 février.

 

Idiot-Syncrasy et Paradise Lost

 

Idiot-Syncrasy  d’Igor Urzelai et Moreno Solinas et Paradise Lost de Ben Duke

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©Alicia Clarke- Zoé Mander

Une association atypique d’un duo et d’un solo; les deux premiers font sourire le public venu découvrir ces artistes qui chantent a capella des chansons du Pays Basque et de Sardaigne d’où ils sont originaires. Mais leurs belles voix vont laisser place à une danse de plus en plus rapide.
Tels des walabis, ils sautillent sans cesse sur le plateau et dans la salle, et se permettent même d’offrir en même temps un petit verre de liqueur à quelques spectateurs! A la fin, cette remarquable performance physique qui doit faire souffrir les tendons d’Achille, se transforme en une lente valse tendre. Mais une heure de sautillement… c’est un peu long et fastidieux.

Ben Duke lui, a reçu le prix de The Critics’ Circle National Dance Awards à Londres pour Paradise Lost, une illustration scénique du Paradis Perdu, le long poème épique de John Milton (1608-1674) qui évoque la création du monde, la tentation d’Adam et d’Eve par Satan, et leur expulsion du Jardin d’Eden. Ce danseur anglais un peu « fou » mêle, avec une belle autodérision, les personnages de la Genèse à des épisodes de sa propre vie. Avec une vraie présence sur scène, il danse et joue, tel un Philippe Caubère à ses débuts…

Bien accompagné par de belles création-lumière et bande-son (musique religieuse, Janis Joplin, etc.), Ben Duke est facilement Dieu, Lucifer, Jésus, Adam ou Eve, et sait donner une  tonalité poétique douce-amère, façon Buster Keaton, à cette performance délirante à laquelle le public adhère avec joie.
Le genre humain ne sort pas indemne de ces soixante-quinze minutes de création au sens réel du terme, mais, à la fin, tout semble pardonné, et c’est tant mieux…

Jean Couturier

Spectacle vu le 3 mars au Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses, 75018 Paris. T : 01 42 74 22 77.

theatredelaville-paris.com

La Mouette d’après La Mouette d’Anton Tchekhov

Clément Camar-Mercier

Clément Camar-Mercier

 

La Mouette d’après La Mouette d’Anton Tchekhov, mise en scène de Thibault Perrenoud

 

Anton Tchekhov critique le théâtre commercial de son temps qui,  traditionnellement, loin de rendre hommage aux auteurs, acteurs et public, se moque un peu d’eux. Aussi est-il souvent question de l’art de la scène dans les œuvres du dramaturge russe, un fil infini et radieux du théâtre dans le théâtre, solide à l’extrême. Anton Tchekhov n’aimait pas non plus les « décadents »; La Mouette (1896) se lit comme une satire contre le langage grandiloquent et abstrait de la nouvelle école, et évoque les disputes sur les tendances d’un petit monde fermé, cruel et suffisant.

Dans la mise en scène de Thibault Perrenoud, le poète Constant Treplev (Mathieu Boisliveau) s’associe à cet esprit novateur en s’insurgeant contre les académismes à la mode ;  à un moment savoureux, on voit Nina, apprentie comédienne, incarner l’idéal artistique rêvé. De la terre déversée sur le plateau, des sacs de jardinage jetés et vidés en vrac, et l’actrice en herbe, vêtue d’une peau d’ours, se roule dans la terre fraîche en proférant. Chloé Chevalier joue de sa belle énergie, d’une volonté et d’une joie d’être.

D’une façon générale, Anton Tchekhov recherche les «formes nouvelles » et, voulant «décrire la vie telle qu’elle est », rend compte à petit feu de sa banalité, selon une esthétique nouvelle. L’homme de théâtre reprend à son compte les paroles de l’écrivain Trigorine (Marc Arnaud), amant d’Arkadina (Aurore Paris), la mère de Constant-et amant prochain de Nina qu’aime d’un amour sans retour le jeune homme : «Jour et nuit, je suis poursuivi par la même idée obsédante, je dois écrire, je dois écrire, je le dois…»
Mais Anton Tchekhov fait résonner en même temps la parole de Constant, le fils d’Arkadina, actrice capricieuse et choyée qui ne rêve que de théâtre en vogue. Dans la pièce, le jeune poète amoureux de Nina ne s’intéresse pas tant à la forme mais plutôt à l’existence de l’âme.

