Trois précédé de Un et Deux
Trois précédé de Un et Deux, texte (en collaboration avec les interprètes), et mise en scène de Mani Soleymanlou
L’acteur et metteur en scène québécois reprend Un, monologue autobiographique créé en 2011, qu’il avait déjà joué en 2013 à Chaillot, et qu’il fait suivre ici de Deux, avec Emmanuel Schwarz et de Trois, avec quelques-uns de ses comédiens, des élèves d’une école de théâtre parisienne et Gustave Akakpo. Le spectacle a été créé au Festival TransAmériques 2014, et dure plus de quatre heures quand même (avec deux entractes) !
Iranien de Téhéran, Mani Soleymanlou a un peu vécu à Paris, Toronto et à Ottawa, puis s’est s’installé à Montréal. Le muti-culturalisme, il connaît:«J’ai fini mon primaire à l’École élémentaire Jeanne-Lajoie, sur la rue Lawrence, dans le quartier North York, pour poursuivre mes études à l’École secondaire Étienne-Brûlé, toujours à Toronto, dans le même quartier, sur la rue Yorkmills… Nous étions 350 élèves, 82 nations…(…) Dans ma classe, il y avait Sounia, une Marocaine québécoise; Talia, une Égyptienne-Gréco-Québécoise; Victor, un Péruvien; un voyageur de Toronto; Mathieu, un Acadien du Nouveau-Brunswick, et moi.
Il nous parle de son rapport à l’Iran que sa famille avait fui, quand le chah a dû partir. Il remonte jusqu’à son arrivée dans ce pays froid où il lui faut vite trouver des repères. « Je résume. L’Iran, on me l’a arraché. En France, j’étais Iranien. À Toronto, j’étais pendant quelque temps, un Français-Iranien ensuite Canadien that quickly became Canadian. À Ottawa, j’étais un Torontois-Français-Iranien. À Montréal, je suis un Torontois-Arabe-Iranien qui a vécu en France et à Ottawa…et aujourd’hui, on me dit : eille mon gars, t’es QUÉBÉCOIS !!!
Il parle aussi des ses amis iraniens et de leur dur combat en 2009, pour leurs libertés. Mais aussi de son identité maintenant québécoise, de son enfance en Iran, de sa culture persane… qu’il avoue connaître très mal et surtout par Internet , de sa langue, le pharsi. “Mon Iran qui n’est pas le mien mais le vôtre”. Bien sûr, on pense à cet autre exilé qu’est le libanais-franco-québécois Wouajdi Mouawad, devenu directeur du Théâtre de la Colline, dont il cite l’exemple.
Il évoque aussi et de façon impitoyable le roi du Maroc, mais aussi la vie de ses amies comme Rebecca, une jeune femme juive qui se consacre à sa religion et à ses trois enfants. Il se met aussi à danser sur Bambino, le fameux tube des années 50 chanté par Dalida. Debout ou assis, dans un très beau et simple dispositif: quarante neuf chaises de conférence, bien alignées en carré sur le grand plateau de la salle Jean Vilar, et servi par des lumières d’Erwan Bernard qui est pour beaucoup dans ce spectacle. Mani Soelymanlou maîtrise parfaitement ce monologue qu’il a joué deux cent fois! Et qui est donc très rodé.
On l’écoute souvent avec un grand plaisir, même s’il boule parfois son texte et s’il a tendance à criailler; il semble parfois se faire plaisir avec un texte qui n’est pas toujours à la hauteur. Après un entracte de vingt minutes, on le retrouve avec son complice Emmanuel Schartz qui se plaint: « T’as écrit dans le programme : «D’un père juif anglophone et d’une mère catholique francophone.» On est même pas pratiquants ! Personne s’identifie comme ça chez nous ! Qu’est-ce que tu veux que je te dise Mani ? Pis qu’est-ce qui arrive si je te parle pas de ça ? Qu’est-ce que je fais ici ? »
L’auteur et metteur en scène “confronte, dit-il, son identité québécoise à celle d’un Québécois “de souche”. Mais, ironique, son ami annonce vite la couleur: “Ben, je me disais, Mani… qu’on pourrait peut-être ouvrir un peu, ouvrir sur une autre thématique…T’as pas peur de te répéter un peu ? Les gens vont dire :« Oh, sa deuxième pièce parle encore de la même affaire. »
Et c’est en effet reparti pour un tour, sur le problème identitaire mais aussi sur la façon dont s’est construit le premier monologue. Les deux comédiens, très à l’aise, savent se servir d’un grand plateau. Et on les écoute avec attention, enfin… pendant une demi-heure! Le point faible: un texte trop vite écrit, souvent facile et peu convaincant, alors qu’on est déjà à plus de deux heures de spectacle! Cherchez l’erreur!
