L’amour la gueule ouverte, hypothèses sur Maurice Pialat

 

L’amour la gueule ouverte, (hypothèses sur Maurice Pialat) d’Alban Lefranc, mise en scène d’Olivier Martinaud

9782330047122_1_75-224x300 La Scène Thélème à Paris possède une salle de restaurant et une autre de spectacle…Occasion pour un public parfois peu familiarisé avec le théâtre, de venir le découvrir. En octobre dernier,  Olivier Martinaud, avec Laurent Sauvage, inaugurait cet espace, dans une mise en scène-lecture réussie de Mes Prix Littéraires de Thomas Bernhard, voir (Le Théâtre du Blog).
Nous le retrouvons dans un autre registre, avec ce texte, « créé, dit-il,  pour qu’à partir d’un film, d’une photographie, d’une œuvre d’art, d’une musique ou d’un lieu»,  un écrivain produise un texte « qui témoigne de cette rencontre (…) en résonance avec leur travail ».

Hypothèses sur Maurice Pialat, sous-titre du livre, exprime bien la teneur d’une écriture où, dit le texte : «tel un sculpteur, Alban Lefranc travaille la matière de l’œuvre et de l’homme pour faire surgir une vérité aussi rude et juste que son modèle ».  Seul, debout, Olivier Martinaud, s’empare de cet essai, dans un étrange dialogue, proche d’un  face-à-face avec un Maurice Pialat qu’il vouvoie : « Si vous aviez pu parler à dix ans, si vous aviez osé, vous auriez dit ceci à votre armée de camarades invisibles : vous voyez bien qu’ici est tout à fait insuffisant. Vous savez bien (ne faites pas semblant) que nous ne sommes pas au monde, ou pas assez, ou trop seul à y être, ou trop rarement. »

Sur la petite scène, Olivier Martinaud, très présent, dans un costume sobre et décontracté, nous impressionne. Avec sa voix, son regard et son corps, l’acteur construit un univers sensible et singulier, où l’écrivain, et le cinéaste et peintre Maurice Pialat, vont, avec une angoisse existentielle et des passions partagées, se retrouver. Non sans brutalité! Une émotion de plus en plus profonde envahit le public, surpris et fasciné par ce qu’il voit et entend, au fil des mots: «Il faut tomber amoureux sans cesse, c’est le seul moyen. Non pas baiser mais tomber amoureux, raide amoureux à cracher son dernier sang. Dès que vous arrêtez, vous mourrez.» Maurice Pialat, insaisissable et indépendant, avait pris ses distances avec nos illustres écrivains comme, entre autres, Gustave Flaubert qui   »méprise ses personnages. »  Et il avait aussi remarqué qu’il n’y avait aucune naissance dans toute A La Recherche du temps perdu de Marcel Proust!

« Il y a votre esprit de sérieux. L’art n’est plus une plaisanterie : il y a de la vie et il y va de bien plus » insiste avec raison, Alban Lefranc. La difficulté de cette lecture singulière? Transmettre à voix haute, et dans une langue littéraire, qui ne manque pas de théâtralité,  le portrait d’un cinéaste doué, à la vive sensibilité : «On vous a vu poser à l’artiste maudit, brûler vos toiles, pour épater vos femmes ». Et réputé pour ses coups de gueule : «Vous abandonnez le tournage, trois, cinq, six jours. On vous cherche dans les rues de la ville, (…). On sait que vous ne vous prenez pas pour n’importe qui, on vous a vu déterrer le cadavre de votre mère, vous vous empoignez avec Jean Yanne ».

Alban Lefranc avec une grande finesse d’écriture et Olivier Martinaud dans sa belle interprétation, ont su rendre  charnelle et violente, la dimension poétique et politique du texte :«C’est une imposture, cette histoire des cinéastes français qui braillent et qui disent : on ne peut pas faire de cinéma social en France, mais, quand est-ce qu’ils ont essayé ? »

Puis nous passons, avec grâce et intelligence, à la projection de L’Amour existe, premier film de Maurice Pialat (1960), documentaire de dix-neuf minutes sur les banlieues, récompensé par le prix Louis Delluc, et à la Mostra de Venise, A l’époque, le film est déjà perçu  comme un «objet cinématographique non identifiable!» et aussi comme «engagé, inventif et personnel (…) », une véritable ode au changement, à la joie, litanie sentimentale contre la morosité des villes nouvelles bétonnées. »

 Cette « anti-biographie » et le film qui la clôture posent des questions d’une réelle actualité, et sont d’une étonnante poésie Nous allons ici à la rencontre d’un artiste libre et révolté, disparu en 2003, avec un spectacle politique qui réveille l’esprit et nécessaire en ces temps de grande confusion, et où l’émotion est au rendez-vous…

 Elisabeth Naud

La Scène Thélème,17 rue Troyon, Paris XVIIème. T: 01 77 37 60 99, jusqu’au 8 avril..

Le texte est édité aux éditions Helium, Actes Sud, collection Constellation.

 

 

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