Songes et Métamorphoses
Songes et Métamorphoses, une création de Guillaume Vincent, Les Métamorphoses de Guillaume Vincent, librement inspiré d’Ovide et Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, traduction de Jean-Michel Déprats
« Même s’il ne s’agit pas de se comparer ou de se mesurer à Shakespeare, Métamorphoses serait une sorte de prologue, mais d’une durée quasi-équivalente au Songe d’une nuit d’été. Dans Le Songe, il est d’ailleurs question d’un prologue… À l’inverse du prologue de Bottom, Les Métamorphoses joueront à fond des ambivalences, et le réel pourra prétendre à devenir fiction, quand de son côté, la fiction se donnera pour réelle.
En partant du Songe d’une nuit d’été, et en particulier de la partie liée aux artisans, je voudrais pouvoir composer des variations, comme en musique, sur le thème du théâtre amateur. (…) Le théâtre amateur sous toutes ses formes : théâtre social, théâtre thérapeutique ; le théâtre qu’on fait à la maternelle ou au primaire … (…)Métamorphoses est donc une sorte de prologue hypertrophié, un lever de rideau trop long pour être véritablement un lever de rideau Et moi, que vais-je demander au spectateur de ce prologue… de cette première partie ? De l’indulgence ? De l’imagination ? Sans doute les deux, et plus si affinités. »
Guillaume Vincent a au moins le mérite de la franchise: on a d’abord droit à un petit spectacle d’enfants puis à un atelier-théâtre, avec des acteurs professionnels qui jouent un prof de lycée, M. Gaillard, et des acteurs amateurs, un exercice comme on le sait, des plus périlleux. Le tout sur les thèmes traités avec bonheur par Ovide : Narcisse, puis d’Hermaprodite et moins connue,l’histoire d’une jeune fille, Myrrha amoureuse de son père. Puis celle du célèbre Pygmalion, jouée soi-disant par une troupe de comédiens professionnels.
« On interroge la vraisemblance, croit utile de préciser Guillaume Vincent». Que nenni ! Ces petites saynètes mises bout à bout, sans autre fil conducteur que les fantasmes du metteur en scène sur les jeux entre fiction et réel, ne fonctionnent absolument pas ; vite et mal écrites, elles distillent un ennui d’une rare qualité ! Rien ici n’est dans l’axe : faiblesse de la dramaturgie, faiblesse de la mise en scène ronronnante et sans imagination, malgré quelques belles images ici et là, faiblesse de la direction d’acteurs peu crédibles et à la voix amplifiée (on se demande une fois de plus pourquoi !), en partie issus du Jeune Théâtre national et donc pris en otage. Ce qui moralement, n’est pas très bien. Et cette première partie va durer une heure quarante cinq !
Enfin arrive un vrai moment de théâtre avec la terrible aventure de Procné qui comprend que son mari a couché avec sa sœur et qu’il lui a tranché la langue pour qu’elle ne parle pas. Procné sera bien entendu, prête à toutes les vengeances… Et pour ce personnage, Guillaume Vincent fait appel à une de ses comédiennes préférées qu’il avait déjà fait travailler dans La Nuit tombe et Gare de l’Est (voir Le Théâtre du Blog) : quand Emilie Incerti-Formentini arrive, elle a une vraie présence, une maîtrise du plateau et une telle intelligence de son personnage qu’elle s’impose-avec une diction et une gestuelle impeccable-en quelques minutes. Là, il se passe quelque chose de presque magique sur le plan théâtral…
Mais malheureusement, cela ne dure pas ! Après un entracte bien mérité, on a droit à un Songe, d’une absolue médiocrité. « Pourquoi ne pas s’amuser plutôt, dit Guillaume Vincent à exalter ces différences en les abordant avec une telle schizophrénie qu’on pourrait donner l’illusion qu’il s’agit de trois pièces mises en scène par trois metteurs en scène différents? C’est le pari que je voudrais faire avec ma mise en scène.» « Shakespeare déploie son génie comique à travers ses intrigues et ses personnages, mais on peut aussi être effrayé par l’inouïe violence des rapports » Pari raté que cette « déclaration d’amour au théâtre» !
Guillaume Vincent semble en effet rouler pour lui, et semble se complaire dans une réflexion sur une mise en abyme de la pièce. Avec une certaine prétention, pour essayer de restituer cet incroyable mélange de bouffonnerie mais aussi de sublime tragique que William Shakespeare avait su concocter… Mais rien à faire, à force faire joujou avec la pièce, cela devient vite fastidieux. Ainsi Titania et Obéron sont joués par deux chanteuses, au prétexte qu’on donnait souvent par tradition le rôle d’Obéron à une jeune femme. Tous aux abris !
Et au lieu de la mettre simplement en scène, Guillaume Vincent n’arrive pas à faire sentir toute la féérie mais aussi toute la violence des rapports amoureux entre les personnages shakespeariens. Résultat : on retrouve la même qualité d’ennui que dans la première partie. Et même un très bon acteur comme Gérard Watkins n’arrive pas à trouver ses marques !
On pouvait reprocher des facilités à une mise en scène comme celle de Jérôme Savary quand il monta Le Songe dans la Carrière Boulbon au Festival d’Avignon, mais il se passait quelque chose de magique, et avec quelques bons comédiens, il avait su recréer un climat et traiter la scène des artisans avec vérité.Mais là, pas grand chose de vrai qui nous toucherait un peu. Et au lieu de se faire plaisir, Guillaume Vincent aurait mieux fait de mettre simplement la pièce en scène. Il y a tromperie sur la marchandise, comme disait lucidement une spectatrice…
Reste une énigme : comment ce spectacle a-t-il pu être choisi par l’Odéon, et pourquoi aussi en quatre heures ? On comprend mal Stéphane Braunschweig, même si Guillaume Vincent a été son élève à l’Ecole du T.N.S. C’est un coup à vider les salles. En tout cas, vous voilà prévenu : si vous êtes enseignant, inutile d’y emmener vos élèves ou même vos étudiants en théâtre, vous les dissuaderez à jamais de retourner au théâtre…
Conseil de vieux con: Faites leur une lecture d’extraits des Métamorphoses d’Ovide, ils apprécieront et auront vite envie de le lire! Et montrez-leur une vidéo d’une mise en scène de qualité comme celle de la Royal Shakesperare Company…
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon/Ateliers Berthier, 1 Rue André Suares, Paris XVIIème. T : 01 44 85 40 40, jusqu’au 20 mai.
Enregistrer