Séquence danse Paris 2017 : cinquième édition
Séquence danse Paris 2017 : cinquième édition
Le Centquatre programme chaque année un mois de danse mêlant chorégraphes confirmés et jeunes talents, et invite le public à partager des moments conviviaux avec les artistes pour un bal ou des conférences. Lorgnant vers le hip hop (Amala Dialor) comme vers une danse contemporaine plus classique (Anne Teresa De Keersmaeker, Sylvain Groud), le festival s’ouvre aussi à des duos danseur/acteur, avec Jacques Gamblin, ou Bérénice Bejo. Grâce à ses nombreux espaces, le Cent-Quatre offre plusieurs spectacles par soirée, échantillons d’une programmation kaléidoscopique. Et il s’exporte aussi sur la péniche La Pop, ou au Théâtre Louis-Aragon, à Tremblay-en-France.
Trois Sacres de Bérénice Béjo et Sylvain Groud
Sylvain Groud danse en solitaire, quand soudain, apparaît une femme, attirée vers lui, dit-elle, comme un aimant. Prise de vertige, submergée de désir, presque contre son gré, quand retentissent les premiers accords du Sacre du printemps. La vitalité de la musique fera le reste.
Pour construire sa pièce, qui recompose en triptyque entrecoupé de silences la partition d’Igor Stravinsky, Sylvain Groud s’est inspiré de trois textes, dont Bérénice Béjo nous livre des bribes. D’abord Maudite Attraction (dans L’eau à la bouche), d’Anne Bert évoque une attraction incontrôlée vers un homme qu’elle déteste mais qu’elle désire. Puis une nouvelle de Françoise Simpère, tirée de Des Désirs et des hommes. Enfin, pour le troisième mouvement, quand, après bien des chassés croisés, les corps fusionnent, on entend des mots pris dans La Divine Primitive d’Olivier et Christine Walter, une correspondance poétique célébrant l’osmose entre féminin et masculin.
Texte et danse ne font pas toujours bon ménage mais ici, ces quelques phrases, distillées à bon escient, donnent à chaque partie de la pièce, une couleur différente et n’empêchent pas les corps de se déployer, d’autant plus que la comédienne s’avère très à l’aise dans cette chorégraphie. Loin d’un scénario anecdotique où le descriptif prendrait le pas, on demeure au plus près des gestes et des mouvements qui évoquent l’attraction/répulsion du masculin et du féminin, puis la fusion finale : « Je ne sais plus, dit-elle, qui, de nous deux, respire » . Un bel exercice où la littérature se met modestement au service de la danse
Le Centquatre, jusqu’au 9 avril, rue Curial Paris XIXème.
Le Volcan, au Havre, les 25 et 26 avril ; Le Rive Gauche, Saint-Etienne-du-Rouvray (76) le 27 avril.
A Love Supreme chorégraphie de Salva Sanchis et Anne Teresa De Keersmaeker
Cette pièce inoubliable, créée en 2005 par les deux chorégraphes, sur une musique de John Coltrane, n’a rien perdu de son éclat. A l’origine, avec deux hommes et deux femmes, et ici composée pour quatre danseurs. Rallongée aussi d’un bon quart d’heure, avec un prologue où les interprètes explorent le plateau, comme des musiciens qui accorderaient leurs instruments. En effet ce quatuor représente ceux qui ont enregistré ce morceau en 1964 : aux côtés du compositeur au saxophone, McCoy Tyner à la basse, Jimmy Garrisson à la basse, et Elvin Jones à la batterie. Signe des temps, les interprètes, vêtus de noir, sont «issus de la diversité», comme on dit. On avait, à la création, reproché aux chorégraphes une distribution trop «blanche».