Après un nouvel entracte, nous avons droit à une troisième partie , trop longue, trop bavarde, mais parfois réussie sur le plan gestuel donc sans doute la plus efficace auprès du public , avec la collaboration des acteurs de la compagnie, et de jeunes apprentis-comédiens parisiens. Soit plus de trente personnes sur le plateau, avec baskets rouges ou vertes, toutes habillées de noir, sauf le remarquable auteur conteur et comédien togolais Gustave Akakpo, lui en vieux sage africain. Vêtu d’un boubou très coloré, il débite quelques proverbes du genre: “Si tu vois une tortue sur un manguier, c’est que quelqu’un l’ a posée là”. Une vraie merveille…
Il y a aussi une sorte de jeu des mille euros. Et de formidables morceaux de vie personnelle racontés par certains des participants… Ou encore une très belle scène où on voit la plupart des comédiens en train de suivre dans le noir sur leur téléphone portable le film d’un attentat qui vient de se produire. Les jeunes apprentis-comédiens, recrutés spécialement, ont travaillé pendant un mois avec Mani Soleymanlou et ils se tirent très bien de cet exercice périlleux dont la base a sans doute été un nombre important d’improvisations. Et malheureusement cela se voit. Pour le meilleur mais aussi pour le pas très bon du tout… Le texte, en effet, se prend trop au sérieux et on a la nette impression que ces quatre heures et quelque, même allégées par deux entractes, auraient pu être réduites de moitié, sans nuire à une certaine efficacité du propos. Cette quête personnelle sur l’exil s’écoute mais a quelque chose de lassant… et n’évite pas les redondances. Même si cela dépend beaucoup du public mais dans une grande salle comme celle de Chaillot, ce genre d’exercice suppose qu’elle soit bien remplie sinon on risque de courir au casse-pipes programmé
Mais cela dit, les grandes engueulades collectives, magnifiquement réglées par Mani Soleymanlou, où chacun braille, dans une confusion totale, ont quelque chose d’émouvant et de comique à la fois. Il y a dans cette dernière partie, un rythme remarquable et une façon bien à lui d’imposer un propos: quand il parle de la France multi-ethnique, il a une sincérité et une intelligence qui lui valent la sympathie, et de chaleureux applaudissements du public, très en phase avec le spectacle: Mani Soleymanlou sait manier le dérisoire à la perfection, surtout quand il met à jour les clichés sociétaux…
Et puis encore une fois, il y a la formidable présence de Gustave Akakpo. Et une scénographie simple efficace et qui fonctionne bien. Le point faible du spectacle restant, disons clairement les choses, une dramaturgie mal ficelée. Ce qui aurait pu être une petite merveille en deux heures et quelque, a quelque chose d’indigeste quand il dure le double. Dommage. Que cela ne vous empêche pas d’aller voir, conçu par nos cousins québécois, cet ovni théâtral, parfois proche d’un happening, mais vous êtes prévenu: l’éternité, c’est long, un peu sur la fin et plus que long, dans le seconde partie du spectacle.
Philippe du Vignal
Théâtre National de Chaillot, Place du Trocadéro, Paris XVIème du 18 au 22 avril. T: 01 53 65 30 00; représentations avec programmes détaillés en braille, en caractères agrandis, et en version audio, les 21 et 22 avril, à 19h.
Tarmac/Scène Internationale Francophone, Parc de la Villette, Paris XIXème, du 25 au 29 avril.
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