 Le dramaturge Anton Tchekhov/Constant s’insurge contre l’idée d’un héroïsme, producteur d’effets scéniques : «Pourtant, dans la vie, ce n’est pas à tout bout de champ qu’on se tire une balle, qu’on se pend, qu’on déclare sa flamme, et ce n’est pas à jet continu qu’on énonce des pensées profondes. Non ! Le plus souvent, on mange, on boit, on flirte, on dit des sottises. C’est ça qu’on doit voir sur la scène… »

Il faut laisser la vie telle qu’elle est, et les gens tels qu’ils sont, vrais et non exagérés, des êtres éclairés qui éprouvent plus ou moins toutes les sensations et émotions. Thibault Perrenoud prend au pied de la lettre la banalité quotidienne de la vie, une dimension privilégiée qu’il déploie à l’excès, faisant de cette Mouette, un spectacle flirtant avec le café-théâtre et les clins d’œil au public. Sur une scène quadri-frontale et de plain-pied, comme pour être dans le vif du sujet, et les comédiens agiles de Kobal’t surgissent des quatre coins.

 Scènes d’été en maillot de bain et lunettes de soleil ; plancha pour l’instituteur qui fait griller poivrons et autres petits légumes ; bouteille de rosé pour Macha (Caroline Gonin), l’amoureuse éconduite du poète ; bottes de pêche pour l’écrivain (Marc Arnaud), tandis que le médecin Dorn (Eric Jakobiak) joue les sages et le vieux Sorine (Pierre-Stefan Montagnier), les fieffés impénitents. Tout ce petit monde se laisse un peu vivre, à fleur de peau, toujours sur le qui-vive, et au présent : l’une retient dans les cris d’une scène pathétique son amant volage, l’autre regrette bruyamment sa jeunesse perdue qu’il aurait voulu vivre à plein régime, et le troisième pleure à chaudes larmes, avant de se donner la mort…

Que de nervosité, comme il est dit dans La Mouette, mais ici l’électricité devrait laisser passer un peu plus ce courant poétique qui fait entendre «ce qui coule de l’âme».

Véronique Hotte

Théâtre de la Bastille, rue de la Roquette, Paris XIème, jusqu’au 11 mars, et du 13 au 25 mars puis du 27 mars au 1er avril. T : 01 43 57 42 14.

 

 

 

Éléphants d’après Le discours sur la servitude volontaire

 

flyer_elephants_WEBÉléphants d’après Le discours sur la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie, traduction et mise en scène de Ludovic Pouzerate

De Ludovic Pouzerate, on se souvient de Brûle, un spectacle plutôt décoiffant qu’il avait créé avec son groupe Krivitch… Ce membre du collectif 12 de Mantes-la-Jolie a conçu son huitième spectacle avec un étrange musicien couché sur ses instruments.
Il profère les paroles décapantes d’Étienne de la Boétie qui ont parfois été mises en scène, comme François Clavier avec ses élèves du conservatoire Maurice Ravel du 13e arrondissement, dont le texte nous parvenait mieux…

Vers 1548, Étienne de La Boétie,  étudiant en droit de dix-huit ans, écrit ce texte qui nous semble encore d’une belle actualité et qui traduit  un certain désarroi de l’élite devant l’absolutisme. Il remet en cause la légitimité des gouvernants. Plus que la peur de la sanction, c’est d’abord l’habitude qu’a le peuple, de la servitude qui peut expliquer la domination. Le secret étant de faire participer les dominés à cette domination.

