La Chose Commune d’Emmanuel Bex et David Lescot

crédit photo :Christophe Raynaud de Lage

crédit photo :Christophe Raynaud de Lage

La Chose Commune d’Emmanuel Bex et David Lescot, mise en scène de David Lescot

 Elle n’aura duré que le temps des cerises, du 18 mars au 28 mai 1871, la Commune,  mais visionnaire, elle a laissé bien des traces,  riche d’idées fécondes qu’il  faut  aujourd’hui  encore défendre : laïcité, justice, réorganisation du travail, libération de la femme, liberté d’expression pour les artistes…

Emmanuel Bex, compositeur et David Lescot, écrivain et metteur en scène, se sont immergés dans ce printemps politique et social; ils font revivre, en paroles et en musiques, cette épopée tragique : « C’est un concert, dit David Lescot,  mais un concert qui raconte, un concert où l’événement se déroule en temps réel, comme si on y était, comme si l’histoire était présente.»

D’abord seul en scène, David Lescot, en octosyllabes cavalcadants, chante-parle sa course effrénée dans les rues de Montmartre, le 18 mars, témoin oculaire de la liesse républicaine, après le long siège de Paris. Des cortèges d’hommes et de femmes s’ébranlent, et les soldats se rallient aux insurgés au milieu des acclamations :« Vive l’armée, vive la République, vive la Commune ! » (…) «Paris est à nous ! » conclut-il.

Pendant cette introduction, la musique entre progressivement en scène avec Emmanuel Bex, virtuose de l’orgue Hammond, Simon Goubert, grand batteur du jazz français, compagnon de route de Christian Vander et membre de Magma, et Géraldine Laurent, saxophoniste aux improvisations tendres et vibrantes. Ils vont soutenir ensuite le rappeur new-yorkais Mike Ladd qui raconte l’espoir, avec ses mots et sa langue, dans Together we are strong. Les surtitres en français ont du mal à rattraper son groove syncopé, inspiré par la lutte : «We keep on going, we don’t stop. (…) together we are strong (…)  I’ve got you, you’ve got me, together… » (La lutte continue, ensemble on est fort etc.) Héritier des Last Poets américains des années soixante-dix, il nous plonge dans  ces chaudes journées.

Plus posée, la chanteuse Elise Caron présente, sous forme de fiche signalétique policière, Elisabeth Dmitrieff, révolutionnaire russe envoyée par Karl Marx à Paris pour observer l’événement. Elle y a créé l’Union des femmes pour la défense de Paris et s’est battue comme une folle sur les barricades. Échappant aux Versaillais, elle fut jugée par contumace et, au cours d’une vie romanesque, fonda, entre autre, l’Association internationale des travailleuses…
Changeant alors de timbre vocal, Elise Caron interprète aussi, en duo avec David Lescot, La Canaille, chant révolutionnaire d’Alexis Bouvier, arrangé en rap…

Dans cet opéra-jazz, on trouve des textes originaux de David Lescot et de Mike Ladd, des chants révolutionnaires recomposés par eux ou des poèmes de Paul Verlaine ou d’Arthur Rimbaud.  Ont aussi été mis en musique un magnifique édito de Jules Vallès dans son journal Le Cri du Peuple,  et un manifeste féministe.

Ici la part des femmes est largement revendiquée. Lors des rappels, en fin de concert, on énumère la liste des vingt  femmes déportées en Nouvelle-Calédonie. Parmi elles, Louis Michel dont on découvre le magnifique récit de sa traversée en bateau : « Moi qui toute ma vie, avais rêvé les voyages, en plein océan, entre le ciel et l’eau, comme entre deux déserts où l’on n’entendait que les vagues et le vent. /Nous vîmes la mer polaire du Sud où, dans une nuit profonde, la neige tombait sur le pont. » Lui répond  une chanson poétique de David Lescot Le Sillage. Est-ce cette mer et cette héroïne que signifie la vague de lumière fluo aux couleurs changeantes qui surplombe le décor simple et imaginatif de François Gautier-Lafaye ?

Jazz et théâtre, partitions et textes, mélodies et parler-chanter sont en symbiose parfaite, réservant à chaque interprète, exceptionnel, des échappés en solo et une liberté d’improvisation. Liberté en phase avec cette Commune de Paris, elle aussi, laboratoire politique et porteuse de rêves et d’utopies.

Ce spectacle-coup de poing fait la part belle à l’émotion sans jamais se laisser attendrir par la nostalgie. Récit historique, il témoigne aussi d’une formidable aventure humaine en faisant revivre celles et ceux qui ont versé leur sang pour nos libertés à venir. Des libertés toujours menacées. « Oui, mais/Ça branle dans le manche/Les mauvais jours finiront./Et gare à la revanche! /Quand tous les pauvres s’y mettront. /Quand tous les pauvres s’y mettront. ». Comme le laissent entendre les variations de Mike Ladd et David Lescot sur La Semaine sanglante de Jean-Baptiste Clément et Pierre Dupont, écrite après la défaite des Communards…

A voir pour ne pas perdre la foi en l’homme (et la femme) !

