Hommage à Sadegh Hedayat

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Hommage à Sadegh Hedayat

 

 

Une belle soirée, comme en propose sans relâche la Maison de la poésie : avec la découverte, ou la redécouverte, pour les Iraniens et les amoureux de la langue persane, d’un écrivain, d’un poète entre deux mondes, «parti de l’un sans arriver à l’autre». À l’inverse de Rabelais pour qui «Paris est une bonne ville pour vivre, mais non pour mourir », cet écrivain solitaire, emblème de la littérature iranienne moderne, a choisi lui, d’y mourir. Désespérante cohérence d’un homme dont l’un des premiers livres fut en effet L’Enterré vivant.

Et pourtant, dit-il, en quête de sa vérité: « Je n’écris que par ce besoin d’écrire qui me tient. J’ai besoin, de plus en plus besoin, de communiquer mes pensées à mon être imaginaire, à mon ombre ». Entre deux mondes, La Chouette aveugle nous emmène entre veille et sommeil, entre rêve et réalité. Et la réalité, quand on l’observe de très près et qu’on l’écoute, perd ses contours et l’illusion change de camp. Dans la littérature européenne, Sadegh Hedayat serait du côté de Gérard de Nerval et de l’enquête d’Aurélia, récit d’un délire au plus près du réel, ou de Franz Kafka et de sa Métamorphose.  Il avait une vraie passion pour l’écrivain tchèque qu’il a traduit en persan. Avec son visage d’aristocrate intellectuel, il lui ressemblait, et son visage comme le sien, avait gardé la géométrie de la jeunesse, ni l’un ni l’autre ne s’étant laissé le temps de vieillir…

Sorour Kasmaï est venue raconter cette courte vie, exigeante, romanesque, troublée et arrêtée par un suicide au gaz. Atiq Rahimi et Pedro Kadivar lui ont rendu leur hommage avec leur sourire d’écrivains, car l’écriture impitoyable du réel, y compris quand il dérape vers le sur-réel, prête nécessairement à sourire, ici ou là. Lisant leur propre œuvre ou parlant de lui, ils  donnent corps  comme jamais à Sadegh Hedayat.

Et Golshifteh Farahni, elle, lui a prêté sa voix. Ce n’est pas la star internationale qui se déplaça, mais une comédienne française comme une autre. Pas tout à fait comme une autre… Qui aurait eu cette parfaite simplicité, cette douceur et cette vaillance ? Qui aurait donné à cette lecture, une telle qualité d’émotion sans “effets » ? Elle a lu un extrait d’un texte en persan, la langue de son pays interdit : on n’est plus là dans l’art de l’actrice, mais dans la vérité d’une situation. Le respect va de soi, et vient d’elle, de sa sobriété. Hasard ou artifice, sur scène, l’éclairage lui faisait un visage cubiste : encore un hommage aux années parisiennes du poète mort en 1951, et à ses dessins…

Une œuvre à lire absolument. En pensant que Sadegh Hedayat a, malgré tout, un nom et une œuvre (il n’a pas réussi à la brûler entièrement!), alors que bien d’autre poètes, partout dans le monde, sont muselés…

Christine Friedel

Maison de la Poésie, passage Molière, Paris IIIème  75003 Paris. T : 01 44 54 53 00 L’œuvre de Sadegh Hedayat est publiée aux éditions José Corti.

 

 


Archive pour 10 avril, 2017

Bajazet, de Jean Racine, mise en scène d’Eric Ruf

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Bajazet, de Jean Racine, mise en scène d’Eric Ruf

L’une des pièces les moins jouées de Racine. Non sans raison: elle n’a pas la ligne forte d’un Britannicus ou d’une Andromaque, et Racine s’abuse sans doute en parlant de tragédie, quand il s’agit plutôt d’un drame. Aucun personnage n’évolue, il ne reste qu’à mourir ou à « persévérer dans leur être » à  ces intrigants qui sortent toujours leur épingle du jeu, sans parler de l’artifice d’une lettre perdue ou trouvée. La pièce a quand même dû avoir son heure de gloire,  et on y entend quelques vers passés dans le domaine public comme le fameux: «Nourri dans le sérail, j’en connais les détours» du prudent Acomat.

Faut-il de la terreur et de la pitié pour qu’il y ait tragédie ? Bajazet, homme objet de deux passions antagonistes, n’inspire pas la pitié : trop borné à un courage sans emploi, séquestré par son frère, le sultan qui craint en lui un rival, trop enfermé dans un amour de jeunesse dont il ne sait pas utiliser le potentiel de révolte. Comme Atalide, sa fiancée. Ils s’aiment par principe, c’est leur colonne vertébrale : prêts à mourir l’un pour l‘autre… Elle, révélant hors de sa présence toute sa frustration, lui, tout à sa « gloire », généreux tous les deux mais jusqu’à l’ennui.

Heureusement, ils se trouvent entre les mains d’une sultane qui introduit la terreur dans l’affaire. Esclave élevée au plus haut rang du pouvoir par l’amour du sultan qui guerroie au loin, elle fait sa proie de Bajazet, prisonnier du sérail, dévirilisé. C’est l’amour ou la mort : aime moi, ou je te tue. Et cela fait un drame, à défaut d’une tragédie : on sait que l’amour ne se commande pas.

Blaise Pascal le dit mieux : l’amour, et le pouvoir ou la domination, ne sont pas du même ordre, et vouloir imposer l’un par l’autre, devient le propre de la tyrannie. Avec cela, à la fin, inévitablement, tous meurent, à l’exception, on l’a vu, de ceux qui tirent les ficelles et « songent à eux ».

Reste Roxane, le rôle-maître, à défaut d’être le rôle-titre. Clotilde de Bayser en donne peu à peu les facettes : dissimulation de la calculatrice (jamais longtemps : c’est une faible femme…), dureté de l’orgueil, atermoiements de l’ancienne esclave finalement peu sûre d’elle, passion dévorante… En un mot, elle arrive à exprimer l’extraordinaire vulgarité d’un pouvoir sans opposition, et domine la distribution.   Mais son rôle est  mieux écrit.

Rebecca Morder, (Atalide), sorte de Junie tétanisée par la colère, Laurent Natrella (Bajazet) réduit au silence par cette double convoitise de femmes, ont une palette beaucoup plus étroite. Denis Podalydès, presque trop sobre pour une fois, fait, de ce vizir  qui voudrait bien être sultan à la place du sultan… le parfait politicien qui flotte sur tous les courants. En confident ou en faire-valoir, Alain Lenglet peine à dépasser la convention ; les suivantes  habillées de  gracieuses robes ont plus de chance, avec  un moment dramatique à jouer (Anna Cervinka et Cécile Bouillot).

Eric Ruf a placé toute l’affaire dans ce qu’il appelle une «chambre sourde» du sérail. Cernée d’armoires  avec des arrière-plans troubles, et encombrée d’un étalage de chaussures  féminines, symbole de pouvoir et d’intimité. Cela fonctionne bien  mais, sur le plateau du Vieux-Colombier, les acteurs ont souvent l’air trop grands pour le décor.

On peut aller voir cette pièce secondaire de Racine, surtout pour Clotilde de Bayser et pour cette vision catastrophique de la passion possessive et destructrice, celle d’une pure fiancée, comme celle d’une sultane sans scrupules.

Christine Friedel

Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris VIème. T : 01 4439 87 00 jusqu’au 7 mai.

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