Vigilante (Justiciers), texte et mise en scène de Jonathan Christenson
Vigilante (Justiciers), texte et mise en scène de Jonathan Christenson
Le massacre des Donnelly, une famille d’immigrants irlandais arrivée en Ontario au XIXe siècle fut chez nous un des crimes les plus sanglants. Les Donnelly souhaitaient fuir la violence et la haine entre protestants (les Whiteboys) et catholiques (les Blackfeet) qui avait empoisonné leur vie en Irlande, mais cette rivalité avait continué à effrayer toute leur communauté au Canada, mais les autorités n’ont jamais découvert les motivations du massacre…
Ce qui a envenimé les rumeurs concernant la soi-disant sauvagerie des Donnelly, ces fils justiciers, qui ne pensaient qu’à se venger de ceux qui avaient entretenu la rivalité haineuse entre les deux religions. Cet esprit de vengeance a aussi alimenté des œuvres de fiction écrites autour de la vie de ces jeunes monstres qui n’ont jamais été déclarés coupables de quoi que ce soit mais qui, grâce à l’imagination féconde de Jonathan Christenson, directeur du Catalyst Theatre, ont enfin trouvé l’occasion de se justifier.
Vigilante n’a rien d’un récit historique mais d’une histoire ambiguë: une sorte de légende où ici les fils Donnelly, transformés en zombies vengeresses très masculines, vêtues et maquillées en jeunes fantômes punks, sont des plus effrayants, quand ils arrivent sur scène. Plus grands que nature, plus puissants que des super-héros, ils recréent le monde à leur image, pour calmer leur soif de vengeance… et nous offrir un spectacle très original.
Johathan Christenson, auteur, metteur et scène, compositeur et scénographe, n’a jamais prétendu rétablir la vérité des faits. Et ce grandiose opéra/concert rock punk-baroque propose des réponses fantaisistes à des questions épineuses… Sur une scène dépouillée, bordée de grosses poutres qui délimitent les ruines d’une maison à moitié détruite, un chœur de huit comédiens éclairés par des spots, émerge de nuages de fumée, possédé par une musique puissante qui électrise la peau des spectateurs, et fait trembler la salle!
Cinq musiciens sur scène font résonner les percussions, crier les guitares et siffler la flûte, instruments qui évoquent à la fois la colère et la douceur lyrique de la tradition irlandaise quand les acteurs/chanteurs évoquent des moments de tendresse entre les jeunes époux…Une paix vite remise en cause, avec l’apparition d’anciens whiteboys qui se sont installés en Amérique, et devenus des propriétaires qui refusent de vendre des terrains à la famille Donnelly.
Chansons agressives, chorégraphie énergique, gestualité masculine évoquent les harcellements, les blagues ambigües et bagarres d’une rare violence qui ont lieu, chaque fois qu’ils se rencontrent. Des provocations presque dansées, lancées à la tête de l’ennemi, stimulent la confrontation. Et les jeunes Donnelly, au corps trapu et musclé, encouragés par leur mère qui ne cesse de leur répéter qu’ils doivent défendre leur famille, sont chauffés à blanc par la rage, quand leur père est condamné à mort par un tribunal local, pour ce qui était un «accident».
Les voix deviennent alors hurlements et sifflements, dans une confusion de tonalités qui les transforment presque en instruments de musique aux sonorités effrayantes. Désormais, la famille se livre à des actes de vengeance, et devient le signe même du mal dans le monde, mal qu’il faut éradiquer. Quelle tristesse! Ce n’est pas ce qu’ils auraient voulu… mais ils étaient incapables de maîtriser leur rage!
La musique évoque leurs grondements de colère et la tension insupportable, quand des blessés s’écroulent et que la mère, puissante voix de la famille, encourage les fils à se venger. Ils mettent alors le feu chez ceux qu’ils estiment coupables, et une violence meurtrière englobe alors le monde, évoquée d’une manière hyper-stylisée et poétique, grâce aussi aux lumières et aux sonorités vocales et instrumentales. Un grand feu vient tous les incinérer, acte purificateur d’un monde infernal qui ouvre la porte au retour de ces zombies pour qu’ils puissent le transformer en opéra épique!
Un merveilleux et impeccable travail d’ensemble aux accents irlandais, un spectacle fascinant qui tombe bien, à un moment où guerre et terrorisme sont devenus les expressions courantes de la rage et de la haine auxquelles nous devons faire face !
Cet opéra teinté de violence est aussi une formidable thérapie qui mérite notre attention à tous!
Alvina Ruprecht
Centre National des Arts, à Ottawa, jusqu’au 18 avril. Ensuite, tournée à travers le Canada.