Marie-Antoinette correspondances privées
Marie-Antoinette, correspondances privées, d’Evelyne Lever, mise en scène de Sally Micaleff
Dans bien des esprits, surtout en France, Marie-Antoinette, épouse du roi Louis XVI, est une souveraine frivole, capricieuse, sans aucun sens du devoir et de la politique. Elle est « l’étrangère » par qui tous les malheurs arrivent: «Depuis le début de cette année 1787, tout va mal dans le royaume où l’on me déteste. Que leur ai-je donc fait à ces Français. »
La lecture de cette correspondance va être une révélation pour Sally Micaleff : « Après la lecture du texte, j’ai rencontré une Marie-Antoinette bien éloignée de mes souvenirs». Dès lors, cette metteuse en scène a eu le désir profond-et s’est presque fait un devoir-d’adapter ce livre pour le théâtre. Pour révéler ainsi au public une autre Marie-Antoinette. Pendant vingt-trois ans, elle a correspondu avec sa mère, ses frères, ses amis et ses fidèles. Pour la première fois, ont été en effet réunies et dans leur intégralité, toutes ses lettres (privées, royales, politiques…) avec, lorsqu’elles existent, les réponses de ses correspondants.
La correspondance de ce personnage légendaire, si controversé par le peuple et à la Cour de Versailles, donne lieu à un spectacle intimiste. Dans un décor sobre : une table, une chaise côté cour et une méridienne côté jardin. Et un costume simple conçu par Franck Sorbier; point de maquillage, ni de perruque blanche. Avec cette tenue négligée et sensuelle, il s’agissait pour le couturier «d’exprimer le cadre intime où se déroule l’histoire, et aussi l’idée de trousseau, à savoir l’utilisation de camisoles anciennes de coton blanc accumulées, un corset baleiné en toile, porté sur le négligé nouvelle version, suggère la dignité de la reine, mais aussi la rigidité de la Cour qu’elle n’aura cessé de désirer adoucir.» Pour l’anecdote, rappelons qu’en 1783, Élisabeth Vigée Le Brun peignit son portrait en robe de gaulle . Le tableau fit scandale et la peintre remplaça la tenue de coton par une robe en satin: ce fut le fameux Marie-Antoinette à la rose !
Ces lettres, révélées ici par la comédienne Fabienne Périneau, nous font découvrir de 1770 à 1793, le Marie-Antoinette à la Cour du Roi Soleil. Et pour le public l’image stéréotypée de de cette reine arrogante va se modifier. C’est là un des points forts du spectacle. Celle qui défendit, au péril de sa vie, le pouvoir monarchique absolu, face à la terreur révolutionnaire apparait comme une héroïne tragique au sens noble et théâtral du terme. Marie-Antoinette va progressivement et jusqu’à la chute de la monarchie, faire preuve d’une conduite politique engagée et d’un courage exemplaire. La reine se montre toujours attentive à Louis XVI, à ses souffrances, ses interrogations, et à sa fonction suprême : « Le roi ne sait plus à quel saint se vouer. Bien que nous n’ayons plus de rapports intimes, mon mari ne m’a jamais fait tant de confidences. Il m’entretient des affaires de l’Etat, auxquelles je n’ai rien entendu jusqu’à maintenant». Et ce malgré son amour passionnel et impossible pour Axel de Fersen qu’elle confesse ici :«Quel trouble s’est emparé de moi ! Je ne croyais pas pouvoir être à ce point émue par la présence d’un homme que je connaissais à peine. Lorsque le comte de Fersen m’a été présenté cet après-dîner, je n’ai pu m’empêcher de trembler. »
Seule en scène, gracieuse, Fabienne Périneau ne manque pas de sincérité. Mais elle n’arrive pas toujours à montrer l’évolution et la dimension tragique de l’existence de cette femme, singulière, et forte. Et pourtant le contenu des lettres se révèle d’une grande richesse, tant sur le plan historique, qu’ intime.
Ce spectacle-documentaire, d’une rigueur intellectuelle incontestable, nous apporte malgré tout une autre vision, plus subtile, de «l’Autrichienne ». Il permet de poser un regard plus ouvert et critique, sur le pouvoir, qu’il soit monarchique ou républicain. La pièce, par l’ampleur de son sujet, s’adresse aussi parfaitement à un jeune public.
Elisabeth Naud
Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre Dame des Champs Paris VIème. T. : 01 45 44 57 34, jusqu’au 7 mai.
Marie-Antoinette, correspondance (1770-1793) est publié aux éditions Taillandier.