Dans ce texte majeur de la philosophie politique, l’écrivain oppose l’équilibre de la terreur qui s’instaure entre bandits, égaux par leur puissance,  à l’amitié qui, seule, permet de vivre libre.« Rien n’est pire malheur que d’avoir plusieurs maîtres, voilà ce que déclara Ulysse (…) En vérité, il n’est pire malheur que d’être assujetti à plusieurs maîtres, comment nommer ce désastre, cette perversion ? (…) Quand cent mille ou un million se laissent gouverner par un seul, quel désastre ! (…) La question n’est pas de reprendre le pouvoir, c’est de ne pas lui donner, la liberté, il me semble que les hommes et les femmes ne la désirent pas ! »
Le musicien se déchaîne sur sa batterie, envoie des sons étranges, pendant que Ludovic Pouzerate hurle dans le micro, mais on perd ses paroles! Puis il va se mettre aussi à la batterie, puis s’installer derrière les spectateurs : «C’est une habitude des hommes et des femmes de servir volontairement (…) Heureusement le temps ne donne jamais raison à l’injustice ! »

Nous parvenons quand même à déguster ce très beau texte… bramé dans un étrange désordre musical…

Edith Rappoport

La Loge,  77 rue de Charonne 75011 Paris. T: 01 40 09 70 40,  jusqu’au 10 mars.

 

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Michael Kohlhaas, l’homme révolté

 

Michael Kohlhaas, l’homme révolté d’Henrich von Kleist, adaptation de Marco Bellani et Remo Rostagno, traduction d’Olivier Favier

Kohlhaas 4Le remarquable écrivain allemand né en 1777, qui s’est suicidé  trente quatre ans plus tard, n’a été connu en France que tardivement. Mais surtout après que Jean Vilar ait monté Le Prince de Hombourg. Depuis Eric Rohmer mit en scène La Petite Catherine de Heilbronn qui avait déjà été adaptée par Jean Anouilh mais en fit aussi un téléfilm, et on joua aussi un peu  partout La Cruche cassée, et Penthésilée. Le fameux texte théorique, Essai sur les théâtre de marionnettes fait maintenant partie des classiques dans toutes les écoles de théâtre.  Et  le même Eric Rohmer adapta une nouvelle comme La Marquise d’O.  Mais aussi des cinéastes s’intéressèrent aussi à l’œuvre d’Henrich von Kleist comme Volker Schlöndorff ou Marco Bellochio qui fit une adaptation de Mickael Kohlhaas, mais bien après qu’une version théâtrale en ait été jouée en France dès les années 80…

Henrich von Kleist  y raconte  la tragédie d’un marchand de chevaux aisé qui doit conduire à pied une centaine de chevaux avec un serviteur pour les vendre à la foire de Dresde. Mais un noble châtelain va exiger un laisser-passer sur sa route, et retiendra en gage le serviteur et deux superbes bêtes auxquelles le marchand  tenait beaucoup. Quand il reviendra de la foire trois semaines plus tard, il retrouvera son serviteur très malade et les deux chevaux maigres, épuisés et blessés par des journées de labour. Il portera plainte mais  le noble est puissant et influent et  il n’obtiendra donc rien. Lisette, la femme de Michel Kolhlhaas, venue présenter une requête à l’Empereur se blessera mortellement en tombant.

Bref, dans une situation sans issue, Michael Kohlhaas, honnête marchand et père de famille, révolté et de plus en plus obsédé par la grave injustice dont il est l’objet, même si on lui répète qu’il ne s’agit après tout que de deux chevaux, va se transformer en terrible criminel. Avec une bande de serviteurs armés, puis ensuite aussi de volontaires, il va rechercher en vain ce châtelain qui s’est enfui successivement dans plusieurs villes pour lui échapper. Michel Kohlhaas incendie les maisons de tous ceux qu’il soupçonne d’avoir protégé la fuite du noble, et les fait tuer sans aucun état d’âme…  «  En un mot, le monde aurait béni sa mémoire, dit Henrich von Kleist, sans les circonstances qui l’amenèrent à pousser à l’excès, une seule vertu, le sentiment de la justice, et en firent un brigand et un meurtrier. »

L’empereur de Prusse voyant que la révolte personnelle de cet homme furieux d’avoir été bafoué devient dangereuse, le fera pendre au motif que son attitude exigeante risque de mettre en cause son pouvoir impérial, et celui de son armée… donc la bonne marche et l’identité du pays tout entier. Ou comment le vol de deux chevaux qui aurait pu n’être qu’un simple fait divers, va, à cause d’un très mauvais fonctionnement de la justice, finalement enflammer un pays tout entier quand un groupe social s’estime avec raison, et sur des preuves réelles être la proie d’un mépris évident par le pouvoir en place. Cela rappelle, bien entendu, les récentes violences policières en France…

