L’Abattage rituel de Gorge Mastomas de Dennis Kelly

L’Abattage rituel de Gorge Mastomas de Dennis Kelly, mise en scène de Chloé Dabert

 

©Giovanni Cittadini Cesi

©Giovanni Cittadini Cesi

Comment un gentil garçon devient-il un prédateur sans scrupules, sans vergogne, voire un assassin ? Cette pièce, en forme de fable édifiante, va nous l’apprendre. “Elle parle de cette poignée de puissants qui contrôlent le monde et  qui n’hésitent pas à sacrifier le reste de l’univers pour une ascension personnelle”, dit Chloé Dabert, à l’aise dans l’univers de l’auteur britannique dont elle a monté Orphelins, mise en scène qui lui a valu le Prix impatience 2014.

Devant un tulle qui masque à demi l’aire de jeu, révélant la silhouette d’un adolescent en anorak, apparaît le narrateur qui va raconter l’ascension et la débâcle de Gorge Mastomas, victime sacrificielle d’un système  où il est entré presque malgré lui. Julien Honoré prend en charge la longue partie narrative qui présente le héros, avant qu’elle ne soit interrompue par des scènes jouées par les comédiens. Il s’efforce de la rendre vivante, par moult clins d’œil au public. On a droit jusqu’aux circonstances de la conception de Gorge, à la vitesse d’un spermatozoïde, par une chaude et douce nuit de juillet 1972. Puis à son enfance sans problèmes et à une adolescence plus difficile marquée par de petits incidents où il se révèle bon camarade, et amant timide, plutôt victime de son honnêteté et de son esprit de justice. Par bonté ou par lâcheté ? s’interroge le récitant.

Soudain, sa vie basculera et il va changer de bord. Comment ? Le rideau de tulle s’ouvre et la scène s’anime : A. (Gwenaelle David), jeune requin de la finance ne fera qu’une bouchée de M. (Marie-Armelle Deguy),  chef d’entreprise en déconfiture. Sous les yeux de Gorge qui en tire la leçon et qui va désormais appliquer les règles régissant la « société secrète » des puissants : cupidité, prédation, mensonge. Car «l’existence n’est pas gentille ». Le voilà au fait de sa puissance : il s’amuse avec son argent, avec les femmes… Mais ce géant aux pieds d’argile va bientôt, pour conquérir Louisa ( Bénédicte Cerutti), tomber dans son propre piège…

 La metteuse en scène s’empare avec gourmandise de cette dramaturgie qui mêle récit et scènes démonstratives. Les acteurs, tous excellents,  créent sans tomber dans la caricature, des personnages typés que Dennis Kelly a voulu complexes tout en évitant le psychologisme. Sébastien Eveno est un Gorg Mastromas touchant, fragile jusque dans sa vilenie. Pour cette comédie de mœurs, Pierre Nouvel a conçu une scénographie fonctionnelle et évolutive: dans une paroi de bois blanc, en fond de scène, sont emboîtés, comme dans un jeu de cubes, des meubles sobres que les comédiens extrairont selon les séquences.

 Malgré une partie narrative qui traîne en longueur, et dont Julien Honoré s’acquitte  au mieux, ce spectacle s’ouvre comme un livre d’images bien dessiné. Une vraie rigueur au service d’un écrivain de talent.

 

Mireille Davidovici

Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt Paris VIIIème T. 01 44 95 00, jusqu’au 14 mai.
www.theatredurondpoint.fr

La Passerelle de Saint-Brieuc (22) les 16 et 17 mai.

L’abattage rituel de Gorge Mastromas, traduction de Gérard Watkins, est publié chez L’Arche éditions.

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