Mireille Davidovici

Espace Cardin, Paris VIIIème/Théâtre de la Ville, jusqu’au 29 avril.
Le 1er août, Festival Jazz in Marciac (Gers).
les 10 et 11 octobre, à la Comédie de Caen. Les  12 et 13 octobre au Triton, Les Lilas (Hauts de Seine).

Le 15 novembre, Festival Jazz de Nevers (Nièvre).


 


Archive pour 20 avril, 2017

Carmen de Georges Bizet

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Carmen de Georges Bizet, livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, mise en scène de Daniel Benoin, direction musicale de Nicolas Krüger, avec l’orchestre philharmonique de Nice, et le chœur de l’Opéra de Nice, direction de Giulio Magnanini, chœur d’enfants de l’Opéra de Nice, direction de Philippe Negrel

 Sans doute un des opéras les plus joués au monde, alors qu’il n’avait pas été très bien accueilli à sa création en 1864! A Séville  devant une caserne et une manufacture de tabac, Micaëla  est venue chercher son fiancé, le brigadier Don José. Les cigarières  de la manufacture, elles, fument sans état d’âme et Carmen expose aux soldats sa philosophie de l’amour : »L’amour est enfant de bohème Il n’a jamais jamais connu de loi Si tu ne m’aimes pas, je t’aime si je t’aime, prends garde à toi. »

Carmen, provocatrice, abordera Don José à qui Micaëla viendra annoncer qu’elle vient de la part de sa mère, et lui remet une lettre qui conseille au jeune homme d’épouser… la porteuse de cette lettre. Ambiance ! Par ailleurs, Carmen s’est moquée d’une ouvrière,  et l’a marqué d’une croix avec un couteau. Don José sera chargé de la conduire en prison, mais, très libre, elle commence à  flirter avec lui : « Qui veut m’aimer, je l’aimerai. » Et Don José la laissera s’échapper…

Deux mois plus tard, dans une taverne, repaire notoire de contrebandiers, Carmen chante avec ses amies bohémiennes Mercedes et Frasquita. Don José emprisonné pour l’avoir laissé échapper , est sorti de prison. Escamillo le toréador essaye en vain de charmer Carmen et les contrebandiers  voudraient embringuer Carmen qui refuse, au motif qu’elle est amoureuse.  et va s’amuser à le rendre jaloux…

Don José doit rejoindre son unité, mais Carmen lui demande de le suivre dans la montagne avec les contrebandiers. Il lui dit alors adieu pour toujours… Mais il la rejoindra. Plus tard, Il se querelle avec elle, qui lui avoue que son amour a faibli, et quand il pense à sa vieille mère, elle lui conseille d’aller la retrouver, et l’injurie. Don José tire sur un inconnu : c’est Escamillo, le torero venu ici, dit-il, pour une belle nommée… Carmen. Bagarre avec Don José qui veut  frapper Escamillo mais elle l’en empêche. Et le toréador l’invite alors aux courses de Séville.

Micaëla est venue chercher Don José, dont la mère, dit-elle, se meurt. Carmen l’encourage à  y aller ; il part contre son gré, et lui lance:«Sois contente, je pars, mais nous nous reverrons.» On entend au loin Escamillo qui chante, lui, sûr d’avoir gagné le cœur de sa Carmen. On est dans une rue à Séville, à l’entrée des arènes.
Entrent alors les toreros, banderilleros, picadors, qui, ici dans la mise en scène de Daniel Benoin, sont tous groupés dans la rue. Et on voit Escamillo et Carmen dans un lit dans une chambre sans quatrième mur de façade… Don José arrive, la supplie de lui pardonner et de le suivre mais elle refuse et il la menace. On entend le public saluer le triomphe d’Escamillo. Carmen jette la bague qu’il lui avait offerte; désespéré, Don José la tue d’un coup de poignard…

Nous connaissons tous les célèbres morceaux de cet opéra fabuleux, comme entre autres ,le Prélude, puis le chœur des enfants: « Avec la garde montante », celui des cigarières;  le fameux  « L’amour est un oiseau rebelle » et la séguedille « Près des remparts de Séville », le prélude de l’acte III, l’air de Micaëla :« Je dis que rien ne m’épouvante », le duo Escamillo-Carmen :« Si tu m’aimes Carmen », etc.