Gilbert Ponté, seul en scène, raconte cette tragédie sur le modèle italien du théâtre-narration et, à le voir, on pense tout de suite au grand maître Dario Fo dont il a un peu l’allure physique. Voix chaleureuse et diction impeccable, Gilbert Ponté est un conteur né, et raconte cette histoire comme s’il l’inventait, au fur et à mesure que progresse le récit. On VOIT vraiment les scènes qui se succèdent dans les différents lieux : la route,  le tribunal, le château puis les villes attaquées. Mais l’acteur qui est ans doute aussi son propre metteur en scène, ce qui n’est jamais l’idéal, maîtrise moins bien sa gestuelle qui, déjà trop souvent pléonastique et répétitive, est trop invasive, puisque on se trouve à peine à quelques mètres de lui !

Et il suffisait de fermer les yeux un moment, comme si on l’écoutait à la radio, pour que cette aventure prenne tout à coup une autre dimension, et que l’on sente tout le souffle épique de cette histoire que le conteur réussit sans peine à transmettre.
Mais cette cave aux beaux murs de pierre taillée blanche, trop petite et peu pratique avec ses deux gros piliers, convient mal à ce type de théâtre-récit et de toute façon, à tout spectacle de théâtre. On souhaite à Gilbert Ponté de trouver un plateau parisien plus grand et donc mieux adapté… Il le mérite amplement.

Philippe du Vignal

Théâtre Essaïon, 6 Rue Pierre au Lard, 75004 Paris. T : 01 42 78 46 42, les seuls lundi et mardi à 19h45, jusqu’au 27 juin.

 

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Ma Solange, comment t’écrire mon Désastre, Alex Roux

Ma Solange, comment t’écrire mon désastre, Alex Roux de Noëlle Renaude, mise en scène de François Gremaud

Ma Solange, comment t’écrire mon désastre, Alex Roux -de Noëlle Renaude -THEATRE OUVERT -

photo Christophe Reynaud De Lage

Aventure littéraire et défi théâtral, menés par l’auteure avec l’acteur Christophe Brault, ce feuilleton écrit de 1994 à 1997, et joué au fur et à mesure de sa rédaction, en livraisons de quarante-cinq minutes, interrompues arbitrairement par la sonnerie d’un réveil, apparaissait alors comme un objet expérimental dans le paysage. Aujourd’hui, quatre comédiennes donnent corps à ces voix multiples; assises à une table avec quelques accessoires sonores (clochettes, klaxon, boîtes à musique, magnétophone et vieux tourne-disques), elles lisent-jouent l’intégrale de l’œuvre en dix-huit épisodes, d’une heure chacun. Non pas des personnages (elles n’ont pas le temps d’en composer) mais des êtres prennent ici soudain la parole pour dire leurs petits et grand désastres.

François Gremaud a découvert ce texte à l’INSAS de Bruxelles, quand son professeur, Jean-Marie Piemme proposa aux élèves, comme exercice d’acteurs, de s’emparer d’une page par jour. Quelques années plus tard, ce metteur en scène suisse passe à l’acte, à la demande d’Heidi Kipfer, à l’origine de ce quatuor de femmes qu’elle forme avec Valérie Liengme, Stefania Pinnelli, Anne-Marie Yerly.

Saisis au vol, ces fragments foisonnants et protéiformes nous transmettent les bruits des gens, avec leurs accents et leurs défauts de langue: zozotements, bégaiements, hésitations, etc. Les interventions sont réglées avec minutie, interprétées comme une partition musicale. S’y mêlent des chansonnettes et, à plusieurs reprises, des cantates de Jean-Sébastien Bach, entonnées en chœur, comme autant de respirations dans un cet amoncellement de vivants et morts, où personnages, récurrents et sporadiques, cohabitent. A une longue plainte d’épouse insatisfaite, succède ainsi la demande d’un voisin en manque de tire-bouchon, puis c’est l’interminable liste de décès —parents, voisins et animaux confondus— que débite, par intermittence, une actrice sur un hymne funèbre…

Le metteur en scène a su trouver les bonnes pistes pour nous guider à travers ce texte inépuisable et en faire un spectacle populaire et réjouissant. Il ne faut pas manquer Ma Solange, comment t’écrire mon Désastre, Alex Roux, même si on attrape seulement un ou deux épisodes de ce feuilleton en cours. Espérons qu’une tournée suivra. Et, bien sûr, on peut aussi le lire.

