Dans un canard, de Jean-Daniel Magnin
Dans un canard texte et mise en scène de Jean-Daniel Magnin
Sous ce titre bizarre, se déroule le récit de Donald Leblanc, pris dans une spirale infernale qui le conduira, presque malgré lui, à sa perte. Garçon débonnaire, il ne sait pas dire non et, de fil en aiguille, il connaîtra lui aussi le destin tragique de son ex-patron, Eric Berger, dit Gégé, qui, déboulonné de son poste et mis au placard par un nouveau directeur, a été retrouvé attaché à son scooter au fond d’un canal.
Gégé l’avait pourtant prévenu : «Fais attention, Donald. Ils pourraient bien se lâcher sur toi aussi». Et Niels, son chef de service, l’avait menacé: « Maintenant, tu es dans ma killbox ». Ce dernier entend se venger car Donald, jusque là stagiaire, a été nommé cadre à sa place, et lui, a été placardisé à son tour. Ainsi va la vie en entreprise, l’individu n’est plus rien qu’une variable d’ajustement.
Jean-Daniel Magnin a pris le parti, risqué, de la farce, pour dénoncer les nouvelles pratiques managériales, la souffrance des salariés et le suicide des cadres. Ce traitement burlesque, dans le texte et la direction d’acteur, épingle la folie qui s’est emparé du monde du travail.
Quentin Baillot campe un Donald maladroit et velléitaire. Son bon cœur en fait une victime désignée du harcèlement. Hanté par le souvenir de Gégé, qu’il imagine réincarné dans un canard du canal, il nous conte ses aventures, illustrées par une suite de séquences, successivement aux prises avec la veuve d’Eric Berger, les membres de son entreprise, sa femme, et le fantôme de Gégé… Malgré une composition parodique, l’acteur parvient à nous toucher par la naïveté déconcertante de son personnage. Emeline Bayart, tour à tour veuve éplorée de Gégé, épouse sexy de Donald, directrice des ressources humaines psycho-rigide, glisse habilement d’un personnage à l’autre. Manuel Le Lièvre compose en un tournemain des personnages aussi différents qu’un cadre maniaque, un coach manipulateur, un curé patelin…
Jean-Daniel Magnin, auteur d’une quinzaine de pièces et d’un roman, Le Jeu continue après ta mort, agence avec brio la langue comme les situations, et trouve ici un bon équilibre entre la narration et les différents tableaux qui l’illustrent. La scénographie d’Anne-Sophie Grac contribue à cette cohérence : un ascenseur central -symbole de l’ascension et du déclin social ?- partage l’espace en plusieurs aires de jeu, définies par quelques accessoires rapidement disposés, ce permet de maintenir le rythme soutenu d’une comédie.
Le metteur en scène pousse à l’extrême le comique déjà porté par l’écriture, au risque de la surligner et d’enfermer les comédiens dans un jeu parfois trop caricatural, mais jamais vulgaire. Pendant une heure et quart, pas un temps mort : l’ensemble, bien huilé, fonctionne et, au-delà du divertissement, nous plonge dans le monde glaçant d’une start up contemporaine. Le spectacle se termine sur une question de Quentin Baillot au public . «Es-tu capable d’imaginer une vie sans photocopieuse ? (…) Essaye. C’est vertigineux ».
Mireille Davidovici
Théâtre du Rond-Point 8 av du Président Franklin D. Roosevelt Paris T. 01 44 95 98 21 jusqu’au 14 mai.
Théâtre des Halles Avignon, les 26 et 27 mai , et du 6 au 29 juillet.
Le texte est publié par Actes Sud-Papiers