Une œuvre certes populaire entre tous, mais comment la traiter aujourd’hui? Peter Brook en avait fait un formidable opéra de chambre,  La Tragédie de Carmen (1981) à partir de l’opéra de Georges Bizet et de la nouvelle originale de Prosper Mérimée. En fait, il l’avait recréé : plus de folklore gitan ni « couleur locale », et en avait privilégié les moments les plus dramatiques. Jeu des chanteurs, décor et costumes très sobres .

Daniel Benoin, lui, a respecté l’intention de Georges Bizet qui voulait faire de cette Carmen, une femme libre face aux hommes. Mais il a resitué cet opéra dans le contexte de la République espagnole puis de l’arrivée au pouvoir de Franco. “«Avec Dom Juan et Figaro », dit-il, « Carmen incarne ce que j’appelle les trois révoltés de Séville, contre Dieu pour Dom Juan, contre les femmes pour Figaro, et contre les hommes pour Carmen… Il m’a semblé intéressant de transposer son histoire, juste avant le début de la guerre en 1936, pour que la soif de liberté de Carmen soit une figure de résistance, face à l’oppression qui allait se mettre en place dans le pays. Séville était alors nationaliste, du côté de Franco pour le dire vite, mais autour de la ville, les républicains occupaient le terrain. Cette approche historiciste enrichit encore l’intrigue, je crois. »

Reste à savoir comment faire accorder cette histoire au doux parfum de mélo, avec l’Histoire tragique qui a bouleversé tout un pays et l’Europe avec l’arrivée de nombreux émigrés, quand Franco prit le pouvoir. Il nous souvient avoir ainsi bien connu un vieil homme cassé mais d’une grande dignité, pauvre et mal payé par une école privée parisienne où il enseignait l’espagnol… après avoir été ministre de la République.

Ainsi au début, la façade de la caserne est habillée de sacs de sable, comme en temps de guerre ou de menaces d’attentats. Et on peut voir s’affronter soldats nationalistes  et ouvrières de l’usine de cigares. Dans la bodega, Escamillo, des notables et des religieux ont rallié l’insurrection mais Don José, lui, rejoindra les républicains comme nombre de Navarrais, pour l’amour de Carmen. Non dans les montagnes comme dans l’opéra original, mais dans une région marécageuse proche de Séville. Avec des armes envoyées par l’URSS. Et enfin, le Jour de l’Assomption, jour de triomphe de la Vierge et des nationalistes avec Franco, aura lieu la corrida…

 Et cet “enrichissement” fonctionne ? Oui et non, mieux vaut en effet bien connaître l’histoire de cette guerre civile et l’Espagne comme Daniel Benoin. Par exemple, il faut se pincer un peu pour croire que les soldats entraînent des cigarières pour les violer.  Même si cela s’est couramment fait pendant la guerre civile. Au Pays basque, la répression frappe les prêtres catholiques qui avaient maintenu la présence de l’Église en territoire républicain, alors que le haut clergé  était nationaliste.

Mais le spectacle peut être vu à plusieurs niveaux, grâce à une mise en scène des plus soignées et quelques discrètes projections vidéo,(documentaires d’époque en noir et blanc avec défilés militaires et  processions religieuses).  Daniel Benoin resitue habilement les choses, et, avec une superbe maîtrise de ce grand plateau, réussit à donner une vie intense à cette Carmen, sans la dénaturer.

Il y faut la bonne expérience de l’opéra qu’il a acquise pour  pratiquer une balance entre scènes intimes et grands rassemblements, avec entrées et sorties du chœur et des protagonistes. Là,  le metteur en scène sait faire, sans tricher et avec fluidité, ce qui n’est pas évident, quand il s’agit souvent d’une cinquantaine de personnes à diriger. Grâce aussi à Jean-Pierre Laporte qui a imaginé, entre autres décors,  un marécage, repaire des contrebandiers qui tient presque d’un décor de film. Le dernier,  celui d’une rue, est en fait une subtile projection vidéo.  Et d’intelligents costumes, en partie importés d’Espagne et signés Nathalie Bérard-Benoin, tout en nuances et en harmonie avec les décors, n’ont rien de superlatif. Bien vu…
 Côté interprétation lyrique, nous ne nous permettrons pas de juger mais Aurore Agolin, jeune et belle guadeloupéenne, mezzo soprano, est bien Carmen, un personnage qu’elle a déjà interprété à plusieurs reprises.Bien entourée de deux remarquables chanteurs canadiens, Luc Robert (Don José) et Jean-Krystof Bouton (Escamillo).

Le public, pas très jeune (comme pour tout opéra, les places ne sont pas données mais il y avait aussi quelques lycéens et étudiants), a très longuement applaudi la mise en scène de cette œuvre restée inoxydable plus d’un siècle après sa création…

 Philippe du Vignal

 Spectacle vu à Anthéa,Théâtre d’Antibes le 9 avril, et créé du 19 au 25 mars à l’Opéra de Nice.

 

 

 

 

 

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