 Mireille Davidovici

Théâtre Ouvert, 4 Cité Véron, 75018 Paris T. 01 42 55 74 40, jusqu’au 18 mars. Le texte de Noëlle Renaude est publié aux Editions Théâtrales

* Michel Corvin in Noëlle Renaude, Atlas alphabétique d’un nouveau monde, Edtions Théâtrales

Politique documentaire théâtral, épisode 2017

 

Politique documentaire théâtral, épisode 2017, création collective, mise en scène de Florian Sitbon


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«Sommes-nous encore politiques? se demande Florian Sitbon, ce documentaire théâtral propose une plongée dans l’âme tourmentée du pays. un objet théâtral unique où éclatent les errements, les colères et les utopies d’un peuple qui hésite entre démission et insurrection.»

Ses comédiens et lui ont ainsi recueilli une centaine de précieux témoignages d’une liberté de parole totale : soit une matière brute sur l’utopie et le pragmatisme en politique, la représentation parlementaire, l’émigration et la crise économique… On entend ainsi Mike le musicien, Lisa, une  étudiante, Philippe, un pompier-sdf,  Jean-Claude, un entrepreneur, etc. tous très bien interprétées par Jean-Paul Bezzina, Valentine Catzéflis, Jean-Marc Coudert, Samantha Markowic, Elizabeth Mazev, (tout à fait remarquable) et Florian Sitbon.

Rien sur ce plateau peu profond qu’une table et des chaises. Cela commence par une habile projection d’images d’actualité avec les candidats actuels de l’élection présidentielle mais aussi de migrants sur des canots pneumatiques en méditerranée. Images qui s’inscriront de nouveau comme une piqûre de rappel encore deux fois sur le fond de scène noir.

Les personnages-ou plutôt ces silhouettes-font entendre avec les mots de tous les jours, la parole de gens qui nous ressemblent avec leur détresse personnelle, ou leur générosité et leur interrogation quant à l’aide qu’ils peuvent apporter aux milliers de migrants qui vivent sur le trottoir dans des conditions insalubres en plein Paris. Ou encore  sur leur vie à Paris parfois d’une très grande pauvreté  ou qui n’a, selon eux, plus grand sens : «Il y a pas de vie familiale. la télé à détruit en soixante ans toute la vie sociale. je veux dire il y a soixante ans il y avait les petits pépés assis à 6 heures du soir qui jouaient aux dames. euh t’avais les enfants qui jouaient dans la rue. maintenant tout le monde regarde la télé. ils regardent la télé quand ils bouffent, jusqu’à ce qu’ils s’endorment. ils mettent les nouvelles quand ils se réveillent et partent en courant à l’école. enfin à l’école ou au boulot. (…) il y a pas donc pour avoir des idéologies il faut d’abord penser, or tout est programmé pour plus avoir le temps de penser. »

Et ce type de collage scénique fonctionne ? Pas toujours… mais aux meilleurs moments, Florian Sitbon, par ailleurs conseiller d’arrondissement dans le XVème et candidat à la députation, arrive, comme il dit, à «faire théâtre» de cette matière brute, selon l’expression d’Antoine Vitez, et ces personnages semblent même parfois se répondre dans un dialogue habile qui balance entre l’incarnation et la simple citation. Il y a juste et c’est assez bien vu, le titre du chapitre, leur prénom, l’initiale de leur nom et leur profession qui s’affiche discrètement sur le mur noir.