John Coltrane, émergeant de l’emprise de la drogue, retrouve ici la puissance et la spiritualité de la musique noire américaine avec cette composition, en forme de prière, dédiée au Suprême Amour, et révolutionnaire pour l’époque. Les quatre notes du premier thème correspondent aux quatre syllabes du titre (sol/si bémol/sol/do). Et le morceau, sur une mesure à quatre temps, compte quatre mouvements : Acknowledgement (Révélation), Resolution (Engagement), Pursuance (Fidélité), Psalm (Action de grâces). Soit une partition à la fois claire et complexe, sur laquelle chaque interprète peut improviser selon son propre style : rythme syncopé de la batterie, virtuosité sinueuse du piano…
Cette architecture sonore donne aussi toute liberté à la danse de se greffer sur elle et de faire corps avec elle, en mettant en valeur la structure de cet hymne exalté. Chaque danseur devient un instrument jouant, soit en solo, soit avec l’un ou l’autre de ses partenaires, ou encore en choeur. Quand son instrument se tait, il interrompt son mouvement pour regarder les autres, prêt à entrer à nouveau en action.
L’orchestration des corps est telle qu’on ne sait plus qui, de la danse ou de la musique, a préexisté à l’autre. L’une engendre l’autre et vice-versa, dans une réelle fusion. L’une explicite l’autre, et lui donne une clarté nouvelle. Par exemple, le danseur qui, dans le final, traduit les notes du saxophone en mouvements, nous permet de mieux percevoir comment John Coltrane, soutenu par ses trois camarades, paraphrase mot pour mot le psaume qu’il a écrit en marge de la partition: «All paths leads to God / Prayer entitled -A Love Supreme.» (Tous les chemins mènent vers Dieu/ Prière intitulée-Un Suprême amour.)
Malgré le prologue, un peu long, qui a été ajouté pour que la pièce dure au-delà des trente-trois minutes de l’enregistrement, A Love Supreme reste un grand moment de danse, quand, dans le silence qui la précède, la musique éclate et emplit l’espace.
Pièce programmée avec le Théâtre de la Ville, jusqu’au 8 avril.
Minnemeers Ghent (Belgique) du 5 au 8 avril ; Festival Fabbrica, à Florence, les 4 et 5 mai ; Théâtre Garonne, à Toulouse, du 10 au 13 mai. Le Parvis à Tarbes, le 16 mai.
Colours Dance Festival à Stuttgart, les 22 et 23 juillet et Bolzano Danza (Italie) le 26 juillet.
CHROMA don’t be frightened of turning the page , de et par Alessandro Sciarroni
Jambes nues, en caleçon et chaussettes colorées, le danseur arpente en diagonale un tapis de danse blanc, au milieu d’un dispositif quadri-frontal. Il restreint ses pas au fur et à mesure de ses va-et-vient, et finit par réduire son aire de jeu, de telle sorte qu’il doit ensuite tourner sur lui-même. Il observera ce mouvement giratoire jusqu’au terme du spectacle.
Dans cette rotation, il se livre à de multiples variations, accompagné par une musique répétitive, d’abord grêle, puis de plus en plus insistante. Dans cette montée sonore, ses mouvements de bras prennent de l’ampleur, son rythme s’intensifie, puis un jeu de lumières démultiplie, colore et transforme son ombre circulaire, projetée au sol.
Le spectateur, d’abord surpris, se laisse vite entraîner dans ce mouvement perpétuel fascinant. Les postures se succèdent avec une extrême précision : aucun temps mort, aucun répit pour le performeur comme pour le public.
Alessandro Sciarroni, artiste associé au Centquatre poursuit un projet de longue haleine, baptisé Turning (Tourner) : «Dans CHROMA, dit-il, je ne veux pas poser de signification spécifique sur l’action de la rotation, pour ne pas enfermer la pièce ni restreindre la perception du spectateur.» Il rejette aussi tout amalgame avec les derviches tourneurs. En effet, il part, dans cette pièce, à la recherche, au-delà du simple mouvement, d’un vertige plus sensoriel et matériel que spirituel.
Un objet insolite.
Au Cenquatre jusqu’au 9 avril.
Ascoli Piceno (Italie) le 13 mai ; Dro (Italie) le 29 juillet ; Bassano del Grappa (Italie) du 25 au 27 août.
Séquence danse au Centquatre, 5 rue Curial 75019. T. : 01 53 35 50 00,