 Le tout est forcément inégal-cela traîne parfois en longueur-et, si on sourit parfois, il y a aussi des moments un peu ennuyeux où le metteur en scène n’arrive pas à mettre en place un véritable discours théâtral. Et il y a, vers la fin, une subite panne de courant : les comédiens doivent donc alors se rassembler autour d’un tout petit feu!  Mais le régisseur, muni de sa grosse boîte à outils, arrivera à réparer la panne ! Ah ! Ah! Ah! Florian Sitbon aurait pu nous épargner ce genre de ficelles qui ressemblent à des cordes !

En fait, manque sans doute ici la puissance de tir à la fois cynique et souvent du plus haut comique qu’Hervé de Lafond et Jacques Livchine ont réussi à insuffler chaque mois depuis plusieurs années à leur «kapouchnik», un cabaret socio-poético-politique avec un dizaine de complices, devant un public aussi fidèle que populaire à Audincourt, près de Montbéliard.

Mais que cela ne vous empêche pas d’y aller voir; après tout, pour une fois, que le théâtre contemporain est proche de l’actualité! C’est au métro Lamarck-Caulaincourt mais vous êtes prévenu: il vous  faudra monter les quelque cinq étages des fameux escaliers de Montmartre …

Philippe du Vignal

Ciné XIII Théâtre 1 avenue Junot Paris 18ème, jusqu’au 30 avril.

 

 

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Adieu, Jean Louis Jacopin

 

Adieu, Jean Louis Jacopin

 

14920_1« La voix est cette partie de soi qui, point de non-retour, marque dans sa mue, la perte de l’enfance. L’entendre, la comprendre, l’écouter, la travailler, lui donner corps, lui reconnaître son corps, dans l’intimité ou sur les scènes, c’est tenter de garder du corps sous les artifices », écrivait Jean-Louis Jacopin dans Voix d’acteurs in Médiation et Information n°9, en 1998. Il y abordait la voix au théâtre, à l’opéra, à la radio et au cinéma, tissant des liens entre des pratiques qu’il connaissait bien. Il était alors enseignant à l’Atelier-Théâtre du Rond-Point.

Sa voix, claire et sensible, on a pu aussi l’entendre sur France-Culture, interprétant des textes de philosophie ou de théâtre  Nombre de ses élèves, se souviendront longtemps de son enseignement  à L’ENSATT, à l’Hippodrome de Douai, et dernièrement au conservatoire régional de musique de Douai. Il sut transmettre son art et apprit à ses élèves à déchiffrer les textes le plus difficiles, comme il le faisait lui-même si bien. Il les initia aussi aux écritures d’auteurs contemporains dont il se fit souvent l’interprète et le metteur en scène, celles de Lars Noren, Sergi Belbel, Roland Topor, Danièle Sallenave, Jacques-Pierre Amette…
Mais aussi à celles Carlo Goldoni, William Shakespeare, Bertolt Brecht…

Depuis 1972, à sa sortie de l’école du Théâtre National de Strasbourg, Jean-Louis Jacopin né en 1946, fut acteur dans une quarantaine de spectacle chez Philippe Adrien, Jean-Pierre Vincent, Roger Planchon, Alain Françon, Richard Demarcy, René Loyon… Puis metteur en scène d’opéras comme  le Don Quichotte de Francesco Conti, Opéra-Bouffe d’Offenbach ou encore Sauvé des os, spectacle musical  d’Erik Satie.

Parti? Pas vraiment. On peut le retrouver sous les traits d’Urbano, son double poétique qui s’exprime au fil des jours, avec  366 mini-histoires (l’année 2013 était bi-sextile): «J’ai beaucoup marché dans les rues de Paris. Je partais chaque jour, pour voir ce qu’à force d’habitude, on ne voit plus. Je n’avais aucune idée préconçue, sinon que, le soir, j’aurais fait un dessin accompagné d’un court texte, une réflexion rapide sur ce qui se serait imprimé en moi. » Ainsi, il continuera à nous accompagner de par les rues, captant les instants fugaces, des scènes banales, les petites joies et les grandes peines…

Un hommage vibrant lui a été rendu ce 6 mars au cimetière du Père Lachaise, par ses amis et les artistes qui l’ont côtoyé.

Mireille Davidovici

 Urbano, almanach poétique, est publié aux éditions Mauconduit

 